Un rabbin de Milwaukee et son fils arrêtés pour avoir vandalisé une croix gammée
Un homme d'affaires palestinien a recouvert son immeuble d'une image du symbole nazi dans une étoile de David ; les hommes qui l'ont enlevée disent être certains qu'il s'agissait d'un acte antisémite

JTA – Zechariah Mehler voulait voir la croix gammée de ses propres yeux.
C’était en septembre. Milwaukee était en effervescence suite à l’installation d’une peinture murale sur le côté d’un bâtiment commercial dans le sixième arrondissement de la ville. Peinte sur des plaques de vinyle fixées à la brique, la fresque – un grand rectangle au rez-de-chaussée de l’immeuble – présentait un arrière-plan qui semblait représenter des charniers, des mères en pleurs, des drones et d’autres scènes de carnage à Gaza.
Au centre, se trouvait une étoile de David avec une croix gammée à l’intérieur, ainsi que les mots : « L’ironie de devenir ce que l’on a un jour détesté. »
Le conseil municipal avait adopté une résolution condamnant la fresque et les dirigeants juifs locaux avaient demandé son retrait. Cependant, le propriétaire de l’immeuble, un homme d’affaires palestinien nommé Ihsan Atta, a déclaré qu’il prenait une position de principe contre la guerre menée par Israël à Gaza. Lorsqu’une mère de famille du quartier a aspergé la fresque de peinture noire et l’a confronté face caméra en criant : « Qu’est-ce que vous voulez faire voir à nos enfants ? », Atta a répliqué en criant et a fait repeindre la fresque dès le lendemain.
Tous les doutes que Mehler avait sur le caractère antisémite de la fresque ont été effacés lorsqu’il s’est rendu sur place et qu’il a vu des manifestants anti-sionistes harceler des adolescents juifs orthodoxes.
« Le groupe ‘Free Palestine’ criait à ces enfants ‘assassins de bébés et porcs sionistes’ », a-t-il raconté à la Jewish Telegraphic Agency. « C’était agressif, c’était intimidant. »

C’est ainsi que Mehler, ancien employé en technologie à dreadlocks âgé de 42 ans, connu sous le nom de « Zee », qui travaillait comme traiteur casher et tenait un blog sur la nourriture casher, a expliqué qu’il avait décidé de prendre les choses en main.
Dans la nuit du 14 septembre, il a fait appel à son père Peter, 74 ans, rabbin à la retraite en mauvaise santé, pour l’accompagner sur le lieu de la fresque. Ils ont apporté une hache, une masse et une barre de levier et se sont mis au travail. Ils ont rapidement frappé la fresque et arraché les plaques de vinyle du mur, sous les yeux des caméras de sécurité d’Atta. Zechariah s’est alors tourné vers l’une d’entre elles et l’a éteinte, comme le dira par la suite le rapport de police : « Deux doigts d’honneur. »
Le binôme a été interrompu – et l’incident a failli dégénérer en violence – lorsqu’un spectateur qui était favorable à la fresque a tenté de s’interposer. Zechariah Mehler est donc revenu le lendemain pour terminer le travail, en détachant les derniers panneaux du mur.
Deux semaines plus tard, peu avant Rosh HaShana, la police s’est présentée à son domicile. Son père et lui ont été arrêtés et inculpés de dégradation criminelle de biens, ce qui, dans le Wisconsin, est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à neuf mois.
Mehler affirme qu’il savait que son action était illégale et qu’il s’attendait à être arrêté. Mais il est convaincu qu’ils ont fait ce qui était moralement correct, la seule option qui ne les obligeait pas à ignorer une menace ou à s’y soustraire.
« Il s’agit certainement de la destruction d’une propriété privée », a-t-il affirmé lors d’une interview.
« La question est de savoir si [la fresque] représentait ou non une menace tangible pour la communauté juive. Voilà notre position. »
Peter Mehler dit que lui non plus n’a pas de regrets. Il souffre du syndrome de Guillain-Barré, une maladie neurologique rare dans laquelle le système immunitaire du corps attaque ses propres nerfs.
« Au cours des dix dernières années, j’ai essentiellement vécu en vase clos », a-t-il expliqué.
« Mais c’était l’occasion pour moi de tenter une dernière fois d’être actif dans la diffusion de ce message. Nous ne pouvons pas permettre que des Juifs soient transformés en nazis. »
Aujourd’hui, les Mehler espèrent faire valoir leur point de vue devant un tribunal. Une audience préliminaire est prévue mardi, mais on ignore encore comment se déroulera l’affaire. Lors d’une précédente comparution devant le tribunal, Zechariah Mehler a injurié Atta et, selon lui, a tenté de prendre un selfie avec le propriétaire de la fresque pour le publier sur les réseaux sociaux. Depuis, un nouveau procureur a prêté serment pour poursuivre les affaires à Milwaukee, et il n’a pas encore commenté publiquement cette affaire.
L’affaire est devenue un sujet sensible à Milwaukee, où Golda Meïr a grandi et s’est engagée pour la première fois dans le mouvement sioniste travailliste, et où certains activistes anti-Israël ont introduit un niveau d’hostilités sans précédent dans les affaires locale pour la communauté juive de la ville.
Au cours de l’été, le chancelier de l’Université du Wisconsin-Milwaukee (UWM), dont la bibliothèque du campus principal porte le nom de Meïr, a rendu furieux certains groupes juifs locaux en concluant un accord avec le campement anti-Israël de son campus ; il a fini par présenter ses excuses. Un membre juif progressiste du conseil municipal de Milwaukee, qui avait co-signé une résolution commune condamnant la fresque, s’est récemment suicidé. Selon certains de ses amis, cet acte était motivé par des brimades anti-sionistes.
Le cas des Mehler a également suscité l’intérêt au-delà des frontières de la ville, où la question de savoir comment réagir aux manifestations anti-Israël a déconcerté et parfois divisé les Juifs.
Le chef d’un groupe nommé Betar US, qui encourage les Juifs à faire preuve de plus de fermeté, voire de violence physique, face aux menaces qu’ils perçoivent, a invité le père et le fils à représenter l’organisation à Milwaukee. Le groupe a également contribué à collecter près de 20 000 dollars pour couvrir leurs frais de justice.
Le Betar US est une réactivation d’un groupe paramilitaire centenaire fondé à l’origine par le leader sioniste révisionniste Zeev Jabotinsky au début du XXᵉ siècle. Au cours de l’année écoulée, les membres du Betar ont été impliqués dans plusieurs altercations avec des manifestants anti-Israël, et il leur est même arrivé de s’en prendre à d’autres Juifs. Le groupe recueille également des informations sur les étudiants étrangers qui participent aux manifestations anti-Israël aux États-Unis afin de les faire expulser.

« Ma politique et celle de Betar sont très différentes. Je ne suis pas un homme de droite », a déclaré Zechariah Mehler. Il a toutefois ajouté que le président du groupe, Ronn Torossian, chargé des relations publiques juives, lui avait assuré « qu’il s’agit plutôt de savoir si vous croyez qu’Israël a le droit d’exister, que les Juifs ont le droit de vivre en paix ». Il a ajouté qu’il était de la plus haute importance que les Juifs cessent d’être doux et de se laisser menacer et marcher sur les pieds. « J’ai donc répondu par l’affirmative. »
Torossian a qualifié les Mehler de « héros ». Dans une interview, il a déclaré que leurs actions correspondaient parfaitement à la vision de l’organisation à but non lucratif, qui consiste à voir les Juifs lutter publiquement contre les menaces perçues à leur encontre ou à l’encontre d’Israël.
« La famille Mehler est l’une des principales raisons pour lesquelles nous avons relancé Betar », a déclaré Torossian, qui a dit avoir grandi dans les premières versions du mouvement.
« C’est une honte que cet homme doive agir seul. C’est une honte que cet homme doive faire face à un procès criminel alors que la communauté juive tout entière reste silencieuse. Cela ne va pas durer. Je peux vous assurer que nous allons lui apporter davantage de soutien. »
Il ne semble pas que ce soutien vienne des institutions et organisations juives locales, que Zechariah Mehler a qualifiées de « cerfs dans la lumière » lorsqu’il s’agit des problèmes posés par l’activisme anti-Israël.
Un représentant de la Fédération juive de Milwaukee et du Conseil des relations avec la communauté juive (JCRC) a réitéré la dénonciation par la fédération de la fresque comme étant « antisémite pour de nombreuses raisons », notamment parce qu’elle encourage le déni de la Shoah et déshumanise ses survivants et ses victimes. Mais les groupes ont refusé de faire d’autres commentaires sur le cas des Mehler ou sur la suppression effective de la peinture murale.
Par le passé, ces groupes ont découragé l’autodéfense juive. En mai, alors que le campement de l’UWM était en pleine effervescence, le JCRC avait conseillé aux Juifs locaux de ne pas contre-manifester, estimant que cela risquait d’aggraver une situation déjà dangereuse.
Lorsque les Mehler ont cherché à acheter une publicité dans le journal juif local, qui appartient à la fédération, ils se sont heurtés à une fin de non-recevoir. « Vous venez avec une histoire qui pourrait poser des problèmes de contenu et/ou de réputation pour une publication juive », a écrit un cadre de la fédération à Zechariah Mehler, dans un courriel que la JTA a obtenu. Le responsable a ajouté que la fédération « ne peut pas se mettre dans une position où les gens pourraient même avoir l’impression que nous avons approuvé des actions de votre passé ».

Certains habitants de la ville sont favorables aux Mehler. Matt Stolzenberg, un tatoueur dont le salon était situé dans le même bâtiment que la fresque, n’a pas caché son dégoût pour celle-ci. Après l’installation de la fresque, Stolzenberg – qui dit ne pas être Juif mais avoir de la famille juive – a déclaré que lui et ses partenaires commerciaux avaient déménagé leur boutique à grands frais pour s’installer dans un autre bâtiment, ce qui n’est pas le cas des Mehler.
Certains de ses clients ont interprété son geste comme « un acte anti-palestinien, ce que je ne suis pas du tout », a déclaré Stolzenberg. « Mais je ne suis pas non plus anti-juif, ni pro-croix gammée. »
Interrogé sur son opinion concernant l’affaire Mehler, il a ajouté : « Je pense que si j’étais Juif, il n’y aurait pas d’autre option que de détruire la fresque géante. »
Atta a installé cette fresque à la place d’une autre érigée à la mémoire de Breonna Taylor, une femme noire abattue par la police à Louisville (Kentucky) en 2020, qui est devenue un symbole des manifestations nationales en faveur de la justice raciale cette année-là.
Après le premier acte de vandalisme commis par une habitante de la ville, le conseil municipal de Milwaukee a publié une déclaration condamnant l’image comme étant « blessante et source de division » et déclarant qu’elle « n’est pas la bienvenue dans notre communauté ».
« Certaines personnes cherchent n’importe quelle excuse pour brandir une croix gammée », ont écrit les membres du conseil dans leur déclaration du 14 septembre.
« Il s’agit depuis longtemps d’un symbole d’intolérance et de haine, conçu pour blesser psychologiquement et opprimer ceux qui sont différents. Le membre du conseil qui représente le district où se trouve la peinture murale n’a pas répondu à une demande de commentaire. »

Atta n’a pas non plus répondu aux demandes de commentaires formulées par un intermédiaire. Mais il a toujours défendu sa fresque, notamment lors d’une conférence de presse qu’il a tenue sur le site peu après que les Mehler l’ont détruite. Cette conférence avait été organisée par la Wisconsin Coalition for Justice in Palestine (CJP), dont la co-présidente est la sœur d’Atta.
« C’était une façon artistique d’exprimer le génocide actuel perpétré contre le peuple palestinien par Israël et qui est soutenu par notre gouvernement et financé avec l’argent de nos impôts », a déclaré Atta à propos de la fresque murale exposée lors de l’événement. Il a ajouté que l’étoile de David sur la fresque n’était pas un symbole juif, mais un symbole politique tiré du drapeau « d’un régime d’apartheid ». Les accusations inacceptables de « génocide » et « d’apartheid » sont largement répandues auprès des détracteurs d’Israël.
En reprenant les termes popularisés en grande partie par Meïr Kahane, un extrémiste juif d’extrême droite, en réponse à la Shoah, il a ajouté : « C’est une déclaration que de dire que ‘plus jamais ça’ signifie plus jamais ça pour personne. »
Plusieurs de ses partisans portaient des tee-shirts noirs ornés de la croix gammée de la fresque lors de la manifestation, qui comptait également des membres locaux du groupe anti-sioniste Jewish Voice for Peace (JVP).
Pourtant, même JVP, qui a tendance à soutenir les manifestations menées par les Palestiniens et que de nombreux autres Juifs jugent offensantes, voire antisémites, a reconnu le caractère provocateur de la fresque.
« Nous comprenons pourquoi elle est polarisante », a écrit la section JVP de Milwaukee, qui est membre de la coalition anti-Israël, dans une longue déclaration Instagram publiée juste avant la destruction de la fresque.
« Une critique légitime peut être faite à ce sujet, en particulier en ce qui concerne le langage de la fresque qui sous-entend que les Juifs, que les nazis ont persécutés et exterminés pendant la Shoah, sont devenus des oppresseurs au même titre que les nazis en ce qui concerne le sionisme et la Palestine. »
La déclaration, lue par la co-fondatrice de la section, Rachel Ida Buff, lors de la conférence de presse, précisait « qu’il devrait être tout à fait clair pour tous que le judaïsme et le sionisme sont deux choses différentes, mais il est compréhensible que quelqu’un puisse lire la peinture murale comme faisant l’amalgame entre les deux ».
Cependant, la déclaration poursuit en concluant que le comportement d’Israël est « bien plus répréhensible et antisémite » que la peinture murale et que « ce n’est pas à nous ni à personne d’autre de contrôler les Palestiniens lorsqu’ils expriment leur douleur par des moyens créatifs ».
Rachel Ida Buff, la fondatrice de la section locale de JVP et professeure d’histoire à l’UWM, qui est Juive, a déclaré à la JTA qu’elle pensait que la fresque « était destinée à susciter le débat, ce qu’elle a réussi à faire ».
« Si la croix gammée de River West choque plus les gens que les images d’enfants assassinés à Gaza, c’est un problème moral », a ajouté Buff.
Ce qui a le plus bouleversé Peter Mehler lorsqu’il a vu la fresque, a-t-il dit, c’est de penser à ses anciens disciples, dont beaucoup sont des survivants de la Shoah, dans les synagogues qu’il dirigeait à Sheboygan, dans le Wisconsin, et à Northbrook, dans l’Illinois.

« J’étais vraiment scandalisé », a-t-il déclaré. « Pour eux, cela aurait été extrêmement traumatisant. Et pour moi aussi, c’était traumatisant de voir ce type prendre l’étoile de David et la transformer en croix gammée. »
Il a rejeté toute comparaison entre la guerre menée contre le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza et la Shoah.
« La guerre en Israël n’a rien à voir avec la Shoah, et je suis offensé par l’idée que les Palestiniens ont fait de nous les coupables, alors qu’ils étaient en fait les agresseurs », a-t-il déclaré. « Une fois qu’ils ont attaqué, ils doivent se rendre compte qu’ils ont ouvert la boîte de Pandore et qu’ils sont responsables de tout ce qu’Israël a fait. »
« Une fois qu’ils ont attaqué, ils doivent se rendre compte qu’ils ont ouvert la boîte de Pandore et qu’ils sont responsables de tout ce qu’Israël a fait. »
Les deux hommes ont raconté que leur activisme avait failli prendre une tournure dangereuse lorsqu’un passant les a accostés alors qu’ils étaient en train d’arracher la peinture murale. L’homme « m’a dit : ‘Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Vous ne savez pas ce qu’est un génocide. Décrivez-moi ce qu’est un génocide’ », s’est souvenu Peter Mehler.
Cet échange l’a choqué et il a envisagé de frapper l’homme avec son marteau. Mais Zechariah a expliqué à son père que « notre méthodologie n’avait pas pour but d’être agressive ».
Le passant, Michael Gauthier, a fait un récit similaire de la rencontre lors de la conférence de presse du CJP. « Je me tenais sur ce trottoir et il y avait un homme en colère qui me criait au visage, brandissait un marteau et disait qu’il allait me frapper avec », a-t-il expliqué. « Dieu merci, cela ne s’est pas produit. Dieu merci, son complice l’a un peu calmé. »
Les membres de la famille ont essayé de décourager Peter de rejoindre son fils, en invoquant son état de santé, ont déclaré les deux Mehler. Mais il a insisté.
« C’est la responsabilité d’un rabbin d’être le symbole du vrai nord pour la communauté juive », a déclaré Peter Mehler. « Nous avons un symbole de l’antisémitisme accroché au mur, et personne ne veut en parler. »
Le père et le fils affirment être prêts à aller en prison pour leurs actes. Peter a insisté sur le fait que les choses n’en arriveraient pas là et a promis de faire appel de toute sanction. Zechariah, quant à lui, a déclaré qu’il se réjouirait de l’attention qu’une telle condamnation susciterait.
« Vous savez ce qui se passera s’ils me mettent en prison pour cela ? Oh mon Dieu, toutes les organisations juives s’en occuperont », a-t-il déclaré. « Alan Dershowitz serait là. Ils ne veulent pas de ça. »
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