Vingt ans plus tard, une requête inachevée pour la paix
Les participants au rassemblement en mémoire d’Yitzhak Rabin estiment que, depuis l'assassinat, la société israélienne est devenue plus divisée et plus extrémiste
TEL AVIV – Vingt ans après avoir prononcé les mots « Shalom, Haver » aux funérailles d’Yitzhak Rabin, l’ancien président Bill Clinton se tenait devant la mairie de Tel Aviv et les lumières diffusaient ce même message.
Le rassemblement pour la paix où Rabin a été assassiné et l’événement en sa mémoire commémorant le vingtième anniversaire de son assassinat de samedi soir avaient beaucoup en commun : près de 100 000 personnes se dirigeant vers la même place avec en arrière-plan une même vague de terreur et d’animosité qui déferle sur le pays, une violence sanguinaire qui émerge de la société israélienne, des photos truquées de politiciens en uniformes de SS et un pays profondément divisé qui continue de se disloquer un peu plus chaque jour.
« La réalité est différente [de celle d’il y a vingt ans] car les gens deviennent de plus en plus extrémistes », a expliqué David Agami, un habitant de Bat Yam âgé de 82 ans qui était présent au rassemblement de 1995 à l’issue duquel Rabin a été assassiné. « Nous nous trouvons dans un environnement difficile où la tolérance n’a pas sa place et où l’agression règne ».
« C’est difficile mais nous devons continuer », a-t-il ajouté. « Les jeunes doivent se battre pour la tolérance, pour la paix et la justice sociale ».
De nombreux intervenants qui participaient au rassemblement ont exprimé la même idée, demandant aux mouvements de jeunesse qui avaient organisé cet événement étonnamment très fédérateur de hisser le drapeau de la paix et de la tolérance. Des dizaines de milliers de jeunes gens arborant les uniformes de plusieurs mouvements s’étaient rassemblés sur la place Rabin pour écouter les discours de Bill Clinton, du président Reuven Rivlin ainsi que des membres de la famille de Rabin, Dalia Rabin et Yonatan Ben-Artzi.
La foule était en grande majorité – mais pas complètement – jeune, laïque et de gauche. « C’était un meurtre politique, alors évidemment c’est toujours politique », a affirmé Anat Mendelson Machnes, de Tel Aviv. En 1995, elle venait de mettre au monde une petite fille et avait donc suivi le rassemblement pour la paix à la télévision. Maintenant que sa fille a 20 ans, elle affirme ne pas avoir perdu l’espoir de voir un jour une solution diplomatique à deux états pour deux peuples. « Aujourd’hui la violence et le racisme ont empiré. Alors oui, c’est très déprimant de se trouver ici 20 ans plus tard », a-t-elle déploré. « Mais j’ai de l’espoir, je veux que quelque chose se produise ».
Machnes est psychothérapeute qui soigne des victimes d’attaques terroristes et de guerres. « Je vois toutes ces blessures encore et encore et c’est une preuve évidente que nous devons faire changer les choses. Nous ne pouvons pas continuer dans cette voie », a-t-elle déclaré.
Alabid Amir est venu avec un groupe de 47 jeunes Bédouins de la région de Beer Sheva appartenant à Noar HaLomed VeHaOved (Mouvement de la jeunesse étudiante et ouvrière). « Nous sommes venus ici pour dire que nous devons soutenir la paix », a expliqué Amir. Il a affirmé que les membres du groupe bédouin avaient de nombreuses activités en commun avec leurs homologues juifs et qu’il était tout naturel qu’ils viennent rejoindre au rassemblement les milliers de participants issus d’autres mouvements de jeunesse. « Les gens doivent penser aux Arabes qui vivent ici, ils doivent soutenir la co-existence car c’est le seul chemin qui mène à la paix ».
Hadas Amir, 15 ans, du kibboutz religieux de Beerot Yitzhak, était l’un des rares participants à porter une kippa. Il a beau être contre un Etat palestinien, il est pour la paix.
« Je suis venu car, même si je suis de droite, nous voulons montrer que cela ne justifie pas un meurtre, surtout en ce moment avec les attaques terroristes », a déclaré Amir. « Nous devrions etre plus unis, qu’il y ait davantage de religieux ici afin que nous soyons capables de nous accepter les uns les autres ».
Contrairement aux participants plus âgés et plus pessimistes qui se souviennent de la situation à l’époque de l’assassinat de Rabin, Amir était plein d’espoir. « Il y a 100 000 personnes qui se sont senties assez concernées pour venir ici », a-t-il dit.
La place Rabin était pleine de manifestants brandissant des affiches, pour la plupart des banderoles imprimées par certaines organisations de gauche comme La Paix maintenant, l’Initiative de Genève et Breaking the Silence. Le symbole qui donnait le plus à réfléchir était la silhouette découpée dans du papier d’un homme étendu au sol sous une chaise, en souvenir d’Haftom Zahtom, le demandeur d’asile érythréen qui, après avoir été pris par erreur pour un terroriste dans l’attaque de la gare routière de Beer Sheva il y a deux semaines, avait été lynché par la foule.
Le moment sans doute le plus poignant et probablement le plus décourageant a été le début de la soirée quand la chanteuse pop Ninet Tayeb a chanté Shir La’Shalom, « Chanson pour la paix », la chanson que Rabin avait chantée au rassemblement pour la paix il y a 20 ans au même endroit. Rabin avait gardé la feuille avec les paroles dans sa poche de poitrine et l’une des balles avait troué la feuille quand il avait été abattu.
« Ne dites pas que ce jour viendra, faites-le venir / car ce n’est pas un rêve », a chanté Tayeb. « Et sur les places de la ville, n’acclamez que la paix ! ».
Vingt ans se sont écoulés et des milliers de gens étaient toujours réunis sur la même place de la ville, avec la même requête.