Pourquoi la guerre contre le Hamas s’essouffle
Il était prévisible que le démantèlement du Hamas serait plus difficile dans le sud de Gaza que dans le nord. Mais ce défi est exacerbé par l'ambivalence persistante des dirigeants politiques
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Plus de 100 jours après le 7 octobre, la campagne militaire cruciale menée par Israël pour détruire le Hamas – pour l’empêcher de commettre d’autres massacres, pour dissuader nos autres ennemis, pour permettre aux Israéliens de retourner en toute sécurité dans les zones frontalières et pour nous permettre de dormir paisiblement dans nos lits partout – a nettement perdu de son élan. Elle n’est certainement pas figée, mais il y a certainement eu un net ralentissement.
Cela s’explique en partie par la nature et les exigences particulières de la campagne dans le sud de la bande de Gaza. Mais c’est aussi en grande partie dû à l’absence de direction politique claire, le désastre causé par le Hamas risquant aujourd’hui d’être amplifié par l’irresponsabilité des décideurs politiques du pays qui supervisent la riposte.
Le défi militaire dans le sud de la bande de Gaza est bien plus complexe que dans le nord. Mais l’ambivalence volontaire et les atermoiements des dirigeants politiques empêchent les chefs des Tsahal de connaître avec exactitude les objectifs à moyen ou à long terme qu’ils sont censés poursuivre, en particulier à la frontière Gaza-Égypte.
Depuis quelques jours, le ministère de la Défense encourage les habitants des communautés de l’ouest du Neguev situées à 4-7 kilomètres de Gaza à rentrer chez eux. En raison de la capacité dont dispose toujours le Hamas de leur envoyer des roquettes, la plupart des habitants ne souhaitent pas rentrer chez eux, ont déclaré mardi les responsables des conseils locaux au Premier ministre Benjamin Netanyahu. Ce dernier aurait accédé à leur demande de reconsidérer le calendrier et de fournir des fonds publics pour leur permettre de rester dans des logements temporaires ailleurs jusqu’à la fin de l’été.
C’est avec détermination, résilience et au prix de combats de « haute intensité », l’aviation ciblant les infrastructures du Hamas avant l’arrivée des forces terrestres, que Tsahal a pris le contrôle du nord de la bande de Gaza et a attaqué les bataillons du Hamas dans le centre de la bande, sans toutefois remporter de succès absolu. Ces tactiques ont, en effet, fait des ravages dans le nord de la bande de Gaza, où le Hamas avait piégé « une maison sur deux », selon les dires des responsables de Tsahal.
Malgré les efforts de l’armée israélienne et ses appels répétés aux non-combattants pour qu’ils quittent les lieux, les bombardements ont fait un grand nombre de victimes civiles, parmi lesquelles les terroristes du Hamas qui se battent sous l’apparence de civils. Le nombre de morts chez les soldats de Tsahal aurait été beaucoup plus élevé si l’on avait moins fait appel à l’armée de l’air.
Depuis que l’armée a tourné son attention vers le sud – vers Khan Younès, où elle pense qu’une grande partie des dirigeants du Hamas se cachent, et utilisent probablement des otages comme boucliers -, il a fallu remplacer la guerre de haute intensité par des opérations plus chirurgicales ; les zones du sud de Gaza qui sont habituellement densément peuplées le sont encore plus aujourd’hui, car la quasi-totalité de la population déplacée du nord de la bande de Gaza s’y trouve désormais également.
Le démantèlement du Hamas à Khan Younès ne sera pas une partie de plaisir. Les principaux dirigeants du Hamas, dont aucun n’a encore été éliminé à Gaza, sont persuadés qu’ils pourront tenir jusqu’au bout. Ils ont pu constater que, non seulement une grande partie de la communauté internationale ignore allègrement les massacres qu’ils ont commis le 7 octobre dans le sud d’Israël et auxquels Israël n’a eu d’autre choix que de répondre par une campagne, mais qu’en plus de cela, les manifestations se multiplient et des initiatives juridiques sont lancées – telles que des accusations de génocide à La Haye – pour tenter d’imposer un cessez-le-feu immédiat qui laisserait le Hamas dans une position d’où il lui serait facile de se relever et de reprendre ses massacres d’Israéliens.
Des profondeurs du monde souterrain qu’il a construit aux dépens des civils de Gaza, un réseau bien plus étendu et sophistiqué que ne le pensait Tsahal en entrant, les dirigeants du Hamas, ouvertement génocidaires, ne peuvent que se réjouir de la diffamation qui a placé Israël sur le banc des accusés.
Au-delà des complexités opérationnelles rencontrées à Khan Younès, les dirigeants politiques israéliens refusent obstinément de fournir à leurs commandants militaires la vision stratégique qui leur permettrait de relever le défi qui se pose au pied de la bande de Gaza, à Rafah et tout au long des 14 kilomètres de frontière entre Gaza et l’Égypte, la « route de Philadelphie« .
Le processus de prise de décision
Au fil des semaines et des mois, de plus en plus de voix se sont élevées au sein de Tsahal et de la formation « Ahdut Leumit » de la coalition de l’état d’urgence dirigée par Benny Gantz, pour réclamer un débat au sein du cabinet et une décision sur la manière dont Israël envisage de gouverner la bande de Gaza après la guerre. Cette demande a atteint un point critique : le chef de l’armée israélienne, Herzi Halevi, aurait averti que les progrès réalisés en plus de trois mois de combats risquent d’être érodés « parce qu’aucune stratégie n’a été élaborée pour le jour d’après », et Gantz a écrit une lettre à Netanyahu l’exhortant de prendre une décision immédiatement.
Il est urgent d’aller au-delà des discours répétés de Netanyahu sur la nécessité de se battre jusqu’à la victoire et de faire en sorte que Gaza ne constitue plus jamais une menace pour Israël. Il est tout aussi urgent de formuler des cadres spécifiques pour la sécurité autour de Gaza et la gouvernance à l’intérieur de la bande. Rafah en est l’une des principales raisons.
Comme c’est le cas depuis son retrait unilatéral de Gaza en 2005, Israël n’a aucun contrôle sur la frontière entre Gaza et l’Égypte. Et depuis que le Hamas a chassé l’Autorité palestinienne (AP) du pouvoir, deux ans plus tard, le couloir Philadelphie relève essentiellement de la seule responsabilité de l’Égypte. Certains hauts responsables de Tsahal affirment que l’Égypte a échoué à empêcher le Hamas de faire passer par cette frontière tout ce qu’il voulait pour sa machine de guerre ; d’autres racontent une histoire différente, celle des efforts égyptiens pour empêcher de telles importations.
Toutefois, pour autant que nous le sachions, Israël n’a eu aucun contact substantiel avec les Égyptiens sur la manière de sceller cette frontière. Netanyahu a déclaré il y a quinze jours qu’il est essentiel que nous ayons le contrôle du corridor de Philadelphie. Samedi soir, il a modifié cette position définitive, décrivant l’idée d’un contrôle israélien comme « une possibilité pour ce que j’appelle une barrière sud ».
Alors que Tsahal envisage d’éventuelles attaques contre le Hamas à Rafah – où la densité de population est encore plus élevée – les 400 000 habitants de la ville étant, selon de nombreux articles, passés à quelque 1,2 million – il est parfaitement irresponsable de la part de ses dirigeants politiques de ne pas avoir indiqué de manière claire aux militaires s’il était prévu qu’ils reprennent la zone frontalière, que ce soit à titre temporaire ou permanent.
De son point de vue personnel, il est parfaitement logique que Netanyahu refuse obstinément de tenir des discussions de fond sur la « Gaza de l’après-guerre ». Les alliés d’extrême droite dont dépend son mandat à la tête de l’État souhaitent voir Israël reprendre le contrôle permanent de la bande de Gaza et y relancer les implantations juives. Netanyahu ne veut peut-être pas qu’Israël assume l’entière responsabilité de gouverner les 2,3 millions de Gazaouis endoctrinés par le Hamas. Mais, comme c’est le cas depuis l’arrivée au pouvoir de sa coalition dure il y a un peu plus d’un an, il n’ose pas risquer de perdre le pouvoir en défiant Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir.
C’est ainsi que le débat crucial du « jour d’après » et le processus de prise de décision n’ont jamais été sérieusement abordés au sein du cabinet de sécurité ; une tentative s’est transformée en une embuscade politique contre le chef d’état-major de Tsahal. Tsahal mène donc une campagne extrêmement complexe dans le sud de Gaza sans vraiment savoir quels sont ses objectifs et ce qu’elle est censée protéger.
Dans ce contexte, il n’est pas du tout surprenant que les familles de nombreux otages encore détenus à Gaza demandent instamment un accord avec le Hamas, même au prix d’un cessez-le-feu prolongé ; Gantz et son principal collègue du HaMahane HaMamlahti, Gadi Eisenkot, seraient d’accord avec eux.
Des objectifs qui changent
L’administration Biden, sans laquelle Israël ne pourrait tout simplement pas continuer à se battre et dont les représentants participent régulièrement aux discussions du cabinet de guerre israélien, assiste à tout cela avec une consternation croissante.
Le président américain Joe Biden étant soumis à une pression croissante en cette année électorale pour son soutien à Israël et son opposition à un cessez-le-feu permanent, les préoccupations de Netanyahu, peu apprécié, sur ses déboires politiques intérieurs ne trouvent pas vraiment d’écho au sein de l’administration.
Lors de sa dernière visite, le secrétaire d’État américain Antony Blinken, ouvertement préoccupé par une escalade potentielle sur d’autres fronts, a évité de parler de destruction ou de démantèlement du Hamas et a au contraire soutenu à plusieurs reprises ce qu’il semble avoir décidé unilatéralement comme étant désormais l’objectif d’Israël, à savoir « s’assurer que le 7 octobre ne puisse plus jamais se reproduire ».
Si c’est cette formulation qui guide désormais Washington – plutôt que « l’objectif légitime » de « l’élimination du Hamas » que le président Biden avait défendu jusqu’à présent – alors les Etats-Unis, qui voient le gouvernement israélien échouer à mener de manière responsable une campagne militaire extrêmement difficile, vont certainement continuer à augmenter la pression pour faire cesser les combats.
Tsahal parle encore d’une guerre qui se poursuivra tout au long de l’année 2024. Il est certainement occupé à élaborer des tactiques visant à maintenir une pression écrasante sur le Hamas, même en l’absence de combats de haute intensité et avec un déploiement de troupes nettement réduit.
Or, ce dont il a besoin, c’est d’une orientation politique claire. Sinon, Israël risque de voir perdurer le leadership et les terroristes du Hamas, dont une partie n’aura même pas été affectée, ce qui ne manquerait pas de ravir nos autres ennemis, tout en privant de sécurité les Israéliens du sud, du nord et de tout ce qui se trouve entre les deux.
Une situation qui serait aussi inadmissible qu’insoutenable.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel