L’offensive à Rafah est « le dernier pas d’Israël pour détruire Gaza », affirme l’Afrique du Sud à la CIJ
Devant la Cour internationale, Pretoria a affirmé que Rafah était la dernière zone habitable de Gaza et que l'opération de Tsahal permettrait de concrétiser « l'objectif déclaré d'Israël de rayer Gaza de la carte »
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Accusant Israël de vouloir « détruire les Palestiniens et les effacer de la surface de la terre », l’Afrique du Sud a exigé jeudi que la Cour internationale de justice ordonne à Israël de cesser non seulement son opération militaire à Rafah, dans le sud de Gaza, mais toute sa campagne contre l’organisation terroriste du Hamas dans la bande de Gaza.
Lors de deux heures trente de plaidoiries, les sept avocats et juristes sud-africains et étrangers ont à plusieurs reprises tenté de convaincre le tribunal d’ordonner la fin des opérations israéliennes contre le Hamas, affirmant qu’Israël avait ignoré les précédentes ordonnances du tribunal et laissant entendre que le tribunal semblerait inutile s’il ne prenait pas de mesure.
Ces audiences de la CIJ se sont tenues à la demande de l’Afrique du Sud, pour que des mesures d’urgence soient prises par la Cour pour protéger Rafah, au motif qu’Israël commettait un génocide contre les Palestiniens dans l’enclave côtière.
C’est la quatrième requête de l’Afrique du Sud devant la Cour depuis que Jérusalem a déclaré la guerre au Hamas en réaction à l’attaque brutale du groupe terroriste contre les civils israéliens, le 7 octobre.
Les avocats sud-africains ont fait valoir, jeudi, que l’actuelle opération de Tsahal à Rafah rendrait la vie à Gaza intenable à cause d’une situation humanitaire déjà très dégradée, des destructions massives dans d’autres parties de la bande de Gaza et de l’importance du passage de marchandises de Rafah pour l’approvisionnement en aide de l’enclave.
Une attaque israélienne de grande ampleur sur Rafah constituerait une violation de la clause de la Convention sur le génocide interdisant « d’infliger délibérément de mauvaises conditions de vie à un groupe pour entraîner sa destruction physique, totale ou partielle », a fait valoir Pretoria.
Bien que la demande déposée la semaine dernière ait plaidé en faveur d’une ordonnance du tribunal pour ordonner à Israël de mettre fin à son opération à Rafah, l’Afrique du Sud a revu sa demande pour demander qu’Israël mette fin à toutes ses opérations militaires à Gaza.
La délégation sud-africaine a également demandé qu’Israël soit tenu de permettre « un accès libre à l’aide humanitaire destinée à Gaza » et que des enquêteurs et des missions d’établissement des faits enquêtent sur les accusations de crimes de guerre et de génocide.
Les avocats sud-africains ont en outre demandé à la Cour d’ordonner à Israël de fournir sous une semaine un rapport public sur les mesures prises pour mettre en œuvre ses précédentes ordonnances.
« Le génocide perpétré par Israël s’est poursuivi à un rythme soutenu depuis la dernière audience du tribunal et vient d’atteindre un nouveau et effroyable sommet », a affirmé l’ambassadeur d’Afrique du Sud aux Pays-Bas, Vusimuzi Madonsela.
Le professeur Vaughan Lowe, qui avait également représenté l’Afrique du Sud lors du dépôt de sa demande de janvier, a affirmé qu’il était « de plus en plus clair » que les actions israéliennes à Rafah avaient pour « objectif final la totale destruction de Gaza comme foyer de peuplement humain », invoquant l’interdiction de la Convention sur le génocide de créer des conditions destinées à détruire toute forme de vie.
Lowe a mis en garde la cour, lui disant qu’en l’absence d’ordre donné à Israël de cesser sa campagne militaire, « la possibilité de reconstruire une société palestinienne viable à Gaza serait anéantie », ce qui semble correspondre à la ligne stratégique sud-africaine.
Ses propos ont été repris par d’autres membres de l’équipe juridique de l’Afrique du Sud.
« Depuis le début, l’intention d’Israël est de détruire les Palestiniens et de les effacer de la surface de la terre. Rafah est son dernier baroud d’honneur », a déclaré Tembeka Ngcukaitobi.
L’équipe sud-africaine a accordé une attention toute particulière à la question de l’aide humanitaire, en raison de l’interdiction, par la Convention sur le génocide, de créer les conditions de la destruction d’un groupe de personnes, accusant Israël d’« étrangler » Gaza avec son opération à Rafah.
« Israël doit être stoppé. L’Afrique du Sud est à nouveau devant vous, aujourd’hui, pour demander respectueusement à la Cour d’invoquer ses pouvoirs… et d’ordonner un remède susceptible d’arrêter Israël », a déclaré Adila Hassim, une autre avocate sud-africaine.
Bien que le point de passage de marchandises de Rafah soit fermé depuis le début de l’opération, le 6 mai, les autorités israéliennes ont déclaré que le point de passage de Kerem Shalom, par lequel passe l’essentiel de l’aide à Gaza, avait rouvert le 8 mai et que 248 camions d’aide humanitaire y avaient été inspectés et autorisés à entrer dans la bande de Gaza mercredi, auxquels s’ajoutent deux camions-citernes.
Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU a déclaré jeudi que les points de passage vers Gaza « étaient fermés, difficiles d’accès ou non viables sur le plan logistique » depuis plusieurs jours, et que « la distribution de l’aide était presque impossible ».
Le COGAT a toutefois déclaré, jeudi, que 25 des 36 demandes de coordination générale pour la distribution de l’aide avaient été autorisées ce mercredi.
D’autres accusations d’actions prétendument génocidaires ont également été soulevées par les avocats sud-africains, notamment celle selon laquelle Israël aurait exécuté des centaines de Palestiniens et les aurait enterrés dans des fosses communes à l’hôpital Nasser de Khan Younès.
Des informations de sources ouvertes indiquent que ces tombes ont été creusées et remplies par des Palestiniens avant que les forces israéliennes n’entrent dans l’hôpital, le New York Times affirmant même que, selon son analyse, deux des trois fosses au moins ont été creusées avant l’opération de Tsahal dans la région, et qu’il n’y avait « aucun signe clair que les soldats israéliens avaient creusé de nouvelles tombes ou enterré d’autres corps dans les fosses préexistantes ».
Dans le but de tenter d’établir l’intention génocidaire d’Israël contre les Gazaouis, un pré-requis pour que la Cour agisse, Ngcukaitobi a cité des propos violents du ministre des Finances Bezalel Smotrich, repris par Haaretz fin avril : « Pas de demi-mesure. Rafah, Deir al-Balah, Nusseirat – anéantissement total. »
Cette tactique fait écho à celle utilisée par l’Afrique du Sud lors des audiences de janvier pour demander l’intervention de la CIJ, que la Cour a reprise dans sa décision d’émettre des ordonnances contre Israël.
Comme en janvier toujours, Ngcukaitobi a diffusé une vidéo de soldats de Tsahal, avant leur entrée dans la ville de Rafah, dans le sud de Gaza, en train de prier puis de chanter : « Nous allons démanteler Rafah ».
De nombreuses vidéos de soldats de Tsahal déployés à Gaza, en train de tenir des propos violents ou de se comporter de manière inappropriée, ont été publiées par les soldats eux-mêmes sur les réseaux sociaux et ont été fortement critiquées, à commencer par Tsahal elle-même, ce qui n’a pas pour autant tari leur diffusion.
En janvier, les juges ont ordonné à Israël de faire le nécessaire pour éviter les morts, destructions et actes génocidaires à Gaza, sans toutefois donner l’ordre de mettre fin à l’offensive militaire responsable de destructions massives dans l’enclave palestinienne. Dans une deuxième ordonnance en mars, la Cour a déclaré qu’Israël devait prendre des mesures pour améliorer la situation humanitaire.
Selon les termes de cette dernière demande, les précédentes ordonnances du tribunal de La Haye n’ont pas suffi face à « une attaque militaire brutale contre le seul refuge du peuple de Gaza ».
Israël sera autorisé à répondre aux accusations vendredi.
Gilad Erdan, ambassadeur d’Israël aux Nations unies, a déclaré mercredi sur l’antenne de la radio militaire que le court préavis donné par le tribunal pour les audiences de cette semaine ne permettait pas une correcte préparation. C’était « un signe révélateur », a-t-il déclaré.
Les audiences de cette semaine porteront uniquement sur la prise de mesures d’urgence et il faudra probablement des années avant que la cour puisse se prononcer sur l’accusation sous-jacente de génocide.
Une décision est attendue la semaine prochaine.