Marc Lipsitch, le professeur de Harvard que Netanyahu consulte sur le COVID-19
L'épidémiologiste, qui dit qu'il ne connaît pas assez les mesures prises jusqu'à présent par Israël pour commenter la politique de Netanyahu, appelle à un déconfinement sophistiqué
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Un éminent spécialiste de la santé a recommandé aux dirigeants israéliens de préparer un plan destiné à remettre en place les restrictions en cas de résurgence incontrôlée de l’épidémie, alors que le pays tente d’assouplir les réglementations d’urgence et de relancer l’économie.
Marc Lipsitch, un épidémiologiste de l’Université de Harvard qui conseille le Premier ministre Benjamin Netanyahu sur les stratégies possibles pour ramener le pays à un semblant de normalité, a déclaré que les responsables devaient maintenant réfléchir soigneusement à ce qu’ils feront en cas de reprise des contaminations, plutôt que d’attendre de se retrouver devant le fait accompli.
« Il doit y avoir des plans clairs sur la manière dont vous réimposerez des restrictions, s’il s’avère que les cas augmentent plus rapidement que prévu », estime M. Lipsitch, professeur d’épidémiologie, d’immunologie et de maladies infectieuses à l’école de santé publique T.H. Chan de Harvard.
« Cela peut être au niveau d’un village, ou même d’une usine ou d’une petite épidémie à un endroit. Ou encore au niveau de toute une région ou de tout un pays », explique-t-il. « Je ne dirais pas automatiquement que tout le pays doit se retrouver en quarantaine à cause d’un seul quartier ou d’une seule ville ».
M. Lipsitch, qui dirige également le Center for Communicable Disease Dynamics à Harvard, estime que le gouvernement n’a pas nécessairement besoin de planifier à l’avance des stratégies pour chaque scénario possible dans chaque localité.
« Je ne sais pas si cela doit être basé sur une formule », indique-t-il. « En fin de compte, c’est aux responsables de la santé publique de décider, mais il ne faut pas se dire : ‘Nous allons essayer et voir comment ça se passe, et s’il y a un problème, nous réévaluerons’. Cela doit être plus sophistiqué que cela ».
« Il faut trouver des moyens permanents de déterminer si les cas se propagent plus vite que le système ne peut gérer, et la réponse à cette situation doit être planifiée à l’avance, afin d’éviter que cela ne devienne une lutte acharnée entre les factions pour savoir dans quelle mesure nous devons ouvrir ou fermer ».
Alors que M. Netanyahu a cité Marc Lipsitch à deux reprises dans un discours prononcé samedi soir annonçant un assouplissement des restrictions, le Premier ministre n’a jamais publiquement expliqué ce qu’implique un assouplissement des restrictions ou quelle mesure pourrait être utilisée pour déterminer si les restrictions doivent être réimposées, se contentant d’avertir que le processus serait progressif et réversible.
Dans sa conversation avec Netanyahu samedi – quelques heures avant que le Premier ministre n’annonce, dans un discours télévisé à la nation, qu’Israël « commencera à alléger les restrictions dans la sphère personnelle et dans la sphère économique » – M. Lipsitch a souligné qu’il était crucial de réfléchir à l’avance à ce qu’il faudrait faire si l’expérience échouait.
Mais si le Premier ministre a évoqué la possibilité de revenir sur les étapes annoncées, il n’a pas indiqué qu’il avait élaborés des plans concrets sur la manière de réagir en cas de montée en flèche des contaminations.
« Si, dans les deux prochaines semaines, nous constatons que la tendance positive se poursuit, nous assouplirons les restrictions supplémentaires. Toutefois, si une nouvelle épidémie de coronavirus se déclare, nous serons contraints de faire marche arrière », a annoncé M. Netanyahu samedi soir.
« Je tiens à vous préciser que c’est ce que tous les pays font et ont l’intention de faire, sans exception. Certains ont déjà assoupli leurs restrictions et ont été contraints de rétropédaler parce que la pandémie avait de nouveau éclaté », a-t-il ajouté.
Il a ensuite fait remarquer que lui et le directeur général du ministère de la Santé, Moshe Bar Siman Tov, se sont entretenus avec l’épidémiologiste il y a peu. « Et il [Lipsitch] m’a dit : ‘Il n’y a pas d’autre moyen. Vous ouvrez, essayez et si vous avez besoin, vous fermez’. Bien sûr, le succès dépend en grande partie de nous, de nous tous », a fait savoir le Premier ministre.
S’adressant au Times of Israel par téléphone depuis Boston, M. Lipsitch a indiqué qu’il ne connaissait pas suffisamment les mesures prises jusqu’à présent par Israël pour commenter les politiques spécifiques de Netanyahu.
Mais il a critiqué le président américain Donald Trump pour avoir annoncé un plan de relance de l’économie américaine sans aborder les moyens de rétablir les restrictions si le taux d’infection augmentait à nouveau.
« Lors de la conférence de presse présidentielle de l’autre soir, un plan a été annoncé dans lequel la seule chose qui comptait était la manière dont nous allions retourner à la normale, et rien sur la manière dont nous saurions si c’était trop fort ou trop rapide », a-t-il déploré.
L’administration Trump a agi avec sagesse en fermant les frontières au moment où elle l’a fait, a-t-il ajouté. « Mais elle a ensuite complètement gâché l’opportunité [de combattre la maladie] en ne faisant rien », a-t-il accusé. « Tout ce qu’elle fait, c’est gagner du temps ».
Netanyahu a également cité sa décision de fermer rapidement les frontières comme un élément important pour maintenir le taux d’infection relativement sous contrôle en Israël, bien que certains critiques l’aient accusé de risquer des vies israéliennes en hésitant à ordonner l’auto-quarantaine des passagers arrivant des États-Unis, soi-disant pour éviter des tensions avec l’administration Trump ou avec la communauté haredi de ses alliés politiques.
M. Lipsitch a simplement déclaré que la fermeture des frontières n’est qu’une des nombreuses mesures à mettre en œuvre pour lutter efficacement contre une pandémie.
« J’ai des sentiments mitigés, car je pense que les restrictions aux frontières sont de toute façon imparfaites et ne devraient pas être au centre d’une politique, surtout si la propagation est déjà en cours dans un pays », a-t-il commenté. « D’autre part, dans les points bas d’une épidémie – au début et à la fin – les contrôles aux frontières sont plus importants ».