Une famille éthiopienne risque gros pour récupérer une version rare des Psaumes
Senebato et ses cousins se sont rendus en Éthiopie pour récupérer un livre de l'Orit, une version de la Bible dans un dialecte ancien qui appartenait à leurs ancêtres
ADDIS ABABA, Éthiopie (JTA) – Lorsqu’elle a quitté son pays pour Israël il y a trois décennies, la famille d’Askabo Meshiha a laissé quelque chose de très précieux derrière elle.
Contrairement à beaucoup d’autres Juifs éthiopiens qui ont immigré par avion en Israël en 1991, ils n’ont pas dit au revoir à leurs proches. Ils ont également laissé derrière eux un livre de psaumes vieux de plusieurs siècles, écrit en geez, une langue sémitique utilisée par les rabbins en Éthiopie.
En secret et dans un délai très court, la famille a dû quitter sa maison rurale pour la capitale Addis-Abeba avec le moins de bagages possible. Elle a donc confié à des voisins non-juifs le soin de garder le livre à l’abri jusqu’à ce qu’elle puisse le récupérer. Depuis Israël, les membres de la famille ont suivi la trace du livre pendant plus de 30 ans, sans jamais perdre l’espoir de le récupérer, même lorsque leur pays natal a sombré dans la guerre civile et que le livre s’est retrouvé entre les mains d’un prêtre chrétien qui a exigé une importante rançon pour le restituer.
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Leur persévérance a porté ses fruits.
En mars, un concours de circonstances a finalement permis à la famille de récupérer l’ouvrage, une relique rare mais tangible des riches traditions de l’une des plus anciennes communautés juives du monde. La famille espère maintenant restaurer le livre et l’utiliser pour renforcer l’identité de leur communauté, en perte de vitesse depuis quelques années.
« Quand j’ai envoyé la photo du livre dans le groupe WhatsApp familial, les gens sont devenus fous, c’est comme si un parent perdu depuis longtemps était revenu », a déclaré Ayanawo Ferada Senebato, petit-fils de Meshiha âgé de 43 ans, journaliste et militant qui défend des causes liées aux Israéliens éthiopiens.
Senebato et deux de ses cousins se sont rendus dans le nord de l’Éthiopie au début de l’année, alors en pleine guerre civile, sur les conseils d’amis de leur grand-mère basés en Éthiopie : le prêtre chrétien qui possédait le livre depuis des années avait été arrêté et avait besoin d’argent pour sortir de prison.
Lors de négociations précédentes, le prêtre avait exigé plus de 10 000 dollars pour rendre le livre. Mais maintenant, pressé par la situation, il a accepté de s’en séparer pour 1 200 dollars.
Senebato a pris l’avion pour l’Éthiopie avec des cousins plus âgés : Getnat Eshato Selam, père de six enfants, qui vit à Lod et travaille à l’aéroport Ben Gurion, où sa famille a atterri en 1991, et David Malsa Makuria, qui vit à Ashkelon et travaille dans une entreprise d’assainissement de l’eau. Ensemble, ils ont négocié l’accord et enveloppé le livre fragile dans un drapeau israélien qu’ils avaient apporté.
Des dizaines de pages carrées en parchemin de 30 cm sur 30 cm se sont détachées de la reliure, et d’autres sont à peine attachées. Mais l’importance du livre reste facile à identifier : parmi les nombreux types et couleurs d’encre, certains segments sont écrits en rouge – une façon de signifier qu’un kes, terme amharique désignant un rabbin, a apporté des ajouts à l’original.
Même les locuteurs de l’amharique ne peuvent généralement pas lire ou communiquer en geez, qui n’est déchiffrable que par un groupe de plus en plus restreint de chefs spirituels de la communauté juive éthiopienne, dont la plupart vivent aujourd’hui en Israël.
La semaine dernière, le livre a été utilisé pour la prière, probablement pour la première fois depuis au moins 34 ans, au domicile de Mentasnut Memo, un kes qui vit à Kiryat Gat, dans le sud d’Israël. Il a trouvé griffonné sur une page du livre le nom de l’arrière-arrière-grand-père de Senebato, Erqshen Sequin.
« J’ai été envahi par la fierté et l’excitation lorsque le livre a été lu et que le nom de mon ancêtre a été trouvé », a déclaré Senebato.
Senebato a déclaré qu’il n’était pas inquiet d’avoir enfreint les lois éthiopiennes interdisant de sortir du pays des objets d’une importance historique, mais il a refusé de nommer le prêtre qui détenait le livre pour éviter d’impliquer quelqu’un qui se trouve encore là-bas.
« Ce livre était dans ma famille bien avant que les lois éthiopiennes ne soient écrites », a-t-il déclaré.
Les plus âgés des cousins se souviennent du livre lors de leur séjour en Éthiopie, où ils vivaient dans le village de Vinerb, près du lac Tana, à environ 400 kilomètres au nord-est d’Addis-Abeba.
« J’étais trop jeune pour m’en souvenir », a déclaré Senebato. « Mais nous avons tous eu l’impression que c’était un morceau de notre histoire familiale, qui nous a été rendu lorsque nous l’avons pris dans nos mains. »
Le livre est important, et pas simplement pour la famille élargie d’Askabo Meshiha. Il est l’un des rares textes en Israël à faire partie de l’Orit, une variante éthiopienne de la Bible hébraïque antérieure à l’avènement de ce texte standardisé. C’est un rappel remarquable de l’ancienneté du judaïsme éthiopien et certains estiment qu’il a plus de 2 600 ans.
Les Juifs éthiopiens ont apporté avec eux quelques précieux exemplaires du livre d’Orit lorsqu’ils ont immigré en Israël à partir des années 1980, mais chaque document offre une représentation distincte et partielle de l’histoire, de la piété et des traditions rabbiniques propres à chaque congrégation. La transmission largement orale de l’Orit a varié considérablement entre les régions et même les communautés d’Éthiopie.
Consciente de la rareté des données sur l’Orit et du danger de voir disparaître les connaissances à son sujet après l’immigration de la quasi-totalité des Juifs d’Éthiopie en Israël, l’université de Tel-Aviv a ouvert en 2020 le premier programme universitaire au monde axé sur les écritures saintes des Juifs éthiopiens.
« Ces trésors culturels sont menacés d’extinction », a déclaré à l’époque Dalit Rom-Shiloni, la chercheuse en charge du programme.
L’exemplaire de la famille Meshiha atteste de la liturgie non écrite qui a évolué autour de l’Orit au fil des siècles. Il comprend des chants, des interprétations rabbiniques et des histoires en amharique et en tigrinya.
Les chercheurs de la Bibliothèque nationale d’Israël qui ont examiné le livre de la famille Meshiha à la demande de celle-ci estiment qu’il a environ 200 ans. Mais les membres de la famille pensent qu’il est encore plus vieux. Selon la tradition familiale, le livre a été transmis à un ancêtre qui a vécu il y a 300 ans. Senebato n’a pas l’intention de donner le livre à des fins académiques.
« Nous ne l’avons pas apporté ici pour le mettre dans un musée. Le livre doit être restauré et utilisé. Soigneusement, consciemment, avec parcimonie, mais utilisé », a-t-il déclaré.
Le regain d’intérêt pour les traditions juives éthiopiennes après des décennies d’assimilation offre des opportunités pour l’utilisation du livre. Ignorée par Israël pendant des décennies, Sigd, la principale fête des Juifs éthiopiens, bénéficie d’une reconnaissance croissante depuis son inclusion en 2008 dans le calendrier officiel des fêtes nationales et dans un contexte d’intérêt grandissant des jeunes Israéliens éthiopiens pour le patrimoine en voie de disparition de leur communauté.
Une partie de cet intérêt croissant a été stimulée par une prise de conscience mondiale du racisme. De nombreux Israéliens d’origine éthiopienne ont exprimé leur solidarité avec le mouvement Black Lives Matter, invoquant le racisme dont ils disent être victimes en Israël.
Selon Senebato, le livre de sa famille montre que les Israéliens éthiopiens n’ont pas besoin de se tourner vers des mouvements basés aux États-Unis ou ailleurs pour trouver un sens à leur communauté.
« C’est une preuve tangible de plus de 2 000 ans de culture juive éthiopienne », a déclaré Senebato. « C’est puissant, et il faut s’en servir pour rappeler aux jeunes de notre communauté qu’ils sont des Juifs d’Éthiopie, vivant dans la patrie juive. Et c’est là, la véritable histoire de ce livre. »
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