Une mère juive allemande de NY était la grande baronne du crime en Amérique en 1859
Le nouveau livre de Margalit Fox dévoile la vie atypique et les caprices de Fredericka Mandelbaum, qui a recelé des biens volés et orchestré des vols de bijoux et autres braquages de banque

Le premier grand patron du crime organisé en Amérique était une femme juive dont presque personne ne connaît le nom aujourd’hui. Il s’agit de Fredericka Mandelbaum, qui fait l’objet d’un nouveau livre historique de Margalit Fox.
The Talented Mrs. Mandelbaum : The Rise and Fall of an American Organized-Crime Boss (« La talentueuse Mme Mandelbaum : l’ascension et la chute d’une patronne du crime organisé américain ») raconte l’histoire fascinante d’une immigrante qui a voyagé dans l’entrepont jusqu’au Lower East Side de Manhattan en 1850. Après une décennie passée à colporter de la dentelle et à lutter pour subvenir aux besoins de sa famille, elle s’est transformée en receleuse prospère, quelqu’un qui achète sciemment des biens volés et les revend avec profit.
Entre 1859 et 1884, Mme Mandelbaum a géré et développé son activité de recéleuse à partir d’une modeste vitrine. C’était l’âge d’or, une époque où les classes moyennes et professionnelles émergentes étaient prêtes à fermer les yeux sur l’origine des articles de luxe convoités.
« Ils sont rapidement devenus des consommateurs éduqués par les médias de masse de l’époque – catalogues, journaux, magazines et manuels de conseils domestiques destinés aux femmes en particulier, qui subissaient une véritable pression sociale pour avoir tout ce qu’il y avait de mieux. Elles voulaient des meubles de luxe, du chintz, de la soie, des napperons et des bibelots dans leur maison », a déclaré Fox au Times of Israel.

« Si vous appartenez à la classe moyenne plutôt qu’à Rockefeller, vous devez rechercher les bonnes affaires, et où cherchez-vous ? Vous vous adressez à votre sympathique voisin receleur de biens volés », a-t-elle ajouté.
Connue sous de nombreux surnoms, dont « Marm », Mme Mandelbaum a recruté un grand nombre d’employés et d’associés loyaux et est passée du recel de marchandises saisies par des voleurs à la sauvette et des voleurs à l’étalage à l’orchestration et au soutien de vols de bijoux et de banques à New York et au-delà.
Mme Mandelbaum était prudente, mais elle ne restait pas dans l’ombre. Plus elle devenait célèbre, plus elle était mentionnée ou citée dans les journaux. Il était difficile de la manquer, car elle affichait ostensiblement sa richesse.
La très corpulente Mme Mandelbaum, qui mesurait un mètre quatre-vingt-dix, portait des bijoux d’une valeur de 40 000 dollars à la fois et s’habillait de soie, de plumes d’autruche et de peaux de phoque.

Elle a finalement été inculpée en 1884 pour plusieurs chefs d’accusation de vol qualifié. Elle n’a jamais été jugée et s’est réfugiée au Canada pour échapper à la justice. Pour elle, l’exil de son New York bien-aimé jusqu’à sa mort en 1894 semblait être une punition suffisante.
Le Times of Israel a demandé à Fox quelles étaient ses impressions sur Mme Mandelbaum, ce qu’il en était de reconstituer sa vie alors qu’elle n’avait laissé aucun document personnel, et en quoi la première grande baronne du crime américain différait de ceux des années 1920 et 1930.
Times of Israel : Comment avez-vous appris l’existence de Fredericka Mandelbaum ?
Margalit Fox : D’une certaine manière, elle a toujours été présente. Mais comme beaucoup d’histoires de femmes, elle brillait juste assez, jetant de petites étincelles ici et là. De nombreux livres sur l’histoire de la ville de New York, et en particulier les livres sur la criminalité new-yorkaise ou sur le New York du XIXe siècle, la mentionnent brièvement. Elle fait quelques apparitions, par exemple, dans The Gangs of New York, de Herbert Asbury, qui a servi de source au film de Martin Scorsese (2002).

Je connaissais donc le nom de « Marm Mandelbaum », mais pas beaucoup plus, parce qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre. Je me suis demandée comment cela était possible. Nous pensons tous savoir à quoi ressemble un chef de la mafia. C’est Tony Soprano, ou pour ceux d’entre nous qui ont un certain âge, c’est un type avec des guêtres et un pistolet Tommy dans « Les Incorruptibles ». Il s’agit d’un homme grand et costaud – l’accent est mis sur le mot « homme » – qui vivait probablement durant la Prohibition.
Pourtant, 60 à 70 ans plus tôt, il y a cette grande, zaftig, gentille mère juive de quatre enfants qui est devenue la patronne du réseau du crime le plus célèbre d’Amérique.
Comment avez-vous procédé pour faire des recherches sur sa vie ?
Marm n’a pas laissé de documents personnels, car elle n’était pas dupe. Elle savait que dans son métier, c’eut été du suicide. Bien sûr, c’était un vrai handicap pour quelqu’un comme moi qui voulait raconter son histoire.

Je savais qu’elle existait, mais personne n’était là pour me dire comment elle en était arrivée là. J’ai donc entamé un processus qui a duré plusieurs années, un peu comme un prospecteur qui cherche de l’or : j’ai passé au crible des centaines et des centaines d’articles de journaux du XIXe siècle, à la recherche de son nom. Son nom et son prénom étant épelés, ré-épelés et mal orthographiés de toutes sortes de façons, j’ai eu du pain sur la planche en m’assurant de trouver toutes les références à son nom. Finalement, j’ai estimé que j’avais suffisamment de ces indices pour les assembler comme une mosaïque et créer la femme et son histoire.
J’ai passé au crible les archives judiciaires du XIXe siècle et j’ai trouvé son acte d’accusation pour vol qualifié datant de 1884. J’ai également trouvé une thèse de doctorat de l’Université de Columbia extrêmement utile, rédigée par un historien il y a une quinzaine d’années et que je cite souvent dans mon livre.
Vous écrivez dans votre livre que Mme Mandelbaum était la femme qu’il fallait, au bon endroit et au bon moment, pour réussir en tant que chef du crime organisé. Cela s’explique en partie par le fait que la police new-yorkaise en était à ses prémices et qu’elle était en plein désarroi. Quels sont les autres facteurs qui ont contribué à son succès ?
Nous savons avec certitude qu’elle était très intelligente, et que même dans la Vieille Europe, à Kassel, en Allemagne, les jeunes filles juives étaient éduquées soit à la maison, soit à l’école juive.

Tout comme aujourd’hui, il y avait très peu de possibilités d’emplois sûrs, gratifiants et utiles pour les nouveaux immigrants, et donc aucune possibilité de promotion économique et sociale. Les hommes pouvaient au moins gravir ce que l’on a appelé « l’échelle de l’escroquerie » en faisant carrière dans la pègre, en organisant des opérations de racket, en travaillant comme gros bras ou en s’associant à toute la corruption de Tammany Hall.
Cependant, les femmes avaient aussi peu d’opportunités de gravir les échelons malhonnêtes que de progresser dans le monde de l’entreprise légitime. Si vous étiez une immigrante pauvre au milieu du XIXe siècle et que vous décidiez de vous lancer dans le commerce illégal, vous n’aviez que deux choix : le vol à l’étalage ou la prostitution. Le vol à l’étalage n’était pas très lucratif par définition. Et nous pouvons affirmer sans risque qu’en tant que femme mariée et mère de famille, il était hors de question pour Mme Mandelbaum de se prostituer.
Mme Mandelbaum était déterminée à ne pas rester dans la pauvreté et devait prendre une décision. Elle avait l’intelligence, le cran et la détermination nécessaires pour y parvenir. Elle était entreprenante et motivée.
Mme Mandelbaum était un génie du crime, mais elle était une mère aimante et dévouée, une fidèle de la synagogue, une dirigeante de la communauté, une hôte et une philanthrope. A-t-elle éprouvé une dissonance cognitive ou des scrupules moraux ?

Je suppose que pour elle, tout allait de pair. C’était un tout. Vous faites tout ce qui est nécessaire pour subvenir à vos besoins et à ceux de votre famille. C’était une criminelle et je ne lui trouve pas d’excuses. Je n’approuve pas ce qu’elle a fait. Mais compte tenu des conditions sociales de l’Amérique et de la vie des immigrés à New York à cette époque, je pense que ces choses étaient tout à fait cohérentes, car tout, depuis les dons à la synagogue jusqu’à la gestion d’un empire du crime, en passant par l’éducation de ses enfants, avait pour but d’améliorer la vie des gens.
Elle savait exactement ce qu’elle faisait et se faisant, que vous pensiez que ce que vous faites est moralement mauvais ou non, vous savez intellectuellement que c’est contraire à la loi. Elle a pris de nombreuses mesures de protection. Elle était très avisée et déterminée, et ces mesures de protection n’auraient pas existé si elle ne les avait pas mises en place dans son propre intérêt. Qu’elle ait estimé que la loi avait raison de la considérer comme une criminelle [ou non], elle savait qu’elle devait s’y soustraire.
Mme Mandelbaum a été la première grande patronne du crime organisé en Amérique. Pourtant, un demi-siècle plus tard, tous les grands patrons ont été des hommes, et bien plus violents.
Sa forme de criminalité était quasiment toujours non violente. Elle ne s’intéressait qu’aux délits contre les biens. Elle ne demandait pas à ses gars de tirer sur des gens ou de prendre une batte de base-ball pour briser les rotules des gens.

Ce n’est pas qu’il n’y avait pas de crimes violents à cette époque […] Mais je pense qu’elle a tout de suite compris qu’il s’agissait simplement d’affaires – les affaires de ce que l’on peut appeler par euphémisme la « redistribution de la propriété ». Il s’agit d’une histoire d’affaires sur l’ascension d’une entrepreneuse, « une magnat du capitalisme illégitime », comme l’a qualifiée un historien que je cite dans le livre.
Elle ne frappait pas ou ne faisait pas frapper les gens parce que ce n’était pas nécessaire. Son seul besoin était que ses hommes de main volent des choses – de plus en plus souvent de très, très bonnes choses – qu’elle camouflait pour les revendre ensuite. Elle agissait comme une sorte d’intermédiaire commercial, ce qui est exactement ce que font les receleurs.
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