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Interview

L’histoire du prodige de Wall Street dont les bêtises l’ont mené en prison et que Trump a aidé à revenir

Dans "Witness to a Prosecution", Richard Sandler s'attaque au système judiciaire qui a conduit son ami Michael Milken en prison et revient sur la grâce présidentielle qui lui a rendu la liberté

Michael Milken, à gauche, à l'époque employé de Drexel Burnham Lambert Inc., arrive à la Cour suprême de l'État, à Manhattan, pour sa mise en accusation, le 7 avril 1989. À droite, l'avocat de Milken, Arthur Liman. (Crédit : AP Photo/Gerald Herbert)
Michael Milken, à gauche, à l'époque employé de Drexel Burnham Lambert Inc., arrive à la Cour suprême de l'État, à Manhattan, pour sa mise en accusation, le 7 avril 1989. À droite, l'avocat de Milken, Arthur Liman. (Crédit : AP Photo/Gerald Herbert)

Depuis son bureau qui surplombe l’immensité de Los Angeles, l’avocat Richard V. Sandler sait l’importance d’avoir une vue globale sur les choses. C’est d’autant plus vrai s’agissant de son vieil ami Michael Milken.

Dans les années 1980, le financier juif américain Milken était l’une des stars de Wall Street grâce à son approche tout sauf conventionnelle du marché obligataire jusqu’à ce qu’il fasse l’objet d’une enquête criminelle menée par un ambitieux procureur fédéral qui n’était autre que Rudolph Giuliani.

Présenté par les médias comme le symbole des excès financiers des années 80, Milken a été jugé pour fraude aux valeurs mobilières. Sandler était un de ses principaux avocats. Milken a fini par conclure un accord avec le gouvernement : il a plaidé coupable pour six chefs d’accusation de malversations financières et accepté de payer une amende de 600 millions de dollars assortie d’une peine de 10 ans de prison.

A sa libération, l’histoire est devenue plus compliquée encore. Dans les décennies suivantes, Milken a connu une vie des plus surprenantes : une fois sa fortune retrouvée, il a fait œuvre de philanthrope en créant et subventionnant des fondations consacrées, par exemple, à la recherche médicale ou à l’éducation, et a même obtenu en 2020 une grâce de la part du président américain de l’époque, Donald Trump.

Aujourd’hui, Sandler revient sur toute cette histoire dans son tout dernier livre, « Witness to a Prosecution : The Myth of Michael Milken ».

Milken continue d’exercer une certaine influence au niveau international grâce à la conférence mondiale de l’Institut Milken. Cette année, le 6 mai, il a consacré une table-ronde à l’antisémitisme suscité par l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, le 7 octobre, et la guerre contre le Hamas qui a suivi. Sandler en était le modérateur et des personnalités telles que l’ex-président américain Bill Clinton ou Elon Musk y ont pris part.

Sandler a été président du conseil d’administration des Jewish Federations of North America et de la Jewish Federation of Greater Los Angeles [NDLT : Fédération juive du Grand Los Angeles]. Petit-fils d’un éminent spécialiste du Talmud, Sandler ne se départit pas d’une certaine morale dans son ouvrage et livre un récit très instructif, à la fois sur le système judiciaire et sur les mésaventures de son ami.

Comme Sandler l’explique au Times of Israel lors d’une visioconférence sur Zoom, « Quiconque a une certaine importance et attire l’attention d’un procureur ambitieux court le risque d’être pris dans les rouages du système – pas nécessairement parce que le procureur est malhonnête, mais parce que le système encourage les procureurs à gagner des affaires pour faire avancer leur carrière plutôt que de faire primer la justice. Ils ont le sentiment de faire ce qu’il faut, sans jamais se dire qu’ils pourraient avoir tort. »

Il ajoute : « Si un gars avec les ressources et les relations de Michael Milken peut être traité injustement par un tel système, qu’en est-il des
99,9 % autres qui s’y confrontent sans tout ça ? »

Richard Sandler, à gauche, avec Michael Milken sur une photo non datée. (Autorisation)

Deux gamins juifs du sud de la Californie

L’amitié qui unit Sandler et Milken remonte à des dizaines et des dizaines d’années. Ils étaient deux enfants juifs du sud de la Californie lorsqu’ils se sont rencontrés grâce au frère cadet de Milken, Lowell Milken. À l’université de Californie à Berkeley, ils appartenaient à la même fraternité et Sandler était déjà impressionné par le sens de justice sociale de l’aîné des Milken, en cette période de revendication des droits civiques.

Plus tard, au sein de la société Drexel Burnham Lambert, Milken s’est fait un nom grâce aux « junk bonds » – obligations longtemps négligées par Wall Street en raison de leur piètre notation en matière de dette des entreprises.

Selon le livre, le fait, pour Milken, d’utiliser de telles obligations que le sens commun réprouvait, Milken a permis à de grosses sommes d’argent d’affluer dans de nombreuses industries et entreprises, de l’empire médiatique de Ted Turner aux Wynn Resorts d’aujourd’hui – jusqu’à des jouets, avec le fabricant de Barbie, Mattel. Tout ce temps, Milken a continué à faire preuve d’une grande conscience sociale en lançant notamment la Fondation de la famille Milken en 1982, avec l’aide de Sandler. Ce dernier en est aujourd’hui le vice-président exécutif, ainsi que le secrétaire et le fiduciaire.

A cette époque, les ennuis étaient en marche.

Sandler regrette ce qu’il estime être une erreur stratégique de Milken, qui n’a pas su nouer de relations avec ses rivaux de Wall Street qui voulaient qu’il se retire. Ils sont parvenus à leurs fins lorsque l’un des clients de Milken, Ivan Boesky, a fait l’objet d’une enquête pour délit d’initié de la part de Giuliani et de la Securities and Exchange Commission.

Boesky a plaidé coupable sur l’un des chefs d’accusation, relatif à des lois sur les valeurs mobilières. Il a coopéré avec les autorités fédérales et impliqué Milken, auquel ont été opposés 98 chefs d’accusation – du racket à la fraude postale en passant par la fraude par voie électronique – et un procès devant grand jury.

Cette année, le 20 mai exactement, Boesky est décédé à l’âge de 87 ans. (Boesky lui-même a été condamné à trois ans de prison pour délit d’initié, ainsi qu’à une amende de 100 millions de dollars ; sa nécrologie, dans le New York Times, l’a présenté comme l’inspirateur du personage de Gordon « Greed Is Good » Gekko dans le film « Wall Street ».)

Au moment d’évoquer l’accord conclu entre les procureurs et Boesky, Sandler commente : « Ils voulaient monter un dossier contre Michael Milken. J’ai vu les choses se faire devant moi. Je ne dis pas que les procureurs ne croyaient pas en ce qu’ils faisaient. Mais ils n’ont jamais voulu envisager qu’ils puissent avoir tort. »

Sandler évoque à de nombreuses reprises l’enquête des autorités et la procédure judiciaire, même les difficiles négociations entre la juge Kimba Wood, les procureurs et la défense. (Un chapitre aborde la question des poursuites civiles, pour un montant d’1,3 milliard de dollars, et de l’ouverture explosive et impromptue d’une bouteille de Perrier lors d’une réunion.)

Sandler a constamment à coeur d’établir la détermination de Milken à épargner son frère Lowell de toute sorte de poursuites. Il explique également la décision prise de renoncer au procès et d’accepter le principe d’un accord avec le gouvernement.

« Witness to a Prosecution », par Richard Sandler. (Autorisation)

À ce moment précis, Drexel Burnham Lambert avait déjà fait faillite et son ancienne star, Milken, avait plaidé coupable pour six chefs d’accusation, dont fraude aux valeurs mobilières et complot.

Le livre évoque de quelle manière sa voix s’est éraillée au moment de plaider coupable devant le tribunal, le 24 avril 1990, et comment, six mois plus tard, lorsqu’on l’a condamné à 10 ans de prison, sa femme, Lori Milken, et lui ont réagi avec inquiétude.

Non à un Seder en prison, mais oui à la grâce de Trump

En raison des règlements de la prison, Milken n’a jamais pu célébrer Pessah avec ses proches. Derrière les barreaux, l’ancien prodige de Wall Street récurait les toilettes, essuyait la vaisselle et donnait des cours particuliers à ses codétenus. Il a raté des moments importants de sa vie, comme l’obtention du diplôme d’études secondaires de son fils aîné.

Selon l’auteur du livre, le stress qu’il a enduré à ce moment-là a aggravé ses problèmes de santé, et notamment le cancer de la prostate qu’on lui avait diagnostiqué.

« Peu importe à quel point quelqu’un a du succès », explique Sandler, « il reste un être humain. Avec une famille et des enfants pour lesquels il s’inquiète. Je l’ai bien vu chaque jour au moment où j’ai moi-même fait l’objet d’une enquête criminelle… Tout d’un coup, on se retrouve en prison. C’est terrible pour quelqu’un de passer par tout ça, sans parler de la
prison. »

Il y a malgré tout de bonnes nouvelles : la peine de dix ans a été réduite à deux ans et après sa libération, en 1993, Milken a entamé un chemin vers la rédemption.

« Il est ressorti plus déterminé que jamais à faire quelque chose de bien », souligne Sandler. « Et même avant d’en passer par là, il était extrêmement actif, philanthropiquement parlant : il aidait les gens, les jeunes étudiants surtout. Il avait déjà accompli des choses incroyables sur le plan philanthropique. »

Wikipédia le classe parmi les personnes les plus riches du monde, mais Sandler met en garde contre la fiabilité de ce qui se trouve dans l’encyclopédie en ligne.

L’artiste Paula Abdul, à droite, avec le financier Michael Milken, à gauche, le jour d’un événement en faveur de la Fondation pour le cancer de la prostate avant un match de baseball entre les Mariners de Seattle et les White Sox de Chicago, le 3 juin 2013, à Seattle. (Crédit : AP Photo/ Ted S. Warren)

Un objectif restait hors de portée : la grâce présidentielle.

Sandler revient sur les tentatives infructueuses de persuader plusieurs administrations avant de finalement réussir avec l’administration Trump. Giuliani, devenu depuis maire de New York – à deux reprises -, a fini par plaider en faveur du pardon à Milken. Milken et lui se sont liés d’amitié du fait de leur expérience commune du cancer de la prostate.

Ironie de l’histoire, Giuliani a lui-même été récemment inculpé pour participation, en qualité de conseiller de Trump, à la tentative de contestation de l’élection présidentielle de 2020, et a critiqué la procureure qui l’a inculpé en Géorgie, Fani Willis.

Dans un des articles consacrés à ce livre, le journaliste du New York Post, Charles Gasparino, s’est demandé si l’ouvrage de Sandler aurait été meilleur s’il avait consacré davantage de temps à l’accusation.

Michael Milken lors d’une visite au laboratoire de recherche en nutrition de l’UCLA dans le quartier de Westwood à Los Angeles, le 1er mars 1996. (Crédit : AP Photo/Damian Dovarganes)

Interrogé sur ce point, Sandler explique au Times of Israel que « le livre dit la vérité. Il essaie de le faire d’une manière équilibrée et factuelle, extérieure à la seule opinion que je peux en avoir. Il s’appuie sur des documents judiciaires et les propos des procureurs et d’un ancien chef de la SEC. Je crois que, tous autant que nous sommes, nous avons tous appris quelque chose de cette période. »

« J’ai essayé de faire passer trois messages », ajoute-t-il.

« Cela peut vous arriver. Si vous réussissez dans la vie et qu’un procureur ne vous aime pas, et que vous faites l’objet de l’examen minutieux de quelqu’un qui veut utiliser le pouvoir qui est le sien, cela peut être un problème. Ensuite, il faut bien avoir à l’esprit que le système judiciaire n’est pas équitable. »

Son troisième message est plus fort encore : « Peu importe ce qui arrive dans la vie… L’important est de savoir qui l’on est. Avec l’aide des siens, on peut toujours mener une vie agréable et accomplir de grandes choses. »

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