Pittsburgh : une veillée interconfessionnelle pour aider une communauté déchirée
Entre deuil et colère, des milliers de Juifs et de non-Juifs, à Squirell Hill et dans tout le pays, se sont rassemblés pour marquer la fin de Shabbat et pleurer les victimes

PITTSBURGH (JTA) — C’est, après tout – comme pourront vous le dire tous ses habitants – le quartier de M. Rogers. Les gens, ici, s’occupent les uns des autres.
Alors quand des élèves d’Alderdice, un lycée situé dans le quartier de Squirrel Hill, à Pittsburgh, ont émergé de la synagogue, de leurs habitations, de leurs cafés après trois heures et demi passés à s’abriter, à se réfugier face à l’horreur, ils ont su quoi faire. Un texto s’est propagé : Rendez-vous à Starbucks.
Sophia Levin, 15 ans, raconte que ce réseau a été mis en place au mois de mai – lorsqu’un groupe d’élèves d’Alderdice avait organisé une manifestation en solidarité avec la marche des élèves du lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland, en Floride, à l’occasion de la dernière tuerie de masse qui avait mobilisé l’attention de la nation.
Ce sont les élèves, majoritairement des filles, qui ont décidé qu’une cérémonie de la havdalah – qui marque la séparation du Shabbat et du reste de la semaine – serait le meilleur moyen de représenter les sentiments de tous à l’issue de cette sombre journée. Le mot est passé et, à 17 heures 30, ce sont des milliers de personnes, Juifs et non-Juifs, qui se sont retrouvées à l’intersection de la Forbes Avenue et de la Murray Avenue, à quelques pas seulement du centre communautaire juif de Pittsburgh, le coeur de la communauté juive.
Interrogez les habitants au sujet de feu Fred Rogers, et ils souriront et vous montreront l’endroit où cette icône de la gentillesse, qui a illuminé la télévision pour enfants, a passé la majorité de son existence.
Mais hier, le sourire a disparu et les visages se ferment à l’approche de la congrégation Tree of Life. Là-bas, un homme armé qui a crié être déterminé à tuer des Juifs a assassiné 11 personnes, samedi matin, pendant une brit milah, une cérémonie de circoncision, avant qu’une équipe d’intervention ne parvienne à l’arrêter.

La veillée a lieu au crépuscule, quelques heures après la fusillade et avant même que l’identité des victimes ait été diffusée.
« Je m’occupe de certains membres de cette communauté », explique Katie Brinton, infirmière, qui n’est pas elle-même juive. « Je suis allée dans des camps d’été juifs ».
Elle est venue à la veillée en compagnie de son époux, Tristan Palazzolo, et de leur tout jeune fils, Marin.
« J’ai de la chance de vivre ici », ajoute-t-elle. « C’est un endroit merveilleux ».
Mais a-t-elle été surprise par ce qui est arrivé ? La réponse est non.
« Il y a du nazisme et de l’antisémitisme ici », déplore-t-elle, se référant à la série de meurtres racistes et antisémites menée par Richard Baumhammers dans la ville, en l’an 2000. Baumhammers avait tué cinq personnes, notamment son voisin juif, et avait tiré sur une synagogue.
« Je n’ai jamais été dans le déni. Mais cela n’était jamais arrivé aussi près », dit Brinton.

Cette tension – entre la défiance d’une petite communauté diversifiée où des amitiés d’une vie se nouent entre voisins, et la réalisation qu’au-delà de ses rues parsemées d’arbres proprement alignés le long des maisons mitoyennes, la colère est là et se métastase – est aussi frappante durant cette veillée que peut l’être la séparation marquée par la cérémonie de la havdalah, qui met un terme au Shabbat.
Andy Gespass, 63 ans, avocat, regarde son épouse, Debbie, donner des indications au téléphone à ses amis. « Nous sommes au passage piétons », dit-elle. « Viennent-ils ? », demande-t-il, aussi nonchalamment qu’un hôte attendant des amis à dîner.
« Nous attendons qu’ils publient les noms », ajoute-t-il, se référant aux 11 morts – c’est un propos très entendu dans la foule. « Je suis sûr qu’on connaît certains d’entre eux », renchérit son épouse.
« C’est tout ce vitriol qui remonte à la surface », commente pour sa part Andy Gespass, évoquant le climat politique. « Cela ne fait qu’empirer et empirer encore ».

Pour un grand nombre de personnes de l’assistance, la fusillade paraît être un élément découlant d’autres horreurs récentes : Les 13 colis piégés qu’un homme de Floride, obsédé par les ennemis de Trump, a envoyé à d’importantes personnalités libérales et démocrates ; la fusillade de Parkland ; la marche néo-nazie meurtrière organisée à Charlottesville, en Virginie, en 2017 ou de cet homme qui, dans le Kentucky, avait tué deux Afro-américains dans un Kroger et qui avait essayé de pénétrer dans une église afro-américaine.
« Nous ne connaissons habituellement pas ce genre de choses à Squirrel Hill », indique Tamara Bizyayev, une infirmière venue à la veillée avec son mari, Alex Kosheni. « Dieu est au centre de la ville », dit-elle, désignant du menton l’église installée à côté du centre communautaire juif.
« Il y a au moins cinq synagogues à deux pas », dit Kosheni, interprète médical.
Il y a eu des veillées similaires organisées samedi soir dans tout le pays, des non-Juifs se joignant aux Juifs pour exprimer leur solidarité.
« Je viens à vous le coeur lourd et brisé en mille morceaux par ce qu’il s’est passé aujourd’hui », a dit Debbie Almontaser, du Muslim Community Network de New York lors d’une veillée à l’Union square de Manhattan, organisée par le groupe Jews for Racial and Economic Justice.

Bend the Arc: Jewish Action, un groupe juif progressiste, s’est rendu à différentes veillées, de Boston au New Jersey en passant par Minneapolis.
A Squirrel Hill, les Juifs, dans la foule, commencent à chanter doucement des psaumes et des prières traditionnelles comme « Oseh Shalom », l’artisan de paix, « Gesher Tzar Meod », une passerelle très étroite et « Hineh Ma Tov uMah Naim » – ou combien il est agréable et plaisant pour des frères et des soeurs de se rassembler. Une bruine a commencé à tomber. Les parapluies s’ouvrent.
Avant la prière de la havdalah, les organisateurs de la veillée s’expriment.
« Un homme tellement haineux, si rempli d’antisémitisme, n’aurait jamais dû avoir la possibilité de prendre une arme », a commenté Cody Murphy, 17 ans. « Cet homme était un nazi et il a arraché onze vies parce qu’elles étaient juives. Nous avons le droit d’être en colère ».

Sophia Levin, petite, hésitante, portant un chapeau en laine pour défier le froid, se place devant le micro.
« Aujourd’hui, je suis une juive différente », dit-elle. « Tree of Life était la synagogue où allaient mes grands-parents, là où nous allions pendant les grandes fêtes, nous y prenions tant de plaisir…Tree of Life ne sera plus jamais la même ».
Simone Rothstein raconte s’être abritée, ce matin, dans le sanctuaire de Beth Shalom, une synagogue avoisinante qu’elle fréquente chaque semaine pour les services, et avoir dû apaiser les angoisses de sa petite soeur de huit ans.
« Est-ce qu’il va venir ici ? » se souvient-elle avoir pensé. Dans une interview accordée peu après, le visage de Rothstein se crispe. Décrire cette journée à tous, à un journaliste ? Et si cela donnait des idées à d’autres esprits remplis de haine ?
« Ce n’est pas une bonne chose de ne pas pouvoir évoquer votre synagogue », dit-elle.

Une femme dirige l’assistance pendant le Mi SheBeirach, la prière qui souhaite la guérison des malades, puis pendant la prière de la havdalah. Les Juifs et non-Juifs présents, venus avec des bougies, les allument et l’odeur de la cire brûlée envahit l’intersection. Puis la foule chante sur un enregistrement sourd du rappeur juif Matisyahu qui y entonne sa prière pour un monde sans violences, « One Day ».
La cérémonie se termine alors.
Ou presque.

« Nous sommes encore Squirrel Hill », crie une voix masculine, et la foule se joint à lui. « Votez ! », crie un autre homme, alors que l’assistance entonne et répète : « Votez ! Votez ! Votez ! »
« Cet événement a-t-il été une réussite ? », demande un journaliste à Sophia Levin.
Elle acquiesce.
« Cela a renforcé notre communauté », dit-elle. « Le plus important dans le judaïsme, pour moi, c’est le sens de la communauté ».
Emily Burack a contribué à cet article depuis New York.
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