Une histoire exotique de diamants et de survivants
Un nouveau film se penche sur une époque méconnue, au cours de laquelle l'île des Caraïbes est devenue le centre névrlagique du diamant après avoir ouvert ses portes à des milliers de juifs européens qui fuyaient le nazisme
LA HAVANE, Cuba – Une cinquantaine de juifs se sont rassemblés, lors d’un Shabbat chaud et humide du début du mois de juillet, dans la salle des fêtes de la plus grande synagogue de Cuba, pour revivre une tranche méconnue de leur histoire.
La première diffusion sur l’île de « Cuba’s Forgotten Jewels : A Haven in Havana » (« Les joyaux oubliés de Cuba : un refuge à La Havane ») n’a pas déçu. Ce documentaire poignant de 46 minutes, réalisé par Judy Ann Kreith et Robin Truesdale raconte l’histoire obscure de milliers de juifs européens qui n’ont pas seulement fui l’extermination par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, ils ont également amené à Cuba une industrie éphémère de taille de diamants.
Le film est une sorte de contrepoint du « Voyage des Damnés », un film de 1976 dans lequel jouent Faye Dunaway et Orson Welles, et qui relatent la tragique épopée sur SS St Louis, le paquebot allemand qui a quitté Hambourg pour La Havane en 1937, avec 937 passagers juifs à bord.
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Ceux qui avaient embarqué à bord du St Louis ignoraient que les visas qu’ils avaient achetés auprès de responsables corrompus étaient invalides, et seuls 28 d’entre eux ont été autorisés à débarquer à leur arrivée à La Havane. Le navire, qui n’a pas reçu l’autorisation d’accoster à Miami ni dans d’autres ports américains, a finalement repris la route vers le port d’Anvers, contrôlé par les nazis, après avoir passé un mois en mer. Environ 250 des passagers du St Louis ont péri dans les camps de concentration.
« Forgotten Jewels » a une fin bien plus heureuse. Dans cette histoire, Cuba, alors sous la dictature du général Fulgencio Batista, a accueilli près de 6 000 tailleurs de diamants juifs et leurs familles, originaires de Belgique et d’ailleurs, s’ajoutant aux 6 000 juifs allemands et autrichiens qui sont arrivés avant la fermeture des portes.
« Nous avons essayé de parler du St Louis, parce que c’est ce à quoi pensent la plupart des gens quand ils pensent à Cuba et au fait que les réfugiés ont été interdits d’entrée », a expliqué Kreith, lors d’une interview autour d’un café con leche, au Patronato, l’une des trois plus grandes synagogues de La Havane en fonctionnement.
« C’est une histoire très personnelle », a-t-elle expliqué au Times of Israel. « Ma mère, Marion Finkels Kreith, est arrivée en 1941, en provenance d’Hambourg. Elle a passé trois ans a tenter d’échapper aux nazis. Son père, qui a été interné dans un camp dans le sud de la France, avaient entendu parler de l’octroi de visas pour Cuba. Ils ont donc pu en obtenir pour toutes la famille. Tous les personnages du film étaient en Belgique quand les nazis ont envahi, le 10 mai 1940. »
Kreith a grandi en entendant comment sa mère est arrivée à Cuba à l’âge de 14 ans, sur un bateau appelé le Colonial, et a rapidement travaillé à polir des diamants dans une usine étouffante. Entre 30 et 50 usines opéraient à La Havane, transformant l’île tropicale caribéenne en un centre mondial de polissage de diamants, pour un temps.
« Certaines structures étaient de toutes petites usines au domicile des gens, d’autres étaient conséquentes », raconte Kreith.
« Quand Hitler a envahi, le 10 mai, les réfugiés belges, et certains hollandais ont pris ce qu’ils pouvaient sur eux, mais c’était grâce à leurs relations qu’ils ont pu recommencer. Ils ont utilisé leurs relations avec les syndicats des diamants à Londres et à New York pour convaincre les autorités cubaines à maintenir l’industrie à flot. »
La plupart de ces juifs pensaient que La Havane n’était qu’une escale vers Miami ou New York. Mais après Pearl Harbor, il est devenu impossible pour les réfugiés à Cuba, ou pour tous les réfugiés, d’obtenir des visas pour les États-Unis, et sont donc restés pendant des années.
En 1948, avec la fin de la guerre et la reconstruction de l’Europe, l’industrie du diamant fugace de Cuba a disparu sans laisser de trace.
« Une fois que les principaux experts ont obtenu leurs visas, ils ont quitté Cuba »
« Une fois que les principaux experts ont obtenu leurs visas, ils ont quitté Cuba », a expliqué Kreith. « Nombre d’entre eux sont allés aux États-Unis, certains sont retournés en Belgique, d’autres sont allés en Israël. Le gouvernement aurait adoré garder ce commerce en place, mais sans les relations à l’international avec des diamantaires ni l’expertise, ils n’étaient pas en mesure de garder cette industrie à La Havane. »
La mère de Kreith à émigré vers Miami, avant de s’installer à Los Angeles, où elle rencontra son mari. Le couple s’est installé à Boulder, dans le Colorado, où ils ont élevé leurs enfants.
Professeur de danse de formation, Kreith est venue à Cuba pour la première fois en 2000, et est tombée sous le charme de la danse afro-cubaine. Depuis, elle s’est rendue sur l’île au moins 25 fois, souvent à l’occasion de voyages financés par le Conseil d’État d’Alaska pour les Arts. Kreith a vécu un certain temps en Alaska, et a consacré les 7 dernières années à la recherche pour son documentaire.
« J’ai commencé par parler à ma mère et à tenter d’obtenir toutes les informations possibles. J’ai acheté tous les livres que je trouvais, notamment Tropical Diaspora, de Robert Levin », dit-elle. « J’ai commencé à écrire l’histoire et à rassembler des photos. Puis je suis revenue en 2007, et j’ai parlé à Adela Dworin [l’actuelle présidente de la communauté juive de Cuba]. J’ai réalisé que les gens ne connaissaient quasiment pas l’industrie du diamant. »
Robin Truesdale, co-réalisatrice, a interviewé la mère de Kreith en 2013, puis en a fait de même avec d’autres réfugiés, pour la plupart octogénaires et nonagénaires. Une partie du tournage a eu lieu à Cuba.
« J’ai réalisé que si nous voulions faire ce film, nous devions le faire tant que ces personnes étaient encore en vie », a expliqué Kreith, 56 ans. « Ma mère ne réalisait pas la quantité de souvenirs qu’elle avait. Et plus vous interviewez, plus les portes du passé s’ouvrent. »
« Ma mère ne réalisait pas la quantité de souvenirs qu’elle avait. Et plus vous interviewez, plus les portes du passé s’ouvrent. »
« Forgotten Jewels », a été réalisé avec un budget de 200 000 dollars.
Kreith et Truesdale ont reçu une bourse de 10 000 dollars de la part de l’American Jewish Joint Distribution Committee, et 3 500 dollars de la part de la société d’investissement AE Ventures, basée à New York. Le National Center for Jewish Film est le sponsor et le distributeur du film.
« Nous sommes tellement fiers de voir la contribution que « Forgotten Jewels » apporte à notre compréhension de l’histoire juive et de la capacité de l’humanité à surmonter d’immenses obstacles », ont déclaré Jane Swergold, membre du conseil d’administration du JDC, professeur adjoint à l’université de Fairfield et Linda Levi, directrice des archives de JDC.
En plus de la diffusion à Patronato, le film a été projeté cette année au Farthest North Jewish Film Festival à Fairbanks, en Alaska, au Jewish Film Festival de Boulder, au Colorado, et à la cinémathèque de Haïfa. Il a été globalement bien reçu.
« De nombreux diamantaires ont vu le film et ont dit que c’est une partie perdue de notre histoire », a affirmé Kreith. « Notre rêve est d’arriver jusqu’à Yad Vashem. Nous aimerions rentrer dans leurs archives, et le diffuser aussi largement que possible. »
Et cela comprend le Havana Film Festival en décembre, ainsi que les prochains festivals de Tel Aviv et Jérusalem.
« Les gens sont prêts à entendre les récits des survivants », assure Kreith. « Il y a tant de souffrance autour de la Shoah, mais je pense que maintenir ces récits en vie est une tâche essentielle. En tant qu’enfant de deux réfugiés juifs, je me sens responsable, parce que je l’ai vécu. »
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