Un soldat du régiment controversé Azov, en Israël, se confie sur la guerre
Illia Samoilenko a passé quatre mois comme prisonnier de guerre à Moscou et a survécu à un siège ; il raconte son histoire
Illia Samoilenko se fait remarquer partout où il va et sa présence dans le centre de Jérusalem ne fait pas exception à la règle. Coiffé avec soin, le lieutenant ukrainien domine les passants du haut de ses deux mètres.
Samoilenko, agent des renseignements du Régiment Azov qui dépend de la Garde nationale ukrainienne, se distingue d’autant plus qu’il ne fait aucun effort pour cacher ses blessures de guerre. Sa main gauche – dont il a perdu l’usage lors d’une campagne de 2016 contre les Russes, il avait aussi perdu son œil droit à cette occasion – est une prothèse en métal qu’il utilise avec une grande dextérité.
Et il insiste sur le fait que malgré des semaines de combat désespéré lors du siège de la célèbre usine métallurgique Azovstal de Marioupol, un siège qui a été suivi par des mois de mise à l’isolement dans une prison russe, il a retrouvé son équilibre psychique.
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« Je suis complètement remis », dit Samoilenko au Times of Israel au cours d’un entretien accordé mercredi, quelques heures après son atterrissage à l’aéroport Ben Gurion. Il va passer neuf jours au sein de l’État juif pour y raconter l’histoire de la défense de Marioupol dans un pays qui, selon Kiev, a été dans l’incapacité d’adopter un positionnement moral ferme face aux exactions russes.
Mais l’homme de 28 ans ne s’arrête pas sur les tensions qui existent entre les deux gouvernements.
« Je ne suis pas venu ici pour mendier des armes », explique-t-il.
Azov 2.0
En 2016, Samoilenko, qui était étudiant à l’université de Kiev, avait décidé de rejoindre le régiment Azov pour lutter contre les séparatistes soutenus par les Russes dans l’Est de l’Ukraine.
Il explique avoir décidé d’intégrer l’unité en raison des prouesses professionnelles et intellectuelles de ses soldats. « J’y suis allé parce que je suis quelqu’un de motivé, de passionné, que je crois en mes capacités – et que j’avais remarqué que ces gens étaient comme moi, ils s’entraînaient en permanence, ils avaient de grandes idées. Il y a dans l’unité beaucoup d’intellectuels, en fait. Beaucoup de gens venus volontairement pour faire leur service militaire ».
Le bataillon Azov était devenu célèbre en 2014 en tant qu’unité formée de volontaires qui s’était battue aux côtés de l’armée ukrainienne contre les milices pro-Moscou et contre les troupes russes dans le Donbass. Le régiment avait ensuite été intégré dans les forces officielles de Kiev.
Un grand nombre de personnes avaient déclaré que l’unité était une organisation d’extrême-droite qui utilisait à loisir l’imagerie nazie et qui attirait les nationalistes antisémites. Azov a d’ailleurs été cité à de nombreuses reprises par les Russes quand ces derniers ont accusé Kiev d’avoir de la sympathie pour le nazisme.
En 2017, des graffitis antisémites, ainsi que le symbole du régiment Azov, avaient été peints à la bombe sur les institutions juives d’Odessa.
Vyacheslav Lykhachov, Israélien né en Russie qui traque les crimes de haine en Ukraine, reconnaît qu’il y avait des néo-nazis parmi les fondateurs du groupe en 2014, ajoutant que la majorité de ces idéologues d’extrême-droite avaient quitté le groupe à la fin de cette année-là.
« Le reste des radicaux de droite, qui formulaient clairement leurs points de vue extrémistes, ont été délibérément écartés par le nouveau commandant du régiment en 2017 », explique Lykhachov.
« Il n’y a aucune unité formée sur la base de l’idéologie dans la Garde nationale ukrainienne, pas plus qu’il n’y en a dans l’armée ukrainienne », continue-t-il.
Samoilenko admet, lui aussi, facilement que l’extrême-droite était présente « au début de la renaissance nationale ukrainienne » – lors du mouvement de protestation Euromaidan, en 2013 – et qu’elle était représentée dans le régiment Azov.
« Nous avons eu, au cours des deux premières années, des gens qui avaient une réputation douteuse. Oui, bien sûr », déclare-t-il avant d’ajouter qu’ils sont partis lorsque le régiment a gagné en professionnalisme. « Les marginaux, les aventuriers… Tout sont partis et ils ne sont pas restés longtemps, en fait ».
Les soldats de l’unité ont différentes idéologies, affirme Samoilenko – antifascistes, socialistes ou anarchistes. « Il y a des Juifs dans l’unité et ils sont restés tout ce temps-là », ajoute-t-il, « même s’ils ne sont pas nombreux parce que beaucoup de gens ont été effrayés par la propagande russe. »
L’un des commandants de la compagnie actuellement sur le terrain est Juif, note Samoilenko : « Il fait un excellent boulot ».
Yulia Fedosiuk, dont le mari a été emprisonné par les forces russes alors que les membres du régiment s’étaient rendus aux Russes à l’issue du siège de l’usine métallurgique d’Azovstal, à Marioupol, partage le même sentiment.
« L’un de mes meilleurs amis est Juif et il appartient à l’unité Azov », dit Fedosiuk, venue en Israël dans le cadre de la même délégation que Samoilenko, un voyage qui a été financé par une organisation à but non-lucratif pro-Kiev.
Il s’attendait à mourir
Samoilenko a pris part à la défense de Marioupol depuis le début de l’invasion russe, à la fin du mois de février.
« Je m’attendais à ce qu’on tienne une semaine », se souvient-il, alors que 10 000 soldats et francs-tireurs russes assiégeaient la ville.
Au-delà du travail au sein de l’unité proprement dit, la maîtrise de l’anglais de Samoilenko a signifié qu’il a passé beaucoup de temps à accorder des interviews aux médias du monde entier.
Agent des renseignements accompli, Samoilenko peut encore citer tous les noms des unités russes qu’il a affrontées, qu’il s’agisse de conscrits, de forces spéciales ou de formations tchétchènes.
Il dit avoir un certain respect pour les forces spéciales russes auxquelles Azov a fait face.
« On leur a donné un coup de pied au derrière », raconte-t-il. « Ces gars sont formidables et ils nous ont témoigné du respect. Ce sont les seuls, vous savez, qui ont encore un peu d’honneur et on les a combattus très vigoureusement ».
Ce siège de trois mois devait transformer Marioupol en symbole mondial de défiance et de souffrance. Les bombardements russes avaient fait plus de 2 000 morts du côté des civils, selon l’Ukraine, et laissé les habitants encore en vie – peut-être un quart de la population d’avant-guerre de cette ville portuaire du sud du pays, qui était alors de 430 000 personnes – privés de médicaments, de chauffage, de produits alimentaires et d’eau.
Pendant le siège, les forces russes avaient lancé une attaque meurtrière sur une maternité et dans un théâtre où des civils s’étaient réfugiés. Près de 600 personnes pourraient avoir trouvé la mort dans ce théâtre.
Il y avait eu enfin l’usine métallurgique Azovstal, avec ses 25 000 défenseurs et des centaines de civils.
Forteresse recouvrant presque onze kilomètres-carrés, avec un labyrinthe de tunnels et de bunkers souterrains de 24 kilomètres-carrés, l’usine était pratiquement imprenable.
Mais les vivres, préparées pendant toute la guerre pour ce siège anticipé, avaient commencé à manquer. « Nous avions commencé avec deux repas par jour, puis on est passé à un repas par jour avec des portions très petites », explique Samoilenko.
Les centaines de soldats blessés avaient dû affronter une situation réellement inquiétante.
« A partir du début du mois de mai, la situation des blessés a été de pire en pire », dit Samoilenko. « Nous n’avions pas de pansements appropriés. Nous n’avions pas d’antibiotiques. Nous avions un stock très limité d’anti-douleurs ».
« Mais on pratiquait encore des interventions chirurgicales dans ces conditions », continue-t-il. « Je ne sais pas de quelle étoffe ces hommes étaient faits, mais ils étaient comme des Titans humains. Comme des dieux ».
« Quand vous acceptez le fait que vous êtes d’ores et déjà mort, c’est une liberté. Vous pouvez vous battre comme si c’était le dernier jour de votre vie »
Ceux qui combattaient encore ne s’attendaient pas à survivre. « Quand vous acceptez le fait que vous êtes d’ores et déjà mort, c’est une liberté », dit Samoilenko. « Vous pouvez vous battre comme si c’était le dernier jour de votre vie ».
La décision de la reddition avait été prise pour sauver les plus de 600 blessés.
« Votre responsabilité est de sauver ces types qui ne peuvent pas se sauver eux-mêmes », déclare Samoilenko. « Si ce type est sans jambe ou sans bras, ou qu’il a une fracture, un trou dans l’estomac, vous allez vous contenter de laisser votre arme à feu à côté de lui et d’attendre que les Russes, avec leurs lanceurs de roquettes et avec leurs lance-flammes thermobariques viennent et qu’ils réduisent en cendres ce bunker ? », interroge-t-il.
« Bien sûr que non, parce que notre captivité était le seul moyen de sauver ces types », ajoute-t-il.
Entre les mains des Russes
Enfin, le 17 mai, des centaines de soldats ukrainiens s’étaient rendus aux Russes et ils avaient été envoyés au camp de prisonniers d’Olenivka à Donesk, région occupée par la Russie.
Samoilenko avait passé quatre jours là-bas, avec une nourriture difficilement mangeable. Considéré comme un détenu précieux en raison de ses apparitions dans les médias, il avait été placé à l’isolement dans une prison des forces spéciales, à Moscou.
Une initiative qui a bien pu avoir sauvé la vie de Samoilenko. Dans la matinée du 29 juillet, une explosion avait eu lieu dans le camp de prisonniers de guerre, entraînant la mort d’au moins cinquante d’entre eux et faisant un nombre de blessés largement supérieur. L’Ukraine et la Russie s’étaient renvoyés la responsabilité de cette attaque.
Les conditions de vie proprement dites avaient finalement été meilleures à Moscou. Il n’avait été interrogé qu’à une seule reprise par un soldat qui ne lui avait pas infligé de maltraitances. « Je ne tente pas de lui trouver des excuses parce qu’il fait partie de ce système meurtrier mais, au moins, il m’a donné deux cannettes de boisson énergisante et un paquet de cigarettes ».
« La nourriture, ça allait, avec trois repas par jour », poursuit-il. Il dit avoir d’ailleurs repris les 10 kilos qu’il avait perdus à Azovstal.
Mais même la nourriture décente n’avait pas permis de rompre la solitude.
« Les pressions psychologiques, les privations émotionnelles et en matière d’information, tout ça a été finalement bien pire », se souvient-il.
Après des mois d’absence de contact avec sa famille ou avec le monde extérieur et avec un seul livre, consacré à Dwight Eisenhower, à lire, des gardes sont entrés dans la cellule de Samoilenko, le 1er septembre, et ils lui ont dit de se changer et de remettre ses vêtements civils. A la frontière ukrainienne, il a fait partie d’un groupe de soldats qui a été échangé contre des prisonniers de guerre russes – et il a retrouvé la liberté.
Mais il raconte qu’il ne s’était pas senti libre. En réalité, il n’avait rien ressenti.
« J’étais complètement vidé », se rappelle Samoilenko. « Aucune émotion, aucun sentiment, aucune sensation. Je n’étais plus moi ».
Quand Samoilenko avait franchi la frontière, Yulia Fedosiuk était aux États-Unis en compagnie de la mère de Samoilenko. Elle y plaidait la cause de son époux, Arseni, arrêté à Azovstal et enfermé à Olenivka.
Elle se souvient qu’Alla Samoilenko, 48 ans, ne s’était pas réjouie trop ouvertement quand elle avait appris le retour de son fils en Ukraine, l’époux de Fedosiuk étant encore, pour sa part, en captivité.
Une nouvelle Ukraine
Malgré les luttes émotionnelles, Samoilenko reconnaît qu’il a eu l’impression de découvrir un nouveau pays lors de son retour en Ukraine. « Quand j’étais à Marioupol, c’était l’ancien pays », songe-t-il. « Quand je suis revenu de captivité, j’ai découvert un autre pays, un pays différent où nous avions compris quel était notre potentiel, où nous avions compris que nous sommes forts quand nous sommes unis. »
Samoilenko estime qu’il s’en est bien sorti en comparaison avec certains de ses amis du régiment Azov. « Il y avait des gens qui avaient perdu 30, 40 kilos. Ils avaient des hématomes, des cicatrices, des marques d’électrocution sur tout le corps. Il y avait des types qui n’avaient plus de dents, des types qui avaient connu la faim jusqu’à frôler la mort ».
Il est difficile pour lui de se réjouir alors que la grande majorité des membres de son unité restent actuellement en captivité.
En même temps, Samoilenko déclare qu’il a su dépasser les problèmes psychologiques issus de sa mise à l’isolement. Il se souvient du moment où il a été capable de rire à un meme posté sur internet, expliquant qu’il a alors eu le sentiment d’être redevenu lui-même.
« Je ne fais plus aucun cauchemar. Mon sommeil est normal. J’ai ressenti des carences émotionnelles, de l’anxiété, j’ai fait de la dépression mais aujourd’hui c’est terminé, j’ai réussi à vaincre tout ça », dit-il.
Samoilenko a remis son uniforme et la conscience d’avoir encore une mission essentielle, déterminante à mener à aidé à son rétablissement.
« J’ai mes impératifs moraux et des obligations actuelles plus généralement », dit-il. « Et nous devons faire en sorte de sauver le reste. Nous devons œuvrer à améliorer notre potentiel à la bataille. Nous devons faire en sorte de reprendre des forces et d’être tous dans les meilleures conditions pour nous battre », note-t-il.
Contrer le narratif russe
Samoilenko et Fedosiuk sont en Israël pour neuf jours, s’exprimant devant les soldats, les médias et les responsables gouvernementaux. Ils doivent aussi assister à la projection d’un documentaire intitulé « Les camps de filtration de Marioupol ». Leur voyage est financé par une ONG, les Amis israéliens de l’Ukraine, qui a aussi organisé leur séjour.
« Ici, en Israël, nous avons le narratif des Russes », explique Anna Zharova, cofondatrice de l’ONG pro-Kiev. « Les Russes tentent de propager ce narratif en Israël, ils disent que les Ukrainiens sont des nazis. C’est l’une des raisons qui nous a décidés à faire entendre un autre point de vue au grand public. »
Si Israël a conservé des liens avec l’Ukraine et avec la Russie pendant la guerre – provoquant la colère des responsables ukrainiens – ni Samoilenko ni Fedosiuk ne semblent nourrir d’animosité à l’égard de l’État juif pour l’ambiguïté de son positionnement.
« Vous vivez une situation qui exige une attention militaire en permanence », commente Samoilenko.
L’une des raisons expliquant la réserve d’Israël face à Poutine est le fait que les troupes russes en Syrie pourraient rendre le travail des pilotes israéliens difficiles lors de leurs frappes visant à empêcher l’Iran de s’ancrer de manière plus profonde à la frontière d’Israël.
« Les Israéliens ont leur propre politique intérieure et extérieure », reconnaît Samoilenko. « Je sais que les principes de cette politique et que cette politique en elle-même sont forts, stricts. Et c’est important, parce que c’est une politique déterminée par Israël et pour Israël ».
L’un des points de friction majeurs entre Kiev et Jérusalem est le refus opposé par Israël de fournir des armes défensives et en particulier, le système de défense anti-missile du Dôme de fer.
Comme de nombreux experts israéliens, Samoilenko ne considère pas comme raisonnable cette demande, même s’il ne s’agit pas de la seule technologie défensive demandée par Kiev : « J’ai beaucoup lu sur le Dôme de fer. Le Dôme de fer n’est pas un système adapté à notre situation ».
Il dit que pour lui, l’Ukraine et Israël sont du même côté – la civilisation se battant contre l’obscurantisme dans un combat pour l’avenir de l’humanité.
« Nous avons une civilisation prospère, belle, très belle – et eux, ce sont des hommes des cavernes », dit-il, mélangeant des métaphores historiques.
« Une chose importante que je veux pouvoir révéler au monde, c’est qu’après avoir été détenu en captivité en Russie, j’ai compris qu’ils pensent véritablement être les meilleurs en tout et sur tout », dit Samoilenko, se penchant en avant. « Ils mentent et ils pratiquent l’intimidation. »
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