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Analyse

« Sang juif d’Hitler »: les propos de Lavrov, ultime avatar d’une croyance dangereuse

Les rumeurs sur l’ascendance du dirigeant nazi, qui remontent aux années 1920, sont réfutées par les spécialistes de la Shoah. Mais elles sont utiles à certains, dont Poutine

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov à Moscou, le 24 mars 2022. (Crédit : Kirill KUDRYAVTSEV/AFP)
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov à Moscou, le 24 mars 2022. (Crédit : Kirill KUDRYAVTSEV/AFP)

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a fâché les dirigeants israéliens et juifs cette semaine en affirmant que « Hitler avait aussi du sang juif ».

Le directeur du Mémorial de la Shoah de Yad Vashem a qualifié ces propos de « diffamation sanglante », le ministre des Affaires étrangères, Yair Lapid, d’ « impardonnables et scandaleux ». Israël a d’ailleurs convoqué l’ambassadeur de Russie pour obtenir des explications.

Lavrov a tenu ces propos dimanche dernier, lors d’une interview à la télévision italienne, affirmant que le fait que le président ukrainien Volodymyr Zelensky soit juif n’invalidait aucunement les affirmations russes selon lesquelles l’invasion de l’Ukraine avait pour objectif de la « dénazifier ».

L’idée -persistante et dangereuse- selon laquelle le dirigeant nazi Adolf Hitler aurait eu des origines juives remonte aux années 1920, et porte sur les origines du grand-père paternel d’Hitler.

Né en 1837, Alois, père d’Hitler, est l’enfant illégitime de Maria Anna Schicklgruber, âgée de 42 ans. Son certificat de baptême ne porte aucun nom de père, ce qui a permis à certains de spéculer sur le fait que le grand-père d’Hitler était juif.

« Des rumeurs ont circulé dans les cafés de Munich au début des années 1920, encouragées par le journalisme à sensations de la presse étrangère dans les années 1930 », a écrit Ian Kershaw dans sa biographie, Hitler.

Les spéculations les plus folles circulent, y compris celles tenant à accréditer l’idée qu’Alois appartenait à une famille juive de Bucarest nommée Hitler, ou que le richissime baron Rothschild avait engendré Alois lorsque sa mère travaillait comme domestique dans le manoir Rothschild à Vienne.

Dans cette photo du 5 décembre 1931, Adolf Hitler, chef des nationaux-socialistes, est salué alors qu’il quitte le siège du parti à Munich (Crédit : AP Photo, Archive)

Ces théories ont été encouragées par les rivaux politiques d’Hitler lorsque le dirigeant nazi a pris le contrôle de l’Allemagne en 1933.

Après la défaite nazie et la mort d’Hitler, un proche confident a donné un nouveau souffle aux rumeurs. Hans Frank, éminent juriste nazi et gouverneur général de la Pologne occupée, avait fait état de plusieurs affirmations douteuses dans des mémoires rédigées en attendant son exécution à Nuremberg.

Frank y affirme qu’en 1930, Hitler lui a révélé être victime de chantage de la part de son neveu William Patrick Hitler, qui menaçait de rendre publique « l’origine juive » d’Hitler. Frank indique qu’Hitler lui aurait demandé d’enquêter sur l’histoire de la famille et découvert que la grand-mère d’Hitler avait donné naissance à Alois alors qu’elle travaillait comme cuisinière au service d’une famille juive à Graz, les Frankenberger. Frank a écrit avoir découvert que le chef de famille avait envoyé de l’argent à la grand-mère d’Hitler, pour l’entretien de l’enfant qu’il pensait être celui de son fils, âgé de 19 ans.

Selon Frank, Hitler lui aurait expliqué que son père et sa grand-mère avaient dupé les Frankenberger en leur faisant croire qu’Alois était le leur afin de trouver une solution à leurs difficultés financières.

Le président russe Vladimir Poutine prononce un discours lors du cinquième Forum mondial sur la Shoah au Mémorial de la Shoah de Yad Vashem à Jérusalem, le 23 janvier 2020. (Crédit : Abir Sultan/POOL/AFP)

« Je ne connais pas un seul érudit réputé qui prenne cette fable au sérieux », a déclaré Sara Brown, directrice exécutive de Change, Center for Holocaust, Human Rights & Genocide Education.

« Il n’y a eu aucune preuve à tout cela », a déclaré Robert Rozett, historien en chef à l’Institut international de recherche sur la Shoah à Yad Vashem. « Au cours des dernières décennies de recherche, d’importantes biographies ont été publiées, qui l’ont démontré. »

Kershaw dit qu’il n’existait pas de famille juive Frankenberger à Graz dans les années 1830. En effet, aucun Juif n’était autorisé à y vivre à cette époque. Il n’existe pas non plus de preuve que la grand-mère d’Hitler ait jamais mis les pieds à Graz.

Sara Brown, directrice générale de Change, the Center for Holocaust, Human Rights & Genocide Education (Crédit : Autorisation)

« Les mémoires de Hans Frank, dictées à un moment où il attendait le bourreau et traversait manifestement une crise psychologique, sont pleines d’inexactitudes et doivent être utilisées avec prudence », selon Kershaw. Et pour ce qui est de l’histoire du prétendu grand-père juif d’Hitler, elle est sans valeur. Le grand-père d’Hitler, quel qu’il soit, n’était pas un Juif de Graz. »

Brown a déclaré que le mythe avait prospéré parce que « l’antisémitisme n’avait pas pris fin en 1945 ».

« Et le déni de la Shoah qui en résulte, rendant les Juifs responsables de leurs propres souffrances et celles de millions d’autres pendant la Seconde Guerre mondiale, est un moyen pratique de détourner l’attention des crimes perpétrés par les Nazis et leurs collaborateurs », a-t-elle poursuivi.

Un homme passe devant la façade dégradée de la synagogue de Graz, en Autriche, le 19 août 2020. (Crédit : Christian Jauschowetz via la JTA)

La pérennité de cette croyance, a souligné Rozett, montre que de nombreuses personnes, en Russie ou ailleurs, ont eu écho des rumeurs sur l’ascendance juive d’Hitler et ne sont pas assez bien informées pour savoir qu’elles ont été absolument réfutées. Lavrov en fait peut-être partie, a-t-il conclu.

Des conséquences dangereuses

Beaucoup se sont émus du fait que la Russie refuse de revenir sur ses déclarations en dépit du tollé qu’elles ont provoqué. Mardi, son ministère des Affaires étrangères a même enfoncé le clou, affirmant que si pendant la Shoah « certains Juifs ont été forcés de participer à des crimes », Zelensky, qui est juif, « le fait pour sa part consciemment et volontairement ».

Les propos évoquaient « des exemples de coopération entre Juifs et Nazis » du temps de la Shoah, comme les conseils du Judenrat formés dans de nombreuses communautés juives, « dont certains sont réputés [pour avoir commis] des actes absolument monstrueux ».

Vlodymyr Zelensky, président juif nouvellement élu de l’Ukraine, rencontre des rabbins à Kiev, début mai 2019. (Crédit : Avec l’aimable autorisation de la communauté juive de Dniepr / via la JTA)

Rozett a expliqué la logique à l’œuvre, chez les dirigeants russes, dont le président Vladimir Poutine, qui les conduit à prétendre que Zelensky et les dirigeants ukrainiens sont des Nazis modernes.

« Pour la Russie, la lutte contre l’Allemagne nazie à l’époque de la Seconde Guerre mondiale continue d’être la pierre angulaire de l’identité russe », a-t-il déclaré.

« Nous combattons maintenant un ennemi semblable à celui que nous avons vaincu pendant la Seconde Guerre mondiale », a-t-il expliqué de ce qu’il comprenait de la pensée russe.

Mais le discours de Lavrov est porteur de conséquences bien plus dangereuses.

Si Hitler était juif, et si les Juifs ont coopéré avec les Nazis, dit le trope, alors les Juifs sont responsables de leur propre souffrance et, à bien des égards, de celle de toute l’Europe.

« L’idée est dangereuse en raison de la conclusion à laquelle elle aboutit », a déclaré Brown. « Cela signifierait qu’un Juif a été l’architecte du meurtre de masse de six millions de Juifs et de millions d’autres. »

Le chef de cabinet de Zelensky avait peut-être cette idée pernicieuse à l’esprit, mardi, lorsqu’il a réagi aux propos de Lavrov.

« Tout ceci montre une fois de plus que la Russie constitue une menace existentielle non seulement pour l’Ukraine, et sa population d’au moins 100 000 Juifs, mais pour les Juifs du monde entier », a déclaré Andriy Yermak au Times of Israel.

« En tant qu’éducatrice appelée à traiter régulièrement de l’antisémitisme en milieu scolaire », a ajouté Brown, « la citation du ministre des Affaires étrangères [russe] ne me rend pas service. Cela ne fait que rendre mon travail plus difficile. »

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