Pourquoi le débat télévisé est absent de la campagne électorale en Israël ?
Lapid a proposé à Netanyahu un face-à-face et le Premier ministre semble l'envisager. Mais si un débat l'a aidé à gagner en 1996, ce n'est peut-être plus la bonne chose à faire
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
En 1996, quelques jours avant les élections, le candidat Benjamin Netanyahu avait infligé une raclée au Premier ministre sortant, Shimon Peres, lors d’un débat en tête-à-tête dans un studio de télévision. Peres, qui avait endossé le poste de Premier ministre après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, semblait fatigué et avait l’air condescendant ; son rival était énergique et bien préparé.
Peres semblait partir du principe que le poste lui revenait de droit et que l’arriviste Netanyahu faisait preuve d’impertinence en le défiant, d’autant plus que le leader du Likud et ses alliés de droite avaient joué un rôle central dans la dégradation du climat politique avant l’assassinat de Rabin par un extrémiste juif.
Les performances contrastées dans ce studio ont contribué à faire basculer l’élection en faveur de Netanyahu : il l’a emporté, avec moins de 30 000 voix d’écart, et sa performance dans le débat a sans doute fait la différence.
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Trois ans plus tard, en avril 1999, Netanyahu remettait son titre en jeu et participait à un second débat télévisé – contre son propre ancien ministre de la Défense, Yitzhak Mordechai – avec moins de succès. (C’était pendant la brève période où les Israéliens déposaient deux bulletins de vote – un pour élire le Premier ministre et le second pour élire un parti.) Mordechai, qui a fini par se retirer de la course, s’est montré bien plus efficace que Peres, marquant des points avec des attaques sur l’honnêteté et l’intégrité de Netanyahu.
Ehud Barak, leader de Israel A’hat (le Parti travailliste), avait choisi de ne pas se manifester, laissant les deux alliés devenus rivaux s’affronter. Cette décision s’était avérée judicieuse. Barak a remporté les élections du mois suivant. Et Netanyahu a apparemment appris une leçon.
Depuis lors, il a résolument évité les débats formels en studio avec ses différents adversaires et les a tous écartés au cours de ses 12 années record en tant que Premier ministre.
Ce qui se rapproche le plus d’un débat, c’est un bref affrontement avec le leader de l’Union sioniste (travailliste) Isaac Herzog sur la Douzième chaîne avant les élections de 2015 – avec Herzog dans le studio et Netanyahu dans son bureau – au cours duquel Netanyahu a surpris un Herzog plutôt déconfit. (Les autres principaux chefs de parti ont en fait accepté de s’affronter dans le même studio pendant cette campagne.)
Les disputes entre politiciens ne manquent certainement pas en Israël. Il y en a chaque jour à la télévision et à la radio, même en dehors des périodes de campagne électorale.
Mais les débats en studio qui sont si caractéristiques des élections présidentielles américaines, par exemple, où les candidats peuvent être examinés de manière formelle, brillent par leur absence en Israël.
Netanyahu, un orateur si compétent et si habile, a manifestement le sentiment qu’il a plus à perdre qu’à gagner dans cet environnement étroit.
De plus, il est convaincu que le fait d’être prêt à s’asseoir dans un studio de télévision avec des gens comme Yair Lapid, Naftali Bennett de Yamina et/ou Gideon Sa’ar de Tikva Hadasha placerait ses rivaux sur un pied d’égalité tacite avec lui. Et c’est la dernière chose qu’il souhaite faire, en particulier dans cette campagne, où il martèle qu’aucun de ses successeurs potentiels n’est à la hauteur de son expérience et de ses relations tant au niveau national qu’international – ces derniers facteurs ayant été si cruciaux, comme il le dit dans ses interviews désormais quasi-quotidiennes dans les médias israéliens, pour permettre à Israël d’obtenir si rapidement de nombreuses doses de vaccin contre le coronavirus.
La tactique du « débattez avec moi » de Lapid est tout à fait logique. Comme l’a déclaré le leader de Yesh Atid dans une interview au Times of Israël la semaine dernière, « il est si difficile pour les gens d’imaginer que Bibi ne soit pas le Premier ministre, que cela donne le ton ». Son propre fils, a noté Lapid, « est né en 1995. Bibi [Netanyahu] a été élu pour la première fois en 1996. Mon fils a grandi, est allé au lycée, a rencontré une jeune femme, ils se sont fiancés, ils ont rompu les fiançailles, il est allé à l’armée, il a servi trois ans, il a quitté l’armée, il a commencé l’université, il termine maintenant sa licence. Et Netanyahu est toujours Premier ministre. »
À mesure que l’ère Netanyahou se prolonge, de moins en moins d’Israéliens se souviennent de l’époque pré-Bibi. Et quand vous êtes un petit pays dans une région hostile, la force d’attraction exercée par le diable que vous connaissez, même si vous avez commencé à prendre ce proverbe au pied de la lettre, est encore plus forte…
Défier Netanyahu dans un débat télévisé donnerait à Lapid l’occasion d’essayer de persuader le public de franchir un obstacle psychologique toujours plus grand : envisager que quelqu’un d’autre que Netanyahu soit capable de diriger Israël. C’est un obstacle psychologique dont Bennett et Sa’ar sont également bien conscients ; c’est pourquoi ils ont tous deux pris soin, lors de nos récentes interviews, d’affirmer que le pays se porterait très bien sous leur direction.
À mesure que l’ère Netanyahu se prolonge, de moins en moins d’Israéliens se souviennent de l’époque pré-Bibi. Et quand vous êtes un petit pays dans une région hostile, la force d’attraction exercée par le diable que vous connaissez, même si vous avez commencé à prendre ce proverbe au pied de la lettre, est toujours la plus forte. Ses adversaires se battent donc non seulement contre l’efficacité redoutable de la campagne électorale de Benjamin Netanyahu, mais aussi contre le fait que les mots « Premier ministre » et « Benjamin Netanyahu » sont devenus de plus en plus synonymes.
Dans une interview accordée mardi à l’une des plateformes pro-Netanyahu les plus flagorneuses, l’émission d’information du soir de Jacob Bardugo sur la radio de l’armée, le leader du Likud a laissé entendre qu’il accepterait de se mesurer à Lapid dès lors que le leader de Yesh Atid « cesserait de se cacher » derrière Bennett et Sa’ar et admettrait « qu’il se présente comme Premier ministre ».
Nous verrons bien. Tout dépendra de Netanyahu et s’il pense avoir besoin du genre de coup de pouce supplémentaire qu’il a obtenu en 1996. En l’état actuel des choses, les sondages montrent qu’il est tout à fait susceptible de conserver le pouvoir, en supposant que le parti Yamina de Naftali Bennett rejoigne finalement sa coalition, et ce à un moment où de nombreux Israéliens ne sont pas tout à fait convaincus que le pire du COVID-19 est passé. Dans un sondage réalisé mercredi soir par la Douzième chaîne, seuls 24 % des personnes interrogées ont déclaré être d’accord avec les déclarations de Netanyahu selon lesquelles la pandémie était essentiellement derrière nous ; ce chiffre ne peut qu’augmenter si les tendances actuelles de la COVID-19 continuent de s’améliorer, ce qui, à son tour, augmentera les chances de réélection de Netanyahu.
Netanyahu devrait également être certain de sortir victorieux d’un affrontement avec Lapid, ancien présentateur de télévision à l’aise face caméra. Rien qu’en entrant dans un studio de télévision en tête-à-tête avec un rival, après tout, Netanyahu signalerait que son poste de Premier ministre est remis en jeu. Pourquoi ferait-il une chose pareille ?
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel