Sauvé d’un camp nazi, le livre d’un père pour son fils publié en français
L'histoire se déroule au sein du ghetto et camp de concentration de Theresienstadt, et son auteur est mort à Auschwitz peu après
C’est l’histoire d’un dessinateur qui conçoit pour l’anniversaire de son fils un livre pour enfants. Elle se déroule au sein du ghetto et camp de concentration de Theresienstadt, et son auteur meurt à Auschwitz peu après.
Celui-ci s’appelle Bedrich Fritta, un Tchèque qui excellait dans la caricature, et qui avait signé là un album pour les trois ans de son fils, enfant parmi d’autres dans l’enceinte de ce camp en 1944.
L’original de Pour Tommy, 22 janvier 1944 (Tomíčkovi en tchèque) avait été montré en 2013 lors d’une exposition au Musée juif de Berlin.
Après les éditions en néerlandais en 1980, puis en allemand, tchèque, anglais et hébreu, les éditions du Rocher en font paraître la traduction française ce mercredi.
À chaque fois, il a fallu un ou une passionnée pour faire connaître cette histoire au grand public. La première fut l’autrice jeunesse néerlandaise Mies Bouhuys, qui publia ensuite un essai sur Anne Frank.
En français, c’est le compositeur et musicien Hélios Azoulay. Il a eu connaissance de cette œuvre unique en effectuant des recherches sur la musique issue des camps de la mort.
Comptines des camps
« De la musique au dessin il n’y avait qu’un pas à franchir. Quand je suis tombé sur cette histoire, j’ai trouvé ça aussi précieux que les comptines chantées dans ces camps », dit-il à l’AFP. « J’ai pensé qu’il était urgent d’éditer ce livre en français. »
Comme Mies Bouhuys avant lui, il retrace dans une longue postface le destin tragique de Bedrich Fritta, détenu à Theresienstadt avec sa femme Johanna (dite Hensi) et leur fils Tomáš (dit Tommy).
Natif d’un village de Bohême, Visnova, formé à Paris, Fritta est dessinateur à Prague, pour le très sérieux Prager Tagblatt et le magazine satirique antifasciste Simplicus, quand l’Allemagne nazie envahit la Tchécoslovaquie.
En novembre 1941, il est arrêté en tant que Juif et déporté à Terezin, ville fortifiée que les SS transforment en ghetto.
Officiellement il s’agit de travailler, comme dessinateur, à la construction d’un camp de transit. De fait, Theresienstadt est un camp de concentration, où passeront entre autres le poète Robert Desnos, la cinéaste Marceline Loridan-Ivens, ou une sœur de Franz Kafka, Ottla.
Les dessins à Tommy, conçus clandestinement entre deux séances de dessin technique, sont la face lumineuse de l’œuvre de déporté de Bedrich Fritta. Ils débordent de couleur et d’humour, mettant en scène un petit garçon pas très sage.
Les dessins enterrés dans une ferme
« Si le livre était destiné à ce fameux Tommy, alors tous les enfants peuvent le lire aujourd’hui. Mais l’histoire de son auteur est de celles qu’on ne raconte pas aux plus petits », explique Hélios Azoulay.
La face sombre des dessins de Bedrich Fritta est faite de croquis de la vie dans le ghetto, que la promiscuité et les pénuries rendent terrible. Quand les SS découvrent ces dessins en noir et blanc, en juillet 1944, cinq dessinateurs sont torturés puis envoyés vers le camp d’Auschwitz, en Pologne.
Cette arrestation est connue sous le nom d’ « affaire des peintres ». Bedrich Fritta meurt en novembre 1944. L’un de ses compagnons, Leo Haas, non seulement survivra, mais élèvera Tommy Fritta, après être allé retrouver dans Terezin libérée par l’Armée rouge les dessins destinés au petit garçon. Ils étaient cachés dans une caisse en métal enterrée dans la cour d’une ferme.
Tommy Fritta est mort à 74 ans, en 2015. Et ses quatre enfants viennent de léguer Tomíčkovi au Musée juif de Berlin.
« C’est une pièce que la directrice du musée n’attendait pas. Je me trouvais à Berlin et j’y ai été convié avec David, l’un des fils de Tommy, à l’occasion de cette publication en français. C’était très émouvant », raconte Hélios Azoulay.