Un doctorant fait appel à des randonneurs pour cartographier l’ADN des champignons
Il existe un millier d'espèces de champignons en Terre Sainte. Le passe-temps d'une scientifique s’est mué en une initiative collective d’une ampleur inégalée

Les champignons sauvages israéliens, connus sous le nom de macrochampignons, peuvent être ou non comestibles, cicatrisants, hallucinogènes, durs et insipides ou toxiques et mortels.
Malgré la grande variété de champignons que l’on trouve en Israël, il n’y a jamais eu de cartographie complète de leur ADN. C’est ce manque qui a incité Elad Gillon, passionné de mycologie, à lancer ce qu’il qualifie d’initiative scientifique citoyenne, en demandant aux cueilleurs de champignons de collecter des champignons sauvages un peu partout en Israël pour les besoins de ses travaux de doctorant.
La tâche est bien plus ardue qu’il n’y paraît. S’il existe 100 espèces de mammifères et 500 espèces d’oiseaux en Israël, il y en a un millier chez les champignons. Depuis 2021, les passionnés de mycologie ont collecté plus de 800 spécimens de macrochampignons, dont certains n’avaient jamais été identifiés auparavant.
Les cueilleurs ont trouvé des champignons plus ou moins familiers un peu partout en Israël, depuis le jardin de l’un jusqu’à une grotte dans Jérusalem en passant par une plage de sable à Herzliya ou au désert d’Arava. Israël est situé au carrefour de plusieurs zones climatiques – certaines froides, comme sur le plateau du Golan, ou chaudes et arides, comme dans le Neguev – et compte à la fois des feuillus et des conifères. D’où cette incroyable variété de champignons.
Jamais projet de recherche n’avait, avant celui de Gillon, été mené sur les champignons à une telle échelle en Israël. Dans les années 1970 et 1980, Nissan Binyamini avait publié de nombreux articles et livres consacrés aux champignons, dont le célèbre « Champignons charnus d’Israël ». Il avait collecté et identifié les espèces en fonction de leurs caractéristiques physiques. Mais jusqu’à présent, personne n’avait étudié l’ADN des champignons israéliens à grande échelle.
Titulaire d’une maîtrise en biologie, Gillon est directeur chez Bargal Analytical Instruments. Bien que ses recherches sur les champignons soient destinées à ses travaux de doctorat, il estime que ce projet est d’utilité publique, « pas juste un sujet d’article scientifique ».
Ce qui rend ce projet unique, c’est la contribution de centaines de cueilleurs de champignons partout en Israël. Les membres d’un important groupe de cueilleurs sur Facebook ont parcouru forêts et bois – à commencer par leur propre quartier – dans l’espoir de découvrir des champignons inédits pour les besoins de ce projet. Les champignons sont examinés par un groupe de cueilleurs experts puis envoyés à Gillon pour ses recherches.
Les champignons : médicament et divertissement
Enfant, Gillon passait l’été en République tchèque – pays d’origine de son père – à chercher des champignons comestibles.
« Les champignons ont tendance à se cacher », explique Gillon, « ce qui en fait un vrai jeu. » Ce n’est qu’une fois parvenu à l’âge adulte qu’il a pris conscience de la présence de champignons en Israël.
Les cueilleurs adorent manger des champignons, poursuit Gillon, tout en concédant que les champignons ne sont pas son plat préféré. Ce qui le motive, surtout, c’est l’ancienneté des champignons et leur potentiel pour l’avenir.
« Depuis le début de la civilisation, les champignons sont réputés pour leurs vertus médicinales », poursuit-il. « Ils sont à l’origine d’antibiotiques tels que la pénicilline et de médicaments tels que les statines hypocholestérolémiantes. » Il estime qu’une connaissance plus approfondie des champignons pourrait être « la clé vers de nouveaux traitements médicaux ».

Le professeur Shay Covo, du département de phytopathologie et microbiologie de l’Université hébraïque, est le conseiller pédagogique de Gillon. Il s’est lancé dans le projet parce qu’il était « impensable que l’on ne sache pas quels champignons on peut trouver en Israël ».
« J’ai pensé qu’il fallait que quelqu’un le fasse, raison pour laquelle je me suis porté volontaire », explique Covo en s’empressant d’ajouter que cette étude pourrait permettre de faire progresser d’autres domaines.
« Il faut beaucoup de temps et de travail pour développer un pesticide ou un fongicide, car les champignons sont passés maîtres dans l’art de s’adapter, muter et évoluer », poursuit M. Covo. « C’est la même chose pour les cellules cancéreuses virulentes qui changent fréquemment pour survivre aux thérapies anticancéreuses. »
La recherche sur l’ADN des champignons pourrait donc aider à comprendre l’évolution des agents pathogènes.
Gillon précise que la recherche sur l’ADN des champignons est effectuée en laboratoire selon un processus similaire au test PCR pour la COVID ou aux tests de paternité. Chaque espèce présente une séquence de lettres distincte. Les résultats du séquenceur sont ensuite comparés aux séquences existantes dans une base de données globale.
Gillon et Covo ont construit une banque d’ADN avec la composition génétique de chaque champignon. Le projet permettra aux chercheurs de continuer à collecter et identifier des centaines d’espèces, dont des sous-espèces locales et des espèces totalement nouvelles.

L’étrange monde des champignons
Les champignons sont parfois étranges, originaux, colorés, comme venus d’un autre monde : ce ne sont ni des végétaux ni des animaux. Les cueilleurs prélèvent la partie aérienne des champignons pour la manger, mais le corps du champignon se trouve dans le sol. Il s’agit du mycélium, qui se compose de fils fongiques.
Les champignons sont en symbiose avec les chênes, dont ils prélèvent les sucres présents dans l’eau venue des arbres et leur procurent des nutriments, explique Gillon. Les champignons sont « des extensions des racines et servent de réseau de communication entre les arbres ».
« S’il y a un nuisible ou un insecte, un arbre peut envoyer un message aux autres arbres grâce aux champignons », poursuit-il.

Si un arbre tombe malade ou s’affaiblit, les champignons peuvent l’attaquer, le digérer et le manger. Après la mort de l’arbre, les champignons décomposent l’arbre, ce qui participe à l’activité de recyclage à l’œuvre dans la nature.
Jusqu’à très récemment, les cueilleurs de champignons israéliens se concentraient sur les quelques champignons comestibles, à l’instar de l’espèce Suillus. Pour autant il existe en Israël une grande variété de délicieux champignons considérés comme des mets de choix, comme les girolles ou les cèpes. (Gillon précise que les cueilleurs sont parfois réticents à l’idée de révéler leurs « coins à champignons ».) Les champignons non comestibles sont souvent amers ou durs, ou alors si petits qu’ils ne sont pas vraiment considérés comme de la nourriture. Viennent ensuite les champignons toxiques, et enfin, ceux qui sont mortels.
Le catalogue de champignons israéliens
Olga Godorova, auteure, à titre personnel, d’un important catalogue des champignons israéliens, il y a de cela une quinzaine d’années, est l’une des mycologues qui contribuent à ce projet. Lorsque l’Association pour les champignons sauvages d’Israël a été créée par Yulia Vilozni il y a de cela quelques années, Amotz Hezroni, l’un des fondateurs de l’Association, a intégré son catalogue au site Internet de l’association.
Pour Godorova, la recherche de champignons est une affaire de nostalgie. Elle a en effet grandi en Ukraine avec ses grands-parents et ses parents – qui « travaillaient tout le temps » -, et elle était souvent seule.
« Quand une famille en URSS laissait-elle son enfant veiller après neuf heures le soir ? », questionne-t-elle avant de répondre : « Seulement quand il y avait quatre paniers de champignons à nettoyer. »

Arrivée seule en Israël à l’adolescence, Godorova cherche des champignons depuis 1994 car cela lui donne l’impression que sa « famille est toujours avec moi ». Malgré la guerre entre Israël et le Hamas, Godorova se rend un peu partout dans le pays à la recherche de champignons en compagnie d’amis mycologues, car, dit-elle, « la cueillette nourrit ma curiosité pour les champignons ». Elle avoue parfois parler en utilisant des « métaphores à base de champignons ».
Godorova, ainsi que Vilozni et d’autres mycologues israéliens, ont joué un rôle déterminant dans le cadre du projet ADN de Gillon.
Gillon précise que les espèces de champignons seront collectées et conservées au sein des collections nationales d’histoire naturelle à Jérusalem pour servir à de futures recherches à l’échelle mondiale sur la biodiversité.
Le projet n’a pas manqué d’attirer l’attention de professeurs de collège et lycée et de membres du ministère de l’Éducation qui ont inclus l’étude des champignons dans leur programme.
« Il s’agit d’une occasion unique pour faire des expériences pratiques avec les élèves du secondaire », souligne M. Gillon. « Nous formons ainsi la future génération de scientifiques passionnés par la diversité fongique et la conservation, la future génération de mycologues. »
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