Un film d’animation sur Charlotte Salomon, artiste juive injustement oubliée
Tuée à Auschwitz, la peintre allemande a laissé derrière elle l'œuvre autobiographique "Leben? oder Theater?", qui peut être considérée comme le premier roman graphique
Charlotte Salomon était une artiste peintre allemande, tuée dans le camp d’Auschwitz le 10 octobre 1943. Bien que talentueuse, elle a été largement oubliée après sa mort.
Venant remédier à cela, « Charlotte », un long-métrage d’animation lui rendant hommage, est sorti le 9 novembre dernier dans les salles de cinéma françaises.
Réalisé par Eric Warin et Tahir Rana, le film met en lumière l’œuvre phare de sa vie, « Leben ? oder Theater ? », dont le nom peut se traduire par « Vie ? ou théâtre ? ». Celle-ci peut être considérée comme le premier roman graphique.
Marion Cotillard a donné sa voix à l’artiste dans la version française du film, et résume dans celui-ci par ces quelques mots le sens de son œuvre « Leben ? oder Theater ? » : « Tous mes souvenirs sont là, même ceux que j’avais oubliés jusqu’à ce que je les peigne, et d’autres qui n’ont jamais eu lieu, qui n’en sont pas moins vrais. »
Le comédien Romain Duris prête lui sa voix à Alexander Nagler, le mari de l’héroïne du film.
Née à Berlin en 1917, Charlotte Salomon a fait ses études d’art dans la même ville à partir de 1936 – avant d’en être renvoyée deux ans plus tard face à la montée du nazisme.
Issue d’une famille juive, elle a quitté l’Allemagne en janvier 1939 pour partir s’installer en France, à Villefranche-sur-Mer, près de Nice, où se trouvaient ses grands-parents. C’est là que, pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a élaboré « Leben? oder Theater? », dans la villa de Ottilie Moore, millionnaire américaine qui a tenté de protéger et de soutenir l’artiste.
En 18 mois, après avoir appris qu’elle appartenait à une lignée de suicidés, elle a peint environ 1 325 gouaches et aquarelles pour exorciser les démons qui la hantaient.
Pour cela, pour faire toutes ses couleurs, elle s’est limitée au blanc, au rouge vermillon, au jaune moyen et au bleu outremer sur un format quart-raisin. Ces œuvres montrent principalement sa famille et ses amis, sa jeunesse et les événements qu’elle a traversés.
En septembre 1943, se trouvant alors toujours sur la Côte d’Azur, la région s’est à son tour retrouvée occupée par l’armée allemande. Les nazis ont alors déporté les Juifs qui s’y trouvaient, dont Charlotte et son époux.
Alors que Charlotte, enceinte de cinq mois, a été tuée dès son arrivée au camp d’Auschwitz dans une chambre à gaz, son mari, Alexander, est mort dans le même camp en janvier 1944.
L’œuvre « Leben? oder Theater? » a été transmise par la peintre à un ami proche peu avant son arrestation, qui l’a ensuite transmise à Ottilie Moore. Les membres survivants de la famille de Charlotte Salomon ont finalement reçu l’œuvre après la guerre. Ses parents, Albert Salomon, rescapé après s’être évadé du camp de concentration de Westerbork aux Pays-Bas, et son épouse Paula – mère adoptive de l’artiste – ont survécu à la Shoah.
Alors qu’ils ignoraient totalement l’existence de l’œuvre de leur fille, ils ont conservé les peintures dans des boîtes et n’en ont parlé qu’à leur ami Otto Frank, le père d’Anne Frank, qui était venu leur demander leur avis concernant une biographie de leur fille.
L’existence de l’œuvre a été signalée au Stedelijk Museum d’Amsterdam en 1959 et plusieurs expositions ont suivi.
Albert Salomon, chirurgien, mort en 1976, et son épouse, morte en 2000, ont légué l’œuvre au Musée historique juif (Joods Historisch Museum), le musée d’histoire juive d’Amsterdam, en novembre 1971.

« Charlotte Salomon avait dessiné l’histoire de sa vie, il fallait donc que je produise un film d’animation, le film dessiné de l’histoire de sa vie », a expliqué la productrice canadienne Julia Rosenberg dans le dossier de presse du film. Nécessitant huit ans de travail, le dessin animé a mobilisé une équipe internationale.
Par ce long-métrage, elle espère que Charlotte Salomon aura enfin la reconnaissance qu’elle mérite. « Je suis une enthousiaste, quand j’aime quelque chose, je l’aime à fond », a-t-elle expliqué.
« Et je pense vraiment que le travail de Charlotte est incroyable, et que son histoire est tellement inspirante, malgré sa fin tragique, et injustement méconnue. J’espère que tout le monde se demandera : ‘Comment ai-je pu ne pas savoir qui est cette artiste ? Comment se fait-il qu’elle ne figure pas dans les livres d’histoire de l’art ?’ », a-t-elle ajouté.
Outre le parcours de l’artiste, le film, poignant, retrace la montée du nazisme en Allemagne. Il permet d’aborder le sujet de la Seconde Guerre mondiale et du danger de l’extrémisme avec les enfants en âge de comprendre ces thèmes.

En 2011, un long-métrage documentaire avait déjà été réalisé au sujet de l’artiste. Une grande monographie « Vie ? ou théâtre ? », qui présente les œuvres de Charlotte Salomon, a été publiée il y a quelques années. L’artiste a aussi fait l’objet d’un roman biographique de David Foenkinos en 2014, Charlotte (Prix Renaudot et Goncourt des lycéens). Un ballet primé et plusieurs pièces de théâtre ont également été mises en scène.
Des peintures de « Vie ? ou Théâtre ? » ont été exposées dans le monde entier, notamment à la Royal Academy of Art de Londres, au Museum of Fine Arts de Boston, ou encore à l’Art Gallery of Ontario. Plusieurs œuvres de Charlotte Salomon sont conservées par le Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel