Usage d’un logiciel-espion par la police : Tensions entre Levin et Baharav-Miara
Selon la procureure-générale, le panel chargé d'enquêter sur l'utilisation du spyware par les policiers ne devra pas toucher le procès de Netanyahu ; le ministre de la Justice s'insurge
La procureure-générale Gali Baharav-Miara a averti mardi le ministre de la Justice, Yariv Levin, que la commission d’enquête que ce dernier prévoit de mettre en place – elle se pencherait sur la question de l’usage illégal présumé d’un logiciel-espion, par la police, pour surveiller les citoyens – ne devait pas examiner les affaires en cours ou en suspens devant la justice, les procédures judiciaires pouvant être affectées d’une telle intervention.
Elle a précisé en particulier que le panel ne devait pas examiner les dossiers pour corruption impliquant le Premier ministre Benjamin Netanyahu dans la mesure où des problèmes de conflit d’intérêts pouvaient se poser.
Levin a rétorqué qu’il était « impensable » et « scandaleux » que Baharav-Miara s’implique dans cette affaire, le bureau de la Procureure-générale devant, lui aussi, faire l’objet d’une enquête de la commission.
Au mois de juillet, Levin avait annoncé la création d’une commission d’enquête sur l’utilisation illicite d’outils de cyber-surveillance et de logiciels espions par les forces de l’ordre, suite à des plaintes dénonçant des abus. L’enquête portera entre autres sur le déploiement par la police du logiciel israélien Pegasus, qui permet notamment d’écouter les téléphones portables.
Dans un courrier adressé au ministre, Baharav-Miara a écrit que le panel devait s’abstenir de travailler sur des dossiers en cours ou en suspens afin de sauvegarder au mieux l’indépendance du système de la justice.
« Accorder l’autorité à ce panel de pouvoir procéder à l’examen de ce type de procédure saperait les principes fondamentaux de l’indépendance du système d’application de la loi », a-t-elle expliqué.
Concernant le procès pour corruption en cours de Netanyahu, la procureure-générale s’est inquiétée « de la possible influence du travail de la commission sur son dossier pénal ».
Baharav-Miara a demandé à changer le champ d’application du panel de façon à ce qu’il n’examine pas les dossiers en cours ou en attente, que ce soit au stade de l’enquête ou au stade judiciaire. Concernant de tels affaires, a-t-il écrit, il faudra que la commission coordonne son travail avec la procureure-générale.
Levin, pour sa part, a répondu dans un courrier que Baharav-Miara elle-même était en situation de conflit d’intérêts en raison de la nature du champ d’investigation du panel. Il a ajouté qu’il avait bien l’intention de mettre en place cette commission dans les meilleurs délais.
« Je ne peux pas m’empêcher de ressentir de la surprise face à votre intervention dans cette affaire, la commission d’enquête tirant ses autorisations conformément aux termes de la lettre de nomination qui a été proposée – et pour inspecter, entre autres choses, les modalités de supervision et la part prise par le bureau du procureur-général dans la dite Affaire Pegasus ».
« La tentative de la part de ce bureau et de la femme qui le dirige de dicter la portée des investigations dans une affaire qui les implique directement – avec un bureau dont la conduite sera examinée dans ce contexte – est quelque chose d’impensable », a poursuivi Levin.
Levin a ajouté que « j’ai l’intention de réclamer sans tarder l’approbation immédiate de l’établissement de cette commission, et ce de façon à garantir sa capacité à travailler et à découvrir la vérité. »
La Douzième chaîne a annoncé que Levin avait l’intention de présenter à l’approbation son panel lors de la prochaine réunion du cabinet, dimanche. Il pourrait être formé d’ici un mois.
Netanyahu, qui est actuellement traduit devant les juges dans trois affaires de corruption, n’a cessé de clamer son innocence, accusant la police, le parquet et les médias d’avoir lancé une chasse aux sorcières à son encontre.
Annonçant son intention d’établir la commission au mois de juillet, Levin avait indiqué qu’il « demandera l’autorisation du gouvernement » de doter la commission des capacités d’enquête nécessaires à « l’examen des agissements de la police, des services du Procureur de l’État et de leurs systèmes de supervision, pour tout ce qui touche à la surveillance et à la collecte d’informations sur des citoyens et des fonctionnaires grâce à des outils technologiques ».
Le panel diligenté par Levin présenterait ses conclusions dans les six mois suivant sa première convocation, avait ajouté le cabinet du ministre.
La commission serait dirigée par le juge à la retraite Moshe Drori, ex-vice-président du tribunal de Jérusalem et critique virulent des services du Procureur de l’État.
Drori est un ardent soutien du projet de réforme du système judiciaire et il a critiqué avec âpreté et de manière répétée l’ex-procureur général Avichai Mandelblit, qui avait supervisé l’enquête ouverte contre Netanyahu.
Des rumeurs persistantes ont laissé entendre que la police aurait accès à une version édulcorée du logiciel espion Pegasus, de NSO Group, connu sous le nom de Saifan – ce qui leur permettrait d’écouter les discussions téléphoniques des Israéliens.
Début 2022, le journal Calcalist avait avancé, sans preuves ni sources à l’appui, que des dizaines de personnalités israéliennes de tout premier plan – anciens directeurs d’administrations, personnalités du monde des affaires, membres de la famille et de l’entourage professionnel du Premier ministre Benjamin Netanyahu – avaient été espionnées par la police grâce au logiciel espion Pegasus, et ce, en dehors de tout contrôle judiciaire.
Les enquêtes de la police et le rapport du procureur général adjoint Amit Marari ont finalement conclu que les informations données par Calcalist étaient pour l’essentiel erronées et qu’aucune des 26 personnes prétendument écoutées n’avaient été espionnées par la police.
La société NSO Group, qui fabrique des logiciels-espions à Herzliya, figure sur la liste noire du gouvernement américain depuis 2022.
Son logiciel-espion le plus connu, Pegasus, est considéré comme l’un des outils de cyber-surveillance les plus puissants du marché, qui permet de prendre le contrôle total du téléphone d’une cible, de télécharger toutes les données de l’appareil ou d’activer le caméra ou le micro à l’insu de son utilisateur.
Critiquée avec force pour l’utilisation de ses logiciels-espions par des régimes autoritaires, pour enfreindre les droits de l’homme, la société assure que ses produits sont destinés à aider les pays à lutter contre la criminalité et le terrorisme.
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