Israël en guerre - Jour 535

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Pourquoi les banques en Israël veulent savoir d’où vient l’argent des clients ?

Pendant de nombreuses années, Israël a été la "Suisse des Juifs" en matière d'évasion fiscale pour les étrangers. Puis, les États-Unis ont commencé à sévir

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Une agence de la Banque Leumi (Crédit photo : Moshe Shai/Flash90)
Une agence de la Banque Leumi (Crédit photo : Moshe Shai/Flash90)

Les Israéliens qui tentent de transférer d’importantes sommes d’argent de l’étranger vers leurs comptes bancaires ont récemment rencontré des difficultés.

Un jeune homme, un des premiers investisseurs de Bitcoin, a déclaré au Times of Israel que lorsqu’il a essayé de rapatrier plusieurs centaines de milliers de dollars de revenus de Bitcoin de Gibraltar en Israël, sa succursale locale de la Banque Hapoalim a refusé d’accepter le virement bancaire.

Les Israéliens ayant des intérêts commerciaux à l’étranger déclarent avoir été convoqués par leur banque locale, afin de justifier la provenance de leur argent et, s’ils n’étaient pas en mesure de fournir des explications satisfaisantes, de voir leur compte bancaire fermé.

Un agent immobilier qui vend des appartements haut de gamme à des immigrants et des touristes français s’est récemment plaint au Times of Israel que son entreprise rencontrait des difficultés parce que les banques avaient commencé à poser des questions sur la provenance de l’argent de ses clients.

La raison de ces changements, a déclaré la superviseuse des banques, Mme Hedva Ber lors d’une conférence en décembre, est que trois des principales banques israéliennes ont fait l’objet d’une enquête criminelle au cours des sept dernières années de la part du ministère américain de la Justice pour avoir prétendument aidé des milliers de citoyens américains à blanchir de l’argent et à échapper aux impôts – un phénomène assez dévastateur qui a suscité étonnamment peu d’attention de la part du public.

Hedva Ber, superviseuse des banques à la Banque d’Israël, (à droite), lors d’une conférence de presse à Tel Aviv, le 24 mai 2017 (Crédit : Autorisation Shoshanna Solomon)

« Il y a vingt ans, les banques israéliennes ne demandaient pas aux clients d’où provenait leur argent et elles ne demandaient pas s’ils avaient payé des impôts ou non », a expliqué Mme Ber.

« Mais aujourd’hui, chaque fois que je me rends dans une banque, les employés n’ont qu’un seul mot à la bouche : conformité, conformité. Au cours des dernières années, nous avons indiqué aux banques que nous ne tolérons aucun risque en matière de conformité. S’il y a un doute, alors il n’y a pas de doute : n’ouvrez pas de compte [pour les clients à haut risque] et n’effectuez pas de transactions ».

La Banque Leumi a admis avoir commis des actes répréhensibles en 2014, reconnaissant auprès du ministère américain de la Justice qu’elle avait consenti à aider et faciliter la production et la communication de fausses déclarations fiscales à au moins 1 500 contribuables américains à l’Internal Revenue Service des États-Unis en cachant des revenus et des actifs dans des comptes bancaires offshore en Israël et ailleurs dans le monde.

Selon un communiqué de presse du ministère américain de la Justice, l’“activité criminelle” de la Banque Leumi a duré plus d’une décennie, de 2000 à 2011 au moins, période pendant laquelle la Leumi a également servi de « boîte postale » pour environ 2 450 comptes américains, les relevés bancaires étant détenus à l’étranger et non envoyés à l’adresse du client aux États-Unis.

Pour éviter les poursuites, la banque Leumi a accepté de payer 400 millions de dollars d’amendes aux gouvernements des États-Unis et de l’État de New York.

L’intérieur de la succursale numérique phare de la Banque Hapoalim (Autorisation)

En attendant, les banques Hapoalim et Mizrahi font toujours l’objet d’une enquête du ministère de la Justice et on s’attend à ce que le nombre de clients concernés et le montant des amendes soient d’une ampleur similaire.

Pourquoi les Israéliens n’en savent-ils pas plus sur ces enquêtes ? Après tout, la fuite des Panama Papers de 2016, qui a identifié et couvert de honte les titulaires de comptes bancaires offshore, a donné lieu à des manifestations de rue dans le monde entier, à la démission du Premier ministre islandais et à d’innombrables enquêtes des autorités.

Depuis la crise financière de 2008, il y a eu une prise de conscience croissante dans le monde entier sur le fait que la plupart des citoyens les plus riches du monde ont recours à des systèmes de confidentialité offshore pour échapper aux impôts et aux lois de leur pays. Les personnes riches et sans scrupules ont eu recours à des sociétés offshore pour toutes sortes de choses, qu’il s’agisse de cacher des biens à un conjoint en cas de divorce, de cacher de l’argent aux créanciers ou de cacher de l’argent obtenu de façon malhonnête.

Si les Israéliens connaissaient les noms des personnes qui blanchissent de l’argent par l’intermédiaire des banques israéliennes, ils pourraient faire la lumière sur d’éventuelles pratiques corrompues et criminelles qui restent actuellement dans l’ombre. Alors pourquoi les enquêtes criminelles contre trois des plus grandes banques israéliennes sont-elles si peu connues du public ?

Selon David Shuster, avocat au sein du groupe International Tax Services du cabinet comptable new-yorkais Friedman LLP et directeur des Tax Controversy Services de ce cabinet, c’est parce qu’aucun des acteurs impliqués ne manifeste un intérêt particulier pour les feux de la rampe.

« Du point de vue du gouvernement américain, il s’agit d’une procédure courante. S’il n’y a pas de raison de révéler des détails sur leur enquête, ils ne le feront pas », a indiqué M. Shuster, qui représente de nombreux citoyens américains qui avaient des comptes bancaires non déclarés en Israël et qui ont été arrêtés par les autorités américaines ou qui se sont manifestés volontairement.

« C’est la même chose pour les banques. Sur les conseils de leurs avocats, ils vont en dire le moins possible. Plus ils en disent, plus il sera possible d’apporter des preuves contre eux. C’est une attitude classique en matière d’enquête et de litige. »

« La Suisse des Juifs »

Pendant de nombreuses années, les banques israéliennes ont fourni essentiellement les mêmes services que les banques suisses, à l’exception des lois sur le secret bancaire.

« Israël a été la Suisse des Juifs », a déclaré Ronen Bar-El, professeur d’économie à l’Open University d’Israël, au Times of Israel.

Shuster a dit que lorsque l’enquête sera terminée, le ministère de la Justice publiera un communiqué de presse qui dira sans détour quelque chose comme « la banque reconnaît qu’elle a violé les lois américaines et accepte de payer une amende de X millions de dollars ».

Il y aura peu de scandales et il est très peu probable qu’un seul des dirigeants de la banque soit condamné à une peine de prison. Néanmoins, la raison pour laquelle les banques israéliennes font preuve d’une prudence supplémentaire dans l’examen des sources de revenus des clients est pour ne pas irriter davantage le ministère de la Justice et pour limiter au minimum la sanction qu’elles devront payer.

« Si les banques israéliennes posent davantage de questions sur la provenance de leurs dépôts, elles ne font que leur devoir de diligence pour éviter d’être du mauvais côté lors de la prochaine enquête américaine », a déclaré M. Shuster.

Entre-temps, certains des Israéliens qui ont déclaré avoir eu des difficultés à transférer de l’argent sur leur compte bancaire ont trouvé des moyens de contourner le problème. Le millionnaire des Bitcoins a consulté l’un des cabinets d’avocats les plus prestigieux d’Israël, qui lui a donné le nom d’une société israélienne spécialisée dans les transferts de fonds « à haut risque » et l’a assuré qu’elle serait en mesure de mener à bien la transaction.

Comment tout a commencé

En 2007, Bradley Birkenfeld, un employé américain d’UBS en Suisse, a décidé de dénoncer l’ensemble du système bancaire suisse. Des dizaines de milliers de riches Américains ont placé des revenus non déclarés sur des comptes bancaires suisses, une pratique illégale. Mais en raison des lois suisses strictes sur le secret bancaire, si ces Américains pouvaient faire parvenir leur argent en Suisse sans être détectés, les banques suisses garderaient leur secret.

Les clients ont trouvé des moyens originaux pour transférer leur argent en Suisse, que ce soit par yacht privé comme dans le film « Le Loup de Wall Street » ou bien, comme le raconte Birkenfeld, en espèces dans un ours en peluche.

Dans la foulée de ses révélations, les Etats-Unis ont exigé en 2009 que l’UBS remette les noms de milliers de ses riches clients américains, ce qui était le premier d’une série de coups portés à 300 ans de secret bancaire suisse.

L’enquête américaine s’est étendue à d’autres banques suisses, puis à quelques autres pays, dont le Luxembourg. Puis, en 2011, Reuters a rapporté que le Département de la Justice enquêtait sur trois banques israéliennes qu’il soupçonnait d’avoir aidé les Américains à blanchir de l’argent et à échapper aux impôts par le biais de leurs succursales suisses.

« Le transfert vers Israël depuis la Suisse », indique le rapport, « pendant des années, le principal objectif de la campagne du ministère de la Justice contre le secret bancaire privé offshore, marque un tournant dans l’élargissement d’une enquête de l’agence qui a commencé en 2007 avec UBS AG, la plus grande banque de Suisse ».

Shuster a déclaré au Times of Israel qu’une fois que l’enquête sur l’évasion fiscale avait commencé, elle ne pouvait que s’étendre. C’est parce qu’à partir de 2009, le fisc a commencé à proposer des programmes de déclaration volontaire aux citoyens et aux résidents ayant des comptes bancaires à l’étranger. Craignant de se faire prendre, plus de 56 000 citoyens américains se sont fait connaître de leur plein gré.

« Le gouvernement a obtenu de plus en plus de pistes à partir de ces déclarations volontaires et c’est peut-être ainsi que la piste a conduit aux banques israéliennes », a supposé Shuster.

Au moment de l’écriture de ces lignes, l’enquête du gouvernement américain s’est étendue à une centaine de banques (la plupart suisses) et à une cinquantaine de personnes. Plus de 50 000 personnes se sont présentées dans le cadre du programme de divulgation volontaire et le fisc américain [Internal Revenue Service – IRS] a récupéré plus de 11 milliards de dollars à ce jour, a déclaré M. Shuster.

De tels stratagèmes d’évasion fiscale existaient depuis plusieurs décennies, mais une fois que Birkenfeld a lâché sa bombe, le gouvernement américain n’avait pas d’autre choix que de sévir, disent les analystes. En outre, après la crise financière de 2008, de nombreux pays cherchaient des moyens d’accroître leurs ressources financières.

Ces circonstances ont conduit à l’adoption de la FATCA en 2010 et de le Common Reporting Standard en 2014, en vertu de laquelle plus de 100 pays signataires se sont engagés à se communiquer les informations financières des citoyens étrangers.

« En règle générale, lorsqu’il y a application de la loi ou du moins l’apparence d’application de la loi, la conformité augmente considérablement », a déclaré M. Shuster,

« Si les gens savent que les choses ne sont pas appliquées ou s’il n’y a pas d’apparence d’application, la conformité diminue. Maintenant que les gens savent qu’il y a des stratagèmes d’évasion, si les gouvernements n’agissent pas pour poursuivre ces stratagèmes et les démanteler et en imposer les conséquences, ils connaîtront un échec dans l’application de la loi.

Qui doit déclarer son compte bancaire à l’étranger ?

Alors que des lois comme la FATCA sont bénéfiques pour les résultats financiers du Trésor américain ainsi que pour la lutte mondiale contre le crime organisé et le blanchiment d’argent, elles imposent une bureaucratie supplémentaire aux Américains vivant à l’étranger que beaucoup considèrent comme onéreuse.

Tout citoyen américain ou résident des États-Unis ayant un compte bancaire à l’étranger qui contient plus de 10 000 dollars doit le signaler sur un formulaire appelé FBAR, a expliqué M. Shuster au Times of Israel. Cela inclut les citoyens américains qui vivent à l’étranger et même les personnes ayant la citoyenneté américaine qui n’ont jamais résidé aux États-Unis.

En fait, l’IRS a annoncé qu’elle mettra fin à son Programme des divulgations volontaires à l’étranger le 28 septembre 2018.

« Si quelqu’un a des comptes dans ce type de banque, il aurait dû en informer le gouvernement américain et s’il ne l’a pas fait, il doit agir vite. Si, à n’importe quel moment au cours d’une année, le solde de votre compte bancaire israélien dépasse dix mille dollars, vous devez le signaler sur un FBAR, un rapport de compte bancaire étranger », a précisé M. Shuster.

Lorsqu’on lui a demandé si l’IRS ciblerait un Américain vivant en Israël avec seulement 10 000 dollars sur son compte bancaire, Shuster a répondu : « dans la pratique, au cours de leur enquête, ils s’attaqueront d’abord aux plus gros comptes. Mais si, pour une raison quelconque, ils découvrent une personne qui possède 15 000 dollars et qui n’a pas fait sa déclaration FBAR correspondante, ils lui enverront peut-être une lettre lui demandant « où est votre FBAR ? S’il n’y a pas d’excuse valable, le gouvernement américain serait en droit d’imposer une pénalité. »

Pas uniquement des comptes bancaires étrangers

Mais il ne s’agit pas seulement de comptes bancaires étrangers. Les citoyens américains qui possèdent des sociétés étrangères doivent déposer un formulaire distinct chaque année auprès de l’IRS.

« Si vous ne produisez pas ce formulaire, il y a une pénalité de 10 000 dollars par an. Je sais que les contrôleurs du gouvernement ne rapportent pas beaucoup d’argent. Ils réalisent chaque année des profits de 10 000 dollars ou 20 000 dollars. Le gouvernement imposera toujours une pénalité de 10 000 dollars par année sur cette personne. »

Pour les expatriés américains qui n’ont pas déposé de déclaration depuis plusieurs années, Shuster leur recommande de consulter un avocat.

« Un citoyen américain qui a des actifs à l’étranger a vraiment besoin de connaître ses obligations. Et s’il y a eu non-conformité, comment faire pour remédier à cela. Parce que si le gouvernement américain vous contacte avant que vous ne le fassiez, les conséquences seront beaucoup plus graves que si vous contactez le gouvernement en premier ».

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