L’héroïne oubliée de l’attaque terroriste meurtrière de l’hôtel Savoy à Tel Aviv
Dans un nouveau documentaire, la réalisatrice Zohar Wagner raconte l'histoire de Kochava Levy, une des otages, qui a joué d’intermédiaire entre les terroristes et Tsahal

Kochava Levy ne pensait pas qu’elle vivrait pour voir le jour se lever le 6 mars 1975.
Lorsqu’elle a été prise en otage par des terroristes du Fatah dans l’hôtel Savoy de Tel Aviv, Kochava Levy est convaincue qu’elle ne reverrait jamais sa fille. « Je sais que je vais mourir ici ce soir, dans cet hôtel miteux », écrit-elle dans son journal.
Levy, 31 ans, femme au foyer et mère de famille, s’est retrouvée dans l’improbable rôle de médiatrice entre les terroristes et l’équipe de négociateurs de Tsahal postée à l’extérieur de l’hôtel.
Grâce à sa maîtrise de l’arabe, Levy a pu faire passer des messages entre les deux parties et a supplié les terroristes de libérer un des otages blessés.
Mais son rôle héroïque a vite été occulté par la suite, car Levy, qui se trouvait à l’hôtel avec un homme qui n’était pas son mari, a été présentée à tort par les médias comme une prostituée. L’héroïsme et le courage dont elle a fait preuve cette nuit-là ont été largement oubliés – jusqu’à aujourd’hui.
L’histoire du rôle de Levy dans l’attaque terroriste de 1975 à l’hôtel Savoy – qui a entraîné la mort de huit civils, de trois soldats de Tsahal et de sept des huit terroristes – est relatée dans un nouveau docu-film, « Savoy », par la réalisatrice Zohar Wagner.
Le film, qui a été présenté en avant-première au Festival du film de Jérusalem le mois dernier et qui sort en salles dans les cinémas Lev à travers Israël cette semaine, mêle des séquences documentaires, des enregistrements et des images d’archives de la nuit de l’attaque avec des mises en scène des événements qui se sont passés à l’intérieur de l’hôtel. La célèbre actrice Dana Ivgy (Zero Motivation, Aviva, My Love) joue le rôle de Levy, et le chef de la cellule terroriste palestinienne est joué par Ala Dakaa (Fauda, Mossad 101).

Wagner, dont le dernier film, 21 Days Inside, raconte l’histoire d’une femme bédouine accusée du meurtre de son fils, a utilisé les journaux intimes de Levy ainsi que des documents d’archives pour reconstituer les événements qui se sont produits à l’intérieur de l’hôtel pendant environ cinq heures, rendus plus vivants grâce à Ivgy et Dakaa.
« Je voulais me concentrer sur Kochava, et il n’y avait aucune image d’elle de cette nuit-là, parce que… les otages étaient dans un hôtel fermé », a déclaré Wagner au Times of Israel lors d’une récente interview téléphonique. « La couverture médiatique s’est faite depuis l’extérieur du bâtiment. »
Wagner se souvient s’être demandé « comment parler de cette femme unique, comment montrer son intelligence ». Elle dit avoir décidé dès le début du tournage du film qu’elle inclurait des reconstitutions de scènes à partir des textes du journal intime de Levy pour raconter son histoire.

Le spectateur entend, à travers les voix off d’Ivgy, des citations textuelles tirées directement des journaux intimes de Levy.
« Ma fille doit dormir maintenant », écrit-elle. « Et mon mari est assis dans la pièce d’à côté, en train d’écouter la radio. Ils doivent déjà avoir annoncé l’attaque terroriste. Est-ce qu’il imagine un seul instant que je suis ici ? Que vais-je lui dire demain ? Y aura-t-il un demain ? »
Les reconstitutions dramatiques et les images d’archives sont complétées par des enregistrements audio de la nuit de l’attaque, capturés sur cassette par un passionné d’enregistrement qui se trouvait derrière l’hôtel pendant l’incident. Rassemblés, ils brossent le portrait d’une jeune femme qui a tenté de sauver des vies en établissant un lien humain avec ses ravisseurs.
« Vous avez cette femme, dans cette situation, et vous voyez comment les femmes savent utiliser la parole, elles savent utiliser la compassion, elles savent utiliser leur intelligence pour résoudre des situations », a déclaré Wagner. « Pour moi, il s’agit d’utiliser la parole, d’atteindre le cœur de l’ennemi, d’utiliser les mots au lieu des armes. Et peut-être que les femmes sont capables de faire toutes ces choses mieux que les hommes ».
L’un des moments les plus dramatiques – et la seule fois où Levy a été filmée cette nuit-là – est le moment où elle porte un otage blessé, Karol Feldman, jusqu’à l’entrée de l’hôtel afin qu’il puisse être pris en charge pour être soigné, lui sauvant ainsi la vie. Le fils de Feldman, Asher, âgé de 13 ans, faisait partie des civils tués lors de l’incident.
« On l’entend dire cette nuit-là, sur les images granuleuses du hall de l’hôtel, alors qu’elle se démène pour tirer le blessé qui fait deux fois sa taille : « Aide-moi avec ton bras pour que je puisse te sauver ».
« Nous le sortons de là, ne faites rien », crie-t-elle à l’équipe de Tsahal rassemblée.
Levy a réussi à convaincre les preneurs d’otages palestiniens de la laisser sortir l’homme après que ceux-ci ont refusé de le faire, craignant d’être abattus par les snipers de Tsahal. « S’il me laisse sauver le blessé, je lui baiserai la main », écrit-elle dans son journal.
Quelques heures plus tard, Tsahal donne l’assaut à l’hôtel, et les terroristes répondent en déclenchant des explosifs, tuant la plupart des otages restés à l’intérieur de l’hôtel, des touristes étrangers pour la plupart. Sept des huit terroristes sont tués, le dernier sera capturé, jugé, condamné et finalement libéré lors d’un échange de prisonniers en 1985.

Le film, produit en collaboration avec Kan, sera diffusé sur la chaîne publique à la fin du mois de septembre. Wagner a reçu le prix du meilleur réalisateur d’un documentaire pour « Savoy » au Festival du film de Jérusalem, qui a également remporté le prix du meilleur montage.
Levy est décédé en 2019 à l’âge de 75 ans d’un cancer, après avoir vécu une vie très discrète après l’attaque. Sa fille, Osnat, et sa sœur, Aviva, ont assisté à la première du film au Festival du film de Jérusalem. D’après Wagner, la famille Levy a initialement eu beaucoup d’hésitations au sujet du film.
Osnat était « très inquiète et avait peur » d’une nouvelle exposition au regard du public, après la persécution dont sa mère a fait l’objet de la part des médias, explique Wagner. « Ils n’ont été réellement rassurés que lorsque je leur ai montré la version finale. »

Suite à une méprise sur son identité, Levy avait été étiquetée comme une prostituée dans les médias au moment de sa toute nouvelle gloire juste après l’attaque.
Elle a intenté un procès au magazine Time, qu’elle a par ailleurs gagné, pour l’avoir présentée, dans un article toujours disponible en ligne, comme « une petite prostituée aux cheveux noirs qui s’était réfugiée au Savoy pour éviter une rafle de la police ». Bien qu’elle ait finalement été innocentée, la bravoure de Levy a été éclipsée par le fait qu’elle se trouvait dans l’hôtel avec un homme qui n’était pas son mari.
Dans le film, Wagner marque la disparité des réactions à l’égard de l’amant de Levy, Avi Azikri, qui a été blessé par le tir des terroristes mais a survécu à l’attaque. Dans des enregistrements de la nuit de l’attaque, on peut entendre Azikri s’identifier comme étant Britannique, dans l’espoir que les otages étrangers seraient libérés. Le premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin, lui a rendu visite à l’hôpital.
« Il a automatiquement été considéré comme un héros, même après avoir dit qu’il venait de Grande-Bretagne », a déclaré Wagner. « Vous voyez vraiment clairement le double standard moral : si vous êtes une femme, et que vous avez trompé votre mari, alors vous êtes une pute. Mais si vous êtes un homme et que vous avez trompé votre femme, tout le monde s’en fiche, ça n’a pas d’importance. »
Pour Wagner, l’histoire de Kochava Levy est une histoire d’héroïsme, car elle fait appel à la parole et à l’humanité pour établir une connexion avec l’ennemi. Mais c’est aussi une histoire de misogynie et de normes injustes. Dans un enregistrement de la police au lendemain de l’attaque, un fonctionnaire dissipe le malentendu sur Levy, et signale qu’il existe bien une autre Kochava Levy à Tel Aviv, une prostituée connue. « Mais ce sont toutes deux des salopes », rétorque un autre policier, suscitant des rires gras.
« Il trompait sa femme et c’était un héros », a noté Wagner, « et elle trompait son mari et c’était une salope ».
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