Israël en guerre - Jour 376

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Opinion

Le pire échec de Litzman – Expliquer l’horreur de la pandémie à sa communauté

La première raison d'être des politiciens ultra-orthodoxes, c'est la sauvegarde du bien-être de leurs électeurs. Mais ils nous ont abandonné dans une situation de vie ou de mort

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Le ministre de la Santé Yaakov Litzman, à gauche, lors de l'ouverture d'un événement de campagne électorale du parti YaHadout HaTorah à Bnei Brak, le 30 mai 2019 (Crédit : Flash90)
Le ministre de la Santé Yaakov Litzman, à gauche, lors de l'ouverture d'un événement de campagne électorale du parti YaHadout HaTorah à Bnei Brak, le 30 mai 2019 (Crédit : Flash90)

Nous ne savons pas encore de manière certaine si le ministre de la Santé Yaakov Litzman a contrevenu aux directives émises par son propre ministère en prenant part à un groupe de prière, ces derniers jours, après la mise en place d’une interdiction sur de tels rassemblements – décidée pour empêcher la propagation du coronavirus.

Des témoins ont affirmé l’avoir vu en train d’ignorer les régulations qui avaient été mises en vigueur par son propre ministère, supposant que c’est ainsi qu’il aura été contaminé par la maladie. Lui le nie.

Ce que nous savons, c’est que le leader du parti ultra-orthodoxe Yahadout HaTorah – qui a servi au poste de ministre de la Santé israélien pendant la plus grande partie de la décennie passée (ou il en a été vice-ministre, sans ministre placé au-dessus de lui) – n’a cessé d’afficher sa réticence à reconnaître et à comprendre intimement la menace posée par la pandémie.

Il a résisté aux différentes limitations imposées aux mouvements publics que les hauts-responsables de son ministère voulaient imposer – mettant dans l’impasse des mesures qui, le cas échéant, auraient été mises en vigueur dès le début du mois dernier, juste avant Pourim. Il suppliait encore également, il y a à peine dix jours, le Premier ministre Benjamin Netanyahu de permettre aux synagogues de rester ouvertes, au moins pour des petits groupes de fidèles respectant une distance de deux mètres les uns des autres.

Plus répréhensible, toutefois, a été l’échec manifeste de la hiérarchie sanitaire dont il est depuis si longtemps à la tête : celle-ci s’est trouvée incapable de communiquer en direction du secteur ultra-orthodoxe de la société israélienne – la communauté de Litzman – de manière efficace sur l’impératif de prendre la menace posée par le virus très au sérieux.

Des employés du Magen David Adom et une équipe médicale de Shaare zedek, portant des équipements de protection xontre le coronavirus, aux abords de la nouvelle unité de l’hôpital Shaare Zedek à Jérusalem, le 2 avril 2020 (Crédit : Nati Shohat/Flash90)

Il y a vingt ans, la ville ultra-orthodoxe de Bnei Brak avait changé le nom d’une grande partie de son boulevard central qui, de (Theodor) Herzl Street, devait devenir Rabbi (Elazar) Schach Street — ce qui pouvait être perçu comme le transfert symbolique de l’allégeance au pionnier du sionisme à celle accordée à un chef spirituel de l’ultra-orthodoxie lituanienne.

Ce changement avais mis en exergue la séparation en cours intervenant entre la communauté ultra-orthodoxe et la population dominante en Israël, une séparation soulignée par le durcissement d’une norme selon laquelle une majorité de jeunes hommes ultra-orthodoxes – plutôt que de faire leur service militaire ou national avant d’intégrer la main-d’oeuvre – allaient devenir des lecteurs de la Torah à plein-temps. Cette nouvelle norme, il faut le noter, va à l’encontre de siècles de traditions orthodoxes qui soulignent l’obligation générale d’assumer les besoins de la famille, les meilleurs et les plus brillants érudits seulement étant rémunérés pour leurs études des textes sacrés à plein-temps.

La majorité des Juifs ultra-orthodoxes vivent dans des communautés largement séparées de la société laïque et orthodoxe moderne dominante et ils restent très isolés – sans télévision et avec un accès à l’informatique et aux téléphones cellulaires limité pour ne pas être touchés par les impuretés du monde extérieur. Ils suivent les ordres de leurs rabbins bien davantage que ceux qui sont donnés par les dirigeants politiques du pays.

Et le parti Yahadout HaTorah de Yaakov Litzman, ainsi que la formation ultra-orthodoxe Shas pour les Séfarades, existent très précisément pour garantir que les intérêts de ces communautés seront protégés. Et en effet, le talent avec lequel ces deux mouvements ont utilisé leur puissance de marchandage, dans la coalition, et leur influence en termes de défense de ces mêmes intérêts – notamment en combattant les demandes de ce que les ultra-orthodoxes acceptent de porter leur part du fardeau en ce qui concerne le service national – ont été une source amère de tensions dans le pays depuis des décennies.

Avec l’essor de la pandémie de coronavirus, il fallait absolument que Litzman, sa hiérarchie au sein du ministère et les politiciens ultra-orthodoxes garantissent que leur électorat était bien conscient du danger – comme c’était le cas de la société israélienne plus connectée – afin de mieux se protéger contre la maladie, en mettant rapidement en oeuvre les directives sur la distanciation sociale.

Le slogan de campagne de YaHadout HaTorah, lors des dernières élections, était « A un moment de vérité ». Et à ce moment de vérité, de manière tout autant manifeste que tragique, a été manqué.

La ville de Bnei Brak est soumise à une fermeture, étant devenue un épicentre du virus avec 1 000 des 7000 cas [au moment de la rédaction de cette tribune ; il s’élève au moment de la publication à plus de 8 000] de COVID-19 qui ont été confirmés au sein de l’Etat juif (selon un responsable de la Santé qui s’est exprimé jeudi, 38 % des membres de la population de la localité, forte de 200 000 résidents, pourraient avoir été contaminés). D’autres villes et quartiers ultra-orthodoxes commencent à montrer, eux aussi, des taux parmi les plus élevés en termes de contamination sur tout le territoire.

Le ministre de la Santé Litzman participe à une manifestation réunissant des milliers de Juifs ultra-orthodoxes à Bnei Brak dans une bataille sur le contrôle d’une synagogue ashkénaze à Arad, et contre le maire laïc, Nissam Ben Hamo, membre du parti Yesh Atid, le 20 décembre 2016 (Crédit : Flash90)

Il est facile de prendre les sages ultra-orthodoxes, d’un âge avancé, et les responsables des yeshivas comme bouc-émissaires pour cette incapacité à avoir rapidement obtenu une coopération pleine et entière de la part de la population au mot d’ordre du « Restez chez vous » qui a été répété sans discontinuer par Netanyahu ces dernières semaines.

La scène, il y a trois semaines, où le petit-fils du chef spirituel ultra-orthodoxe lituanien actuel, Chaim Kanievsky, demandait au rabbin si l’école et l’étude à la yeshiva étaient susceptibles de s’arrêter pendant la bataille menée contre le coronavirus, et où Kanievsky, 92 ans, grommelait en retour « Dieu nous en préserve », justifie ostensiblement une colère et une frustration considérables.

Une grande partie du reste de la population d’Israël – respectant largement les restrictions sur les déplacements et permettant peut-être de déjouer, ou tout du moins de réduire, la propagation du coronavirus – se retrouve aujourd’hui en train de faire potentiellement face à un cauchemar parce que 10 % des habitants de ce pays ont prêté l’oreille aux dires d’érudits de la Torah octogénaires et nonagénaires plutôt qu’aux propos tenus par les responsables du pays et leurs conseillers, experts de la santé (Kanievsky a changé de positionnement dimanche dernier, insistant sur la nécessité de renoncer à toute prière ou étude en groupe).

Le rabbin Chaim Kanievsky dans sa maison à Bnei Brak, le 15 avril 2018. (Yaakov Naumi/Flash90)

Mais le principal échec, ici, relève de la responsabilité des politiciens ultra-orthodoxes dont la raison d’être aurait dû apparaître sur le devant de la scène au cours de ces dernières semaines terribles. Le moment était venu pour eux de justifier leur existence même – de prouver que travailler avec le gouvernement sioniste est essentiel pour le bien-être de leur communauté.

C’était un moment à la fois d’opportunité et d’obligation – celle de sensibiliser leur propre électorat et d’expliquer que non, l’instruction de fermer les synagogues et de faire baisser le rideau des écoles et des yeshivas n’intervenait pas dans le cadre d’un nouveau complot sioniste et laïc ayant pour objectif de détruire l’étude de la Torah, contre lequel il fallait s’élever au nom du divin.

Mais qu’il s’agissait d’une question de vie et de mort, de protection contre un virus se propageant comme les flammes et qui, comme le suggèrent les statistiques, pourrait tuer jusqu’à 20 % des personnes les plus âgées et les plus vulnérables.

La communauté ultra-orthodoxe a largement et enfin compris la gravité de la situation.

Mais comme des porte-paroles mécontents l’ont souligné ces derniers jours depuis l’intérieur, le gouvernement israélien a échoué, pendant des semaines, à souligner le péril de manière efficace en utilisant des canaux auxquels la communauté pouvait accéder, qu’elle pouvait comprendre et surtout respecter.

De manière plus spécifique, ont noté ces porte-paroles, cette sensibilisation à la pandémie de coronavirus aurait dû se concentrer sur les rabbins et les chefs communautaires, sur des personnalités de bon sens et tout à fait aptes à reconnaître la menace, à l’expliquer et à garantir que les précautions nécessaires seraient prises dans les meilleurs délais.

Un concert d’appels au limogeage par Netanyahu de Litzman a émané des politiciens de l’opposition, qui accusent le ministre d’avoir lui-même violé les directives émises par son propre ministère. Un émient ministre qui n’a pas été identifié aurait ainsi déclaré, jeudi, que déclaré Litzman avait montré du « mépris » pour les règles et qu’il aurait mis en danger la vie de ses collègues. Dans la mesure où Litzman a été testé positif au coronavirus, mercredi soir, le Premier ministre a dû retourner en quarantaine – comme presque tous les hauts-responsables qui se trouvent à la tête de la bataille désespérée d’Israël contre le COVID-19.

La police ferme des synagogues à Bnei Brak, le 1er avril 2020. (Crédit : Yossi Zamir/Flash90)

Mais tandis que nous ignorons encore si Litzman a réellement contrevenu aux restrictions, ce que nous savons, c’est qu’il a raté le rendez-vous avec sa communauté. Plus que n’importe qui d’autre en Israël, toutes ces années d’expérience passées dans le fauteuil du ministre de la Santé auraient dû impliquer qu’il comprenne rapidement la menace atypique et dévastatrice posée par le COVID-19. Et il aurait dû comprendre également que son arrivée en politique impliquait, en premier lieu, de veiller sur sa communauté ultra-orthodoxe.

Et à la place de cela, nous assistons au déroulement d’une tragédie – dans laquelle les plus vulnérables des membres de la communauté ultra-orthodoxe se retrouvent face à un péril qui menace leur existence, qui serait pourtant partiellement évitable. Et le reste du pays se trouve lui aussi, en conséquence, à devoir affronter un danger plus important.

Et tout cela à cause d’un échec de communication à double sens – dans lequel les politiciens qui étaient les plus en capacité de réduire l’écart n’ont pas réalisé que leur moment était venu. Parce qu’à la honte durable d’Israël et au prix de vies aujourd’hui, la rue Herzl est devenue la rue Schach, et que personne n’a réussi à réunir ces deux mondes.

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