Quand John Le Carré soulignait « l’extraordinaire » Israël qui l’avait « chamboulé »
Dans un entretien rare d'il y a 22 ans, l'auteur de thrillers avait évoqué Israël et les Juifs ; Smiley aurait pu être Juif, avait-il dit de son personnage le plus célèbre

John le Carré, le maître du roman d’espionnage s’est éteint dimanche à l’âge de 89 ans. Il nourrissait une profonde admiration pour les Juifs et pour Israël.
Des personnages juifs étaient imbriqués dans un grand nombre de ses romans et ses recherches qui devaient déboucher, en 1983, sur La petite fille au tambour lui avaient permis de découvrir réellement, pour la toute première fois, Israël – une visite qui l’avait « chamboulé », avait-il expliqué dans un rare entretien accordé en 1998 à Douglas Davis de la Jewish World Review.
« Israël », avait-il confié à Davis, « m’a totalement chamboulé. Je suis arrivé en m’imaginant trouver tout ce que les sentimentalistes européens s’attendent à trouver – une réplique des meilleurs quartiers de Hampstead [à Londres]. Ou du vieux Danzig, de Vienne ou de Berlin. Les mélodies de Mendelssohn s’échappant d’une fenêtre ouverte lors d’une soirée d’été. Des gamins heureux, portant une casquette de marin, avec des étuis à violon à la main ».
En fait, il s’était rappelé avoir découvert « le carnaval le plus extraordinaire de variété humaine sur lequel mes yeux se sont jamais posés, une nation en train de se recréer en assemblant, encore une fois, les fragments de son passé, là oriental, là occidental, là laïc – mais toujours dans un processus de moralisation anxieuse à l’encontre d’elle-même, se critiquant avec une férocité maoïste, une nation débordant de ses débats, redécouvrant son passé tout en luttant pour son avenir ».
« Aucune nation sur Terre », avait-il continué, « ne méritait davantage la paix – ou n’était davantage condamnée à se battre en son nom ».

L’auteur, dont le vrai nom était David Cornwell, avait écrit 25 romans et ses mémoires dans une carrière qui aura couru sur six décennies. Il avait vendu 60 millions de livres environ dans le monde et avait inventé le genre du thriller d’espionnage à l’époque de la Guerre froide.
Mais cela n’avait été que pendant les années 1980 que Le Carré avait décidé d’aborder le sujet « que j’avais depuis longtemps en vue, même s’il m’effrayait réellement : Le conflit israélo-palestinien ».
A cette occasion, Le Carré s’était rendu à Amman, à Damas, à Beyrouth, dans le sud du Liban et à Tunis, et il avait visité Israël de manière répétée. Il avait rencontre le chef palestinien Yasser Arafat à une occasion, qui avait pris la main de l’auteur pour la poser sur sa poitrine pour lui faire sentir « le cœur palestinien ».
« Je ne savais rien du Moyen-Orient mais à ce moment-là, j’avais toujours considéré que mes romans étaient aussi une opportunité pour moi d’apprendre des choses », avait dit Le Carré à Davis.
L’écriture du roman avait fait de lui un soutien fervent de l’Etat juif, avait-il confié au journaliste.
Interrogé sur la manière dont il envisageait le conflit après l’écriture du livre, Le Carré avait répondu que « comme avant – mais en plus convaincu encore. Je veux dire, j’ai toujours défendu et je défends encore l’Etat-nation d’Israël en tant que foyer juif et en tant qu’Etat protecteur des Juifs, partout dans le monde – et je le défends de tout mon cœur. Et je défends de tout mon cœur également le processus de paix qui, seul, garantira non seulement la survie israélienne, mais aussi la survie des Palestiniens ».
Au-delà d’Israël, Le Carré avait aussi évoqué ses affinités à l’égard des Juifs et parlé de la création de personnages juifs dans ses ouvrages.
Son personnage le plus célèbre, George Smiley, son « mentor secret », était presque Juif, avait-il dit à Davis. « C’est un simple hasard », avait-il ajouté, « qu’il ne le soit pas ».
« Peut-être l’est-il », avait-il continué.
Le Carré avait parlé de l’impact de sa visite dans les camps de concentration de Belsen et de Dachau juste après la Seconde Guerre mondiale, qui avait laissé une empreinte profonde sur lui – comme cela avait été aussi le cas de ses rencontres avec des réfugiés Juifs après-guerre.
« A ce jour », avait-il commenté, « il n’y pas de musée, pas de film – même s’il y en a des bons – pas même un livre qui puisse se comparer avec l’impact vivace qu’ont laissé ces endroits en moi ».
Les écrits de Le Carré avaient également entraîné des accusations d’antisémitisme, en particulier aux Etats-Unis.
En résultat, avait-il estimé, de la « négligente musique de chambre des préjugés anglais » dans ses romans.
« J’ai tellement voulu la reproduire dans mes livres que, parfois, des personnes sans discernement ont confondu le messager et le message », avait-il expliqué.

En 2019, Le Carré avait rejoint plusieurs éminentes personnalités britanniques, notamment des écrivains, des historiens et des acteurs, qui avaient émis une lettre ouverte disant qu’ils ne voteraient pas pour le parti du Labour au cours du scrutin qui s’annonçait alors en raison du scandale de l’antisémitisme qui avait éclaboussé la formation placée sous la direction, à ce moment-là, de Jeremy Corbyn.
« Nous entendons nos amis Juifs et nous constatons la façon dont leur douleur a été reléguée au second plan, mis à l’écart par des arguments portant sur l’avenir européen de la Grande-Bretagne. Pour tous ceux qui insistent sur le fait que le parti Travailliste est la seule alternative qui se présente au ‘hard Brexit’ prôné par Boris Johnson, il semble qu’actuellement, l’anxiété ressentie par les Juifs ne soit pas d’actualité », avaient écrit les signataires.
La lettre avait noté que la question de l’antisémitisme était « centrale dans un plus grand débat qui porte sur le pays que nous voulons être » et qu’ignorer cette question à cause du Brexit signalerait que tolérer « les préjugés anti-juifs est un prix acceptable à payer pour le gouvernement du Labour ».
« Quelle sont les autres communautés dont on peut ainsi disposer des inquiétudes ? Et qui sera la suivante ? », continuait la lettre.