Si Israël a jusqu’ici contenu la crise, le risque est plus que jamais présent
Les échecs à placer en quarantaine les nouveaux arrivants de l'étranger et à évacuer les malades des quartiers ultra-orthodoxes soulignent les craintes d’une plus large épidémie
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
La Suède a décidé de ne pas suivre la sagesse générale, refusant d’imposer un confinement de la population afin d’endiguer la propagation du coronavirus. Avec une population d’environ 10 millions d’habitants, comme Israël, le pays nordique a enregistré près de 900 décès au moment de la rédaction de cette analyse – soit neuf fois plus qu’Israël.
Le Royaume-Uni, qui a trainé avant d’acter un confinement, a une population environ sept fois plus importante que celle d’Israël, et a enregistré près de 10 000 décès au moment de la rédaction de ce texte – près de 100 fois plus qu’Israël.
Ces comparaisons – et de nombreuses autres qui pourraient être faites – soulignent à quel point la situation aurait pu être pire en Israël si le gouvernement n’avait pas agi rapidement dans la lutte contre la contagion – en décourageant d’abord les voyages à l’étranger non essentiels, puis en isolant le pays, puis en imposant de strictes restrictions de mouvement.
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Cependant, une préoccupation croissante émerge depuis ces derniers jours. Alors que des impératifs sanitaires de grande envergure sont entrés en vigueur particulièrement tôt, décidés par le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son équipe, puis mis en œuvre de façon rapide et relativement efficace, Israël risque de reculer dans sa lutte contre le virus, alors que des mesures plus spécifiques et plus nuancées sont particulièrement mal gérées.
De façon incompréhensible, la tâche de veiller à ce que les voyageurs entrants dans le pays sur les quelques rares vols qui atterrissent encore en Israël soient envoyés dans des hôtels de quarantaine contrôlés par le gouvernement s’est, pendant plusieurs semaines, révélée au-delà des capacités des autorités. Et ce malgré les assurances répétées de Netanyahu et d’autres responsables, selon lesquels le problème était réglé. Alors que les dirigeants politiques tentaient de se dédouaner, les voyageurs arrivants, y compris ceux en provenance de l’épicentre de New York, traversaient sans mal le hall de l’aéroport Ben Gurion, et prenaient le taxi pour rentrer chez eux. Résultat : le ministère de la Santé a, au cours du week-end, signalé une importante augmentation du taux d’infections imputables aux nouveaux arrivants en provenance de l’étranger.
Les ministres ont finalement voté dimanche afin de faire appliquer une quarantaine obligatoire à tous les arrivants – mais seulement après que le procureur général a été contraint de démentir les allégations selon lesquelles il avait imposé un obstacle juridique à cette décision. Selon des informations publiées dimanche matin, le vrai problème avait en fait pour source le ministère de la Défense, qui n’était pas parvenu à réquisitionner suffisamment de chambres dans les différents hôtels de quarantaine du pays, et qui manquait également de tests de dépistage afin d’établir le diagnostic des nouveaux arrivants.
Si des centaines et des centaines de malades porteurs ne sont pas évacués vers des établissements de quarantaine, la conséquence redoutée est que le verrouillage de ces quartiers densément peuplés aura pour effet non pas de réduire la propagation du virus, mais de transformer ces zones en de véritables centres d’incubation.
Une autre source de contagion, au taux d’infections disproportionné, est la communauté ultra-orthodoxe – dont les autorités politiques, comme je l’ai déjà dit, n’ont pas alerté assez rapidement et de manière cohérente leurs troupes de la gravité du danger. Les chefs spirituels ultra-orthodoxes ont intériorisé de façon tardive la menace et sont revenus sur leur insistance antérieure à maintenir ouvertes les synagogues, les yeshivot et les écoles. Mais, encore aujourd’hui, il y a trop d’indications qui laissent penser que la propagation de la contagion dans le secteur ultra-orthodoxe n’est pas traitée de façon efficace.
Le gouvernement a décidé dimanche de confiner de nombreux quartiers ultra-orthodoxes de Jérusalem – où vivent 75 % des habitants de la capitale porteurs du virus. Mais des centaines et des centaines de ces porteurs, qui auraient dû être évacués vers des installations de quarantaine, sont toujours chez eux. La conséquence redoutée est que le verrouillage de ces quartiers densément peuplés aura pour effet non pas de réduire la propagation du virus, mais de transformer ces zones en de véritables centres d’incubation. L’exact même schéma s’applique à Bnei Brak, un autre épicentre.
De plus, toutes les statistiques sur le taux d’infection sont au mieux partielles, étant donné qu’Israël est toujours loin de son objectif visant à tester quotidiennement 10 000 à 30 000 personnes – nombre visé par Netanyahu. Une initiative de tests aléatoires à Bnei Brak, qui devait démarrer dimanche, a été abandonnée au dernier moment après une nouvelle polémique. La demande de tests au drive-in du Magen David Adom dans le quartier de Jabel Mukaber à Jérusalem-Est est elle si élevée que des reportages télévisés diffusés ce week-end ont montré de longues files de véhicules attendant en face.
Cela nous conduit au cas de l’ensemble du secteur arabe, où des articles en hébreu non sourcés ont alerté par intermittence ces derniers jours concernant la propagation du virus dans les quartiers de Jérusalem-Est, rendant la situation « hors de contrôle ». Les statistiques du ministère de la Santé ont montré une contagion croissante dans plusieurs villes et villages arabes du nord et du sud du pays.
Vendredi, les communautés arabes du nord, à Daburiyya (30 cas confirmés) et à Jisr az-Zarqa (31 cas confirmés), ont bouclé leurs accès afin d’empêcher la propagation de la contagion. À Daburiyya, la source de l’épidémie au niveau local serait un homme qui travaille dans un établissement de soins aux personnes âgées à Akko.
Ce qui nous amène à une autre source disproportionnée de contagion – et de mort : les maisons de retraite et les établissements de soins pour personnes âgées d’Israël. Environ une dizaine des 100 premiers décès d’Israël concernaient des résidents d’une maison de retraite pour personnes âgées à Beer Sheva.
Confusion générale
S’il reste difficile d’évaluer dans quelle mesure Israël se porte bien – ou non – dans cette lutte contre la pandémie, la confusion vient d’en haut. Il y a une semaine et demie, le directeur général du ministère de la Santé, Moshe Bar Siman-Tov, a averti qu’il y aurait « des milliers de morts » d’ici la fin de la crise. Samedi soir, il a salué le « succès incroyable » d’Israël, insisté sur le fait que « les bonnes décisions [avaient] été prises » en ce qui concerne les tests et les diverses restrictions imposées, a déclaré que les taux d’infections et de mortalité montraient l’efficacité des politiques imposées, et a évoqué les projets d’un déconfinement progressif.
Ces signaux mitigés proviennent même des résidences du Premier ministre et du président. D’une part, Netanyahu et Reuven Rivlin nous implorent -sans relâche – d’exercer une auto-discipline nécessaire et de respecter strictement les restrictions, rappelant notamment la terrible interdiction de partager la table du seder avec des proches. Et de l’autre, tous deux – des dirigeants qui eux-mêmes sont assez âgés pour appartenir à des groupes à risque relativement élevé – ont jugé bon de violer cette restriction de la nuit du seder. (Le cas d’Avigdor Liberman est apparu plus tard)
Au moment d’écrire ces lignes, le taux de mortalité en Israël consécutif au virus apporte effectivement un optimisme méfiant. Le chiffre critique de cas sous respirateur – maintenant dans les 120 – reste loin des centaines, voire des milliers, redouté.
Nous pouvons tourner les yeux vers l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, et comprendre à quel point les choses auraient pu être pires à ce stade. Mais nous pouvons également nous tourner vers l’Autriche, pays où les statistiques sont jugées suffisamment encourageantes pour pouvoir permettre un calendrier précis concernant le retour à quelque chose qui ressemble à la normalité. Le mois dernier, le chancelier Sebastian Kurz avait salué Netanyahu, après que celui-ci l’avait « choqué » face à la dureté des mesures prises en Israël.
Nous avons besoin de critères transparents concernant les confinements, afin que personne n’ait le sentiment que tel ou tel secteur est victime de discrimination. Nous devons atteindre le niveau de tests que nos dirigeants jugent à juste titre nécessaire afin d’identifier rapidement les nouvelles zones préoccupantes, et évaluer efficacement les endroits où les restrictions peuvent être assouplies. Nous avons besoin d’action, plutôt que de discussions sans fin, lorsqu’il s’agit d’évacuer des porteurs du virus. Nous devons veiller à ce que les secteurs ultra-orthodoxes et arabes soient correctement équipés et lutter contre les vagues d’épidémie dans les établissements pour personnes âgées.
Il n’est nullement évident que le ministère de la Santé soit équipé afin de superviser ces impératifs et bien d’autres. L’armée dispose d’une main-d’œuvre opérationnelle, mais pas de la sagesse directrice des experts sanitaires. Netanyahu a dirigé la riposte nationale, avec un groupe restreint de conseillers. Il se pourrait bien qu’une nouvelle structure de commandement soit nécessaire.
Ce virus va assombrir nos vies pendant encore longtemps. Israël, semble-t-il, est encore loin de sortir du chaos. Et non pas parce que nous sommes des citoyens peu disciplinés.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel