20 ans après l’assassinat de Rabin, sa fille imagine ce qui aurait pu arriver si…
Israël aurait été un pays meilleur à bien des égards si son père avait vécu, assure la fille d'Yitzhak Rabin. Mais elle ne se dit pas certaine que la paix existerait avec les Palestiniens
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Israël a entamé dimanche soir une série de cérémonies officielles marquant le 20e anniversaire, selob le calendrier hébraïque, de la journée qui a vu l’un de ses citoyens juifs assassiner son Premier ministre. (La date anniversaire non-hébraïque est le 4 novembre).
Yitzhak Rabin a été une figure centrale dans le développement de l’Etat moderne depuis ses prémices: adolescent, il a été une recrue des rangs de la force de combat pré-étatique Palmach ; puis il a été un soldat de carrière et chef d’état-major de Tsahal au moment de la victoire étourdissante lors de la Guerre des Six Jours en Israël. Il a ensuite été l’ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis, avant de se construire une deuxième carrière en politique en devenant Premier ministre, ministre de la Défense, puis Premier ministre à nouveau. Au moment de son assassinat, il tentait de forger une paix durable avec un Yasser Arafat tenant un double discours et était occupé à réchauffer les relations d’Israël avec la Russie, la Chine et des parties jusque-là impensables du monde arabe.
Puis arrivèrent les deux balles dans le dos, à la fin d’un rassemblement pour la paix dans le centre de Tel Aviv, qui ont mis un terme à cette vie placée au centre de la vie politique israélienne.
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Vingt ans plus tard, personne ne peut savoir ce que l’Histoire d’Israël nous aurait réservé si Yitzhak Rabin avait vécu. Le processus d’Oslo, qui perd son soutien de façon hémorragique à chaque nouvel acte de terrorisme palestinien, aurait-il été épargné ? Israël aurait-il pu surmonter les sournoises divisions internes qui avaient fait naître l’assassin ? Des priorités nationales réorganisées par Rabin auraient-elles produit une économie plus dynamique et de meilleures relations judéo-arabes internes ? Aurait-il même pu garder le pouvoir un peu plus longtemps alors qu’une bataille électorale imminente se profilait contre Benjamin Netanyahu ?
Personne ne peut savoir, mais on pourrait s’attendre à ce que sa fille Dalia, elle-même une ancienne membre de la Knesset et ministre-adjoint de la Défense, affirme avec vigueur que beaucoup de choses auraient été différentes, et meilleures, si les plans d’Yigal Amir avaient été déjoués. Si seulement un climat différent avait prévalu à l’époque. Si seulement…
Et si Dalia Rabin croit en effet qu’Israël connaitrait aujourd’hui un sort meilleur si son père avait pu continuer à diriger l’Etat, son récit post-Yitzhak Rabin n’est pas exactement ce à quoi vous pourriez vous attendre. Le respect et l’admiration qu’elle éprouve pour son père sont absolus. Tout comme sa conviction que cet homme « approfondi et méthodique » était en train de refaire les priorités nationales d’Israël. Et son sentiment de perte – personnelle et nationale – est écrasant.
Mais il y a moins de certitudes quand on demande à Dalia Rabin de réfléchir à ce qui aurait pu arriver. Cliniquement dédaigneuse de Yasser Arafat, elle est tout sauf catégorique quant à la question de savoir si le processus d’Oslo aurait fonctionné si seulement son père avait vécu. Elle est aussi effarée que la plupart d’entre nous par l’imprévisibilité horrible du Moyen-Orient au sens large. Et elle est nuancée, réfléchie et tendue à l’évocation de Netanyahu.
Il est important de noter, cependant, que Dalia Rabin n’habite pas dans le monde des « et si ». A l’occasion d’une interview (en hébreu) dans son bureau au Centre Yitzhak Rabin à Tel Aviv, qu’elle a créé et dirige en sa mémoire, c’est bien l’intervieweur qui l’a ramenée 20 ans en arrière, et absolument pas l’inverse. Son bureau déborde de livres, peintures, photographies et autres souvenirs de son père assassiné, mais sa zone de travail immédiate est fonctionnelle ; ce sont des ordinateurs et des téléphones, pas des livres d’Histoire, que l’on trouve au bout de ses doigts. Dalia Rabin ne regarde pas tristement en arrière, mais avance, résolument et en utilisant le centre comme un point focal pour le dialogue à travers un spectre politique israélien fiévreux, l’organisation des programmes et des rassemblements visant à produire une société israélienne plus tolérante pour réduire les maux qui ont mené à ce meurtre et qui défigurent et continuent à menacer Israël.
Le Times of Israel : Je voudrais vous demander, 20 ans plus tard, comment les choses auraient pu se dérouler avec les Palestiniens, si votre père avait vécu. Les choses auraient-elles évolué différemment ?
Dalia Rabin: A propos des Palestiniens, c’est très difficile de donner une estimation précise. Parce que depuis le début, ils n’ont pas été des partenaires faciles. Ils ne sont jamais catégoriques.
Il existait un sentiment qu’une espèce de relation de confiance s’était construite entre Arafat et Yitzhak Rabin. Mais qui était dans l’ensemble quelque chose de très fragile. Parce que si vous prenez un peu de recul, Arafat en 1995 était considéré comme quelqu’un qui « avait tout dans les mains » s’il le voulait, et qui aurait pu arrêter le Hamas, mais il ne l’a pas fait ! Nous avons eu la politique de la porte tournante (avec la libération de prisonniers terroristes par Arafat). Et les vagues de terrorisme ont atteint le processus de paix, sans aucun doute. Et ont renforcé l’opposition interne chez nous, et l’idée que ce processus nous coûtait des vies.
Cela n’a pas freiné Yitzhak Rabin, mais j’ai le sentiment qu’il n’aurait pas laissé cette vague continuer. Il y aurait eu un moment où il aurait décidé : nous sommes dans un processus progressif. Évaluons ce que nous avons réalisé et le prix que nous avons payé. Il n’aurait pas interrompu Oslo, mais il aurait fait ce qu’Oslo lui aurait permis de faire : penser Oslo comme un processus et évaluer si cela fonctionnait.
Il est donc difficile de prévoir ce qui se serait passé avec les Palestiniens. Cette connexion personnelle Rabin-Arafat aurait-elle pu permettre à Arafat de se décider à en faire davantage, pour arrêter la terreur ? Et cela aurait-il aidé à renforcer le sentiment que ce processus avait une chance ?
Au même moment, il y a eu une sorte d’euphorie générale. Nous pensions (en Israël) être sur la voie du changement, en raison de l’ensemble du processus interne ; en raison de la révolution sociale qui faisait son chemin. Après tout, Yitzhak Rabin n’a pas seulement œuvré à faire la paix avec les Palestiniens. Ce chemin a ouvert beaucoup d’horizons qui étaient auparavant bouchés. Et il y avait un sentiment que nous allions vers quelque chose de nouveau…
Vous parlez du réchauffement des relations avec d’autres pays ?
Il y avait un réaménagement des priorités. Tout d’abord, (le gouvernement) a cessé d’investir dans les (implantations) dans les Territoires. Et les fonds qui avaient été auparavant dédiés aux Territoires ont été transférés à l’éducation. Le budget de l’éducation a plus que doublé. Il y a eu un investissement sans précédent dans les infrastructures, dans l’industrie et dans la recherche. Il croyait à l’idée de « ressource humaine » et croyait en la création d’une bonne vie ici. Une vie de qualité. Et que cela devrait être un pays où il fait bon vivre, pas un endroit pour lequel on meure. Il pensait que cela n’était pas sain de « mourir pour notre pays », mais qu’il fallait plutôt vivre pour lui.
Il avait perçu les changements dans la jeunesse israélienne, qui ne veut vraiment pas combattre toute sa vie. Il a vu mes propres enfants. Il a vu dans une certaine mesure les fissures dans la société israélienne, et cette volonté décroissante de continuer à être des martyrs. Ils veulent vivre. Les enfants sont reliés à la culture occidentale. Le monde est devenu un village planétaire, et nous voulons en faire partie.
Sans aucun doute, aussi, le monde s’était ouvert à nous (à cette époque). La Hatikva était jouée au Kremlin. (Les liens se sont réchauffés avec) la Chine. Ce que nous recevions de l’Europe et des Etats-Unis. C’était sans précédent.
Il existait un sentiment que nous investissions dans les bonnes choses. Des routes étaient planifiées. Des écoles étaient planifiées, un investissement à long terme dans l’éducation. Il ne s’agissait pas seulement d’annonces populistes, c’était plus que des paroles.
Nous avons investi dans le secteur israélo-arabe. Au début, il y avait beaucoup de résistances (de la communauté), en raison de l’Intifada. Mais les Arabes israéliens ont vu que Rabin était le seul qui les ait aidés à améliorer leurs infrastructures et leur éducation. Il avait promis des financements et il a tenu ses promesses.
Je ne doute pas que le visage d’Israël aurait été différent, malgré le problème démographique (d’un changement intérieur à droite). Si l’on regarde les élections de 1992 (qui ont porté Rabin au pouvoir, mettant en échec le Likud d’Yitzhak Shamir), le parti travailliste en effet remporté 44 sièges, mais la victoire a été très, très étroite. Construite sur des fractions de pourcentages et des accords de votes excédentaires. La coalition n’était pas large.
Quant au processus de paix, regardez ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient. Regardez les nombreux changements en cours. En Syrie, en Egypte. Ce n’est plus le même monde. Et l’Etat islamique. Ce ne sont pas des processus que nous contrôlons.
Il a toujours dit : « Nous avons une fenêtre d’opportunité. » Et il voyait cette fenêtre d’opportunité depuis une analyse régionale, mondiale et interne. Il a vu le changement de la démographie israélienne. Il a vu une sorte de possibilité dans le Moyen-Orient. Il a vu que l’Union soviétique était tombée en lambeaux et ne pouvait plus être un ennemi puissant. Et il a toujours dit : « Nous avons besoin de faire la paix avec nos voisins avant que l’Iran n’ait le nucléaire ». Il le disait dès les années 1990. Je me souviens de lui pendant qu’il en parlait.
Êtes-vous en colère contre Arafat ? Avez-vous parlé avec lui ?
Non, je n’ai pas parlé avec Arafat. Je peux seulement dire que, la semaine où ma mère est décédée (en novembre 2000), c’était le cinquième anniversaire de la mort de mon père. Selon le calendrier hébraïque, elle est décédée deux jours après la date de sa mort. Nous avons pris contact avec Arafat à travers certains canaux sécurisés, et nous lui avons demandé d’arrêter la terreur (de la deuxième Intifada) pendant une semaine, en tant qu’apaisement pour ma mère. Il n’a pas répondu.
Je ne suis pas en colère contre lui. Il ne me doit rien. Je ne le vois certainement pas comme une personne avec laquelle j’entretiens une relation d’amour-haine-colère. Il n’a pas « fourni la marchandise » à l’époque. Je le vois comme l’un des facteurs qui ont renforcé l’opposition très, très violente au processus, et qui ont finalement mené à l’assassinat.
Et son successeur? Avez-vous eu des contacts avec Abbas?
Non. Je l’ai rencontré à quelques reprises. Au centre, nous avons un projet que nous menons depuis sept ans, où nous faisons venir des professeurs dans les domaines de la science politique, des études du Moyen-Orient, et l’administration publique des États-Unis d’abord, et nous avons ensuite élargi aux professeurs chinois et européens. Chaque année, nous amenons des délégations de professeurs afin de traiter le « problème du campus », l’atmosphère anti-Israël sur les campus internationaux.
Dans le cadre de la semaine que nous mettons en place pour ces professeurs durant leur séjour, nous les exposons à l’ensemble du spectre, et entre autres choses ils se rendent une journée à Ramallah. Et jusqu’à il y a un an, ils rencontraient les leaders de l’Autorité palestinienne, y compris parfois Abbas. Pas toujours. Quand je les ai rejoints, il m’a toujours invité à la Muqata pour le rencontrer.
Il y avaiit un ambassadeur qui est décédé récemment, Yehuda Avner, qui a travaillé avec votre père et …
Davantage avec Menahem Begin.
Et il a écrit un livre. (Les Premiers ministres)
Oui, j’ai vu le livre.
Il y a une note intéressante en bas de page : Avner dit que Rabin a affirmé qu’il n’était pas du tout sûr que ça fonctionnerait avec Arafat, mais il était très inquiet de la montée de l’islam radical. Il pensait qu’il fallait essayer de faire quelque chose avec la direction laïque, sinon la lutte serait plus âpre. Y avait-il quelque chose de cet ordre-là ?
Oui. Cela faisait partie des raisons pour lesquelles il évoquait cette « fenêtre d’opportunité ». L’ [establishment sécuritaire israélien] a vu la montée de l’islam radical derrière le mode opératoire des attentats-suicides. Les analystes ont effectué une analyse en profondeur de la situation dans son ensemble, en essayant de voir comment faire face à la volonté des fanatiques de se faire sauter. Ils ne sont pas arrivés, à l’époque, à une solution globale pour désamorcer cette tendance. Il était clair que cela faisait partie de la montée de l’islam radical, d’une partie de leurs traditions.
Beaucoup a été dit à ce sujet. Et sur la « fenêtre d’opportunité » pour conclure l’accord, et utiliser au maximum la possibilité (d’un accord), pendant qu’il y avait quelqu’un à qui parler, une direction laïque, et non pas une direction contrôlée par le Hamas.
Quand vous regardez en arrière, à quel moment Netanyahu est apparu ? Vous avez parlé du terrorisme palestinien comme un facteur qui a changé notre société, et renforcé l’opposition, et finalement causé ce qu’il a causé. Cela a donné aux radicaux de notre camp un environnement confortable…
Oui.
Alors, où est Netanyahu dans cette image?
Alors, où est Netanyahu ? Netanyahu a surfé sur cette vague d’opposition avec le sionisme religieux nationaliste, et l’a pris sous son aile. Ils obéissent à ce commandement divin de ne pas abandonner un pouce de la Terre sainte, qu’ils considèrent comme sacrée, et mettent la valeur d’un pouce de terrain à un niveau plus élevé que celui de la vie humaine. Il a pris cette tendance sous son aile et en a fait un usage politique cynique. Et c’était pénible de voir les manifestations contre Yitzhak Rabin, nuit après nuit.
Je me souviens qu’il y avait une grosse polémique quant à savoir s’il était nécessaire de mettre en évidence (les féroces manifestations anti-Rabin), afin de sensibiliser la population, afin de soulever l’opposition contre elles. (Rabin) était presque seul contre ces attaques insensées. Si vous regardez la place de Sion à Jérusalem, les enfants qui étaient là en scandant « Par le sang et par le feu, nous chasserons Rabin », il était évident qu’ils ne savaient pas vraiment ce qu’ils disaient. Mais leurs yeux irradiaient la haine. C’était une foule endoctrinée. Et cela a été utilisé politiquement. C’était très grave.
Netanyahu est venu ici au centre recemment, pour la première fois (Il a visité l’exposition du Centre Rabin sur le sauvetage d’Entebbe). Étiez-vous là ce jour-là?
Bien sûr.
Comment est-ce, 20 ans plus tard …?
Ecoutez, le fait qu’il soit venu ici est quelque chose de nouveau. Mais il a été Premier ministre pendant, quoi, dix ans ? (Six ans consécutifs cette fois-ci ; et trois dans les années 1990 – DH). Et, chaque année, à l’anniversaire (de l’assassinat), il y a une sorte de tradition, qui consiste à organiser une cérémonie au bureau du Premier ministre. Et avant la cérémonie, la famille est reçue au bureau du Premier ministre et est censée avoir une sorte de conversation avec lui.
Ce ne sont pas des moments faciles. Je veux dire, vous devez vous élever au-dessus de certains faits parce qu’il est le Premier ministre, et il s’apprête à parler devant sa tombe, puis il va prendre la parole à la Knesset. On m’a appris à respecter les fonctions officielles, sans regarder qui les occupe… C’est ainsi que mon père se comportait envers (Ezer) Weizman (qui était président dans les années 1990). Nous nous comportons très poliment et bien habillés. Et nous ne montrons pas d’émotion. Et ce n’est pas facile pour nous. Mais nous avons été éduqués à respecter les drapeaux et les symboles de l’Etat d’Israël.
J’ai décidé que le Centre Rabin devait être une entité nationale et non une entité privée. Avec un Premier ministre et ministre de la Défense qui a été assassiné alors qu’il était un leader démocratiquement élu, l’Etat d’Israël doit jouer un rôle dans sa commémoration. Ainsi, le bâtiment a été financé par des dons, tandis que tout l’entretien, les salaires et les projets sont financés par l’État. Nous avons eu des hauts et des bas sur cette question. Mais dans l’ensemble, l’État a agi de façon responsable, dans une large mesure avec le soutien de Bibi au cours des quelques dernières années.
Je veux que ce centre fonctionne. J’ai investi de nombreuses années de ma vie dans ce projet, en collaboration avec mon équipe exceptionnelle. Vraiment, je suis bénie de travailler avec des gens qui ont un niveau unique d’engagement. Nous avons construit quelque chose d’exemplaire ici, et nous faisons ce que nous croyons être le bon travail qui honore Yitzhak Rabin et sa mémoire.
On le décrit comme un faucon qui est devenu une colombe. Il n’était pas un faucon et il n’était pas une colombe. Il était pragmatique
Donc, pour revenir à votre question, nous devons respecter les institutions, et l’institution du Premier ministre parmi elles. Il était important pour moi que (Netanyahu) vienne et observe ce que nous faisons ici. Je lui avais rappelé à plusieurs reprises (qu’il n’était jamais venu). Maintenant, lors de la commémoration et de l’exposition d’Entebbe, et son frère Yoni y étant mentionné, il n’a pas eu le choix (rires), et il est venu. Et il est également venu pour voir le musée. Je pense qu’il a grandement apprécié ce que nous avons fait ici.
C’est une expérience partagée par quiconque rentre dans le musée : les gens nous considèrent (à tort) comme le « Centre pour la Paix » et le « Centre pour Oslo » et ne comprennent pas vraiment ce que nous faisons ici. Mais quand vousvisitez le musée, vous comprenez tout à coup la portée et l’intensité de ce que nous essayons de faire.
Il y a cette image de Rabin comme étant l’homme qui a obtenu le prix Nobel de la paix, avec Arafat, la gauche. Mais cela est inexact ?
Ce n’était pas le cas. On le décrit comme un faucon qui est devenu une colombe. Il n’était pas un faucon et il n’était pas une colombe.
En 1967, quand il pensait que nous devions aller à la guerre, parce que si nous ne menions pas une frappe préventive, ils nous détruiraient, il l’a fait. Avec beaucoup de courage. Prenant sur lui une responsabilité inimaginable. Entebbe est un événement mineur comparé à 67, à mon avis. Malgré les critiques de (David) Ben Gourion, (Moshe) Tzadok, Moshe Nissim, il a pris la responsabilité et a recommandé au gouvernement d’entrer en guerre.
C’est vrai qu’il a reçu un soutien quand ils ont appelé Dayan (comme ministre de la Défense). Mais quand Dayan est-il intervenu ? Quatre jours avant la guerre. Qui a préparé l’armée pour la guerre ? Yitzhak Rabin. Depuis la conclusion de la guerre d’Indépendance, il avait juré : plus jamais. Il a appelé tous ses amis du Palmach, et, ensemble, ils ont construit une armée capable. Il a construit le cadre de la formation et le cadre de l’acquisition d’armement. Il a travaillé méticuleusement sur chaque sujet. Il était étonnamment méticuleux.
Et en 67, il pensait que cette guerre était nécessaire. Et le jour d’après 67, comme il l’a écrit dans sa biographie : « Maintenant, je retire l’uniforme, et je vais à Washington pour transformer le résultat de cette guerre en un processus de paix ».
Donc, vous voyez, il ne s’est pas transformé en un jour de faucon à colombe. Il a compris que nous devons nous débarrasser de ces territoires. Et il a compris que la paix devait être faite, d’abord avec l’Egypte, et il a travaillé très dur en ce sens à Washington, et les documents de cette époque sont désormais peu à peu publiés.
Et à un moment quand il a estimé que l’administration militaire était nécessaire dans les territoires, il était en faveur l’administration militaire, bien qu’elle était très dure. Plus tard, quand l’Intifada a éclaté (en 1987), il a pensé que le problème devait être traité avec force. Par la suite, il a pensé que la direction palestinienne dans les territoires ne ferait pas de cadeaux à Israël, et qu’ils courraient vers (Arafat en) Tunisie pour chaque détail. Alors il s’est dit : d’accord, nous allons faire venir [ceux qui sont en] Tunisie, et nous allons essayer de parler avec la Tunisie. Nous sommes assez forts, et nous n’avons pas peur.
Il a compris que nous avions besoin de ne débarasser de ces territoires
Il était pragmatique, il n’était pas naïf. Pas une once de naïveté. Il ne se laisserait pas entraîner dans n’importe quoi. Il vérifiait tout minutieusement.
Et quand (en tant que Premier ministre depuis 1992) il a pensé qu’il avait une chance de réduire les tensions et de créer une sorte de percée, en gardant à l’esprit les circonstances de l’époque, il y est allé. Il avait très bien compris qu’il prenait également le risque de perdre du pouvoir. Il y avait tellement de résistance, alors il était clair qu’il le paierait avec des sièges à la Knesset (aux élections suivantes en 1996). Il ne pensait pas que cela le tuerait. Mais il a pensé qu’il aurait à payer un prix politique.
Il n’était pas sûr de gagner les élections suivantes ?
Il ne pensait pas qu’ils le tueraient, mais il pensait qu’il aurait à payer un prix politique.
Il y a eu une chute importante dans sa popularité à cause du terrorisme. Il ne pensait pas perdre en 1996, mais il savait que cela ne serait pas un combat facile.
S’il y avait eu un autre chef de l’opposition dans notre Etat, un dirigeant plus responsable, pensez-vous que les choses auraient tourné différemment ?
Je ne veux pas rentrer là dedans. Parce qu’il y avait Ehud Barak et cela n’a pas marché (avec Arafat en 2000).
Je parle de l’assassinat. Si quelqu’un de plus responsable avait été le dirigeant de notre opposition, l’atmosphère publique aurait-elle été différente ? L’issue aurait-elle été différente ?
C’est une question à laquelle je ne sais pas répondre. C’est une question difficile et je ne veux vraiment pas y répondre. Je ne pense pas que Bibi ait envoyé Yigal Amir. Je ne pense pas que Bibi ait pensé que quelqu’un tuerait le Premier ministre. Il a compris une chose : qu’Yitzhak Rabin se trouvait sur son chemin pour devenir Premier ministre. Mais je ne pense pas qu’il lui soit jamais venu à l’esprit qu’il pourrait y avoir un meurtre. Cette pulsa denura (malédiction de la mort) vient des royaumes les plus sombres de la religion, où Bibi n’est jamais allé. Je ne pense pas qu’il ait été jamais lié à eux. Cela venait de ces rabbins qui préchaient, préchaient ouvertement, qu’Yitzhak Rabin devait être tué parce qu’il allait entraîner l’annihilation et le désastre. Et ces gens le disent encore. Pas qu’il devait être tué. Ils sont contre le meurtre. Mais ils disent qu’ils sentaient que cet homme allait nous apporter le désastre. Je ne peux pas dire si oui ou non un chef responsable de l’opposition aurait su retenir ces forces qui ne respectent pas du tout l’impératif démocratique. Bibi est, après tout, un dirigeant élu par une majorité démocratique et qui respecte des lois démocratiques. Là-bas, c’est une sorte de monde différent.
Cela existe encore, selon vous ?
Absolument.
Alors, si n’importe qui essaie de rendre des territoires ?
Ce noyau dur de ces rabbins existe encore et pense toujours comme avant. Pourquoi changeraient-ils leur façon de penser ? Ils ont réussi. Ils ont réussi à créer la peur de modifications territoriales.
Regardez, lorsqu’Ariel Sharon a fait son truc (se retirer unilatéralement de Gaza en 2005), il a aussi été menacé par un certain public qui le voyait comme un traître envers eux, parce qu’ils l’avaient vu comme l’un d’eux. Et l’oppostion au retrait unilarétal était très dure. Mais il n’y a pas eu une telle opposition militante. L’opposition (travailliste) le soutenait.
‘Dire que le meurtre a réussi est trop difficile pour moi. Mais il ne fait aucun doute qu’il a obtenu certains résultats’.
C’est une terrible question, que je dois vous poser, que vous vous poser probablement aussi : le meurtre a-t-il réussi ? Yigal Amir voulait arrêter le processus, et on peut vraiment affirmer qu’il a réussi.
La question est de savoir ce que vous avez en tête par « réussir ». C’est vrai que le processus a été arrêté dans une large mesure. Pourtant beaucoup de choses du processus sont restées, mais personne n’en parle. Il y a toujours une coopération sécuritaire sur le terrain qui tient son infrastructure d’Oslo. Toute la question de la coopération économique, y compris avec Gaza, l’accord de Paris.
Dire que le meurtre a réussi est trop fort pour moi. Mais il ne fait aucun doute qu’il a obtenu certains résultats, et en particulier, il y avait quelque chose de paralysant dans le meurtre : cela a gelé la capacité d’avoir une discussion profonde sur le signification du meurtre et son implication pour la société israélienne.
Qu’en tant que société, nous devons encore traiter ?
Tout le monde dit, oui, nous condamnons l’assassinat. Mais cela paralyse d’aller au-delà, et de regarder quelles étaient les conditions et quelle était l’atmosphère. Les deux camps de l’échiquier politique ne veulent pas le faire.
Qu’auriez-vous voulu ?
(Soupirs) C’est ce que nous essayons de mettre en marche pour le 20ème anniversaire : commencer un dialogue plus ouvert avec les gens qui affirment que nous les avons critiqués, qui ont l’impression d’être critiqués pour cela. Même si je ne sais quand j’aurais pu critiquer qui que ce soit. Je veux essayer de créer un environnement pour plus de dialogue, et développer ce dialogue. Je ne sais pas vraiment comment le faire, mais c’est l’objectif.
Y compris essayer de faire des programmes dans les écoles ?
Oui. Pour agrandir encore le cercle des endroits que nous avons atteint jusqu’à présent. Il y a certains phénomènes très durs dans la société israélienne qui doivent être traités. Et, de mon point de vue, cela provient en partie du fait que nous n’avons pas traité cet acte (meurtrier) de violence.
Nous sommes une société très divisée. Je ne sais pas quelles difficultés vous rencontrez lorsque vous essayez de mettre les choses en place. Je suppose que les gens de l’autre côté pensent que vous êtes vraiment en colère contre eux. Et ils ressentent probablement une sorte de culpabilité. Alors, lorsque la rencontre se produit réellement, y-a-t-il une volonté et disposition au dialogue ?
Il y a une disposition au dialogue. Il y avait un groupe ici et l’un d’eux, du noyau dur du camp sioniste religieux , s’est levé à la fin de la visite et a dit: « j’ai visité le musée et je n’ai pas eu l’impression d’être accusé. »
La question est vraiment de savoir s’ils veulent s’ouvrir un petit peu. Ils sont tellement fermés maintenant. Cela se pourrait que les réactions du Camp de la Paix, après le meurtre, aient quelque chose à voir là-dedans. Je ne sais pas. Cela pourrait venir du fait qu’ils ont été poussés dans un coin. Je n’ai jamais eu l’impression de faire cela. Mais il y avait d’autres éléments qui l’ont fait. Je les crois qu’ils se sont sentis traités aisni. Je n’ai pas de doute qu’ils se sont sentis un petit peu coupables, parce qu’après tout, nous avons vu qui a participé aux manifestations.
Pour changer de sujet, comment Rabin aurait traité avec l’Iran, selon vous?
Oh, je ne sais pas. Je ne peux pas parler en son nom.
C’était un homme si méticuleux et si sérieux. Je pense, tout d’abord, que les relations avec les Etats-Unis auraient été bien différentes.
A un président qui est très, très difficile ? Nous ne devez pas répondre ainsi.
Nixon n’était pas facile. Johnson n’était pas facile. Il n’étaient pas des présidents faciles. Nixon n’était pas un président facile pour Israël. Rabin leur a coupé l’herbe sous les pieds. La question est donc comment faire quoi, et comment ne pas gâcher les relations.
Et finalement, s’il nous regarde d’en haut, je ne sais pas si vous y croyez du tout…
Je crois vraiment qu’il nous regarde d’en haut.
Vraiment ?
Oui
Qu’il y a quelque chose après la mort ?
Je n’appelle pas cela par un nom, mais dans un certains sens, je leur parle encore. Alors je crois qu’ils entendent. Ils ne répondent pas, mas je crois qu’ils entendent.
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