40 ans après la révolution iranienne, les Juifs perses de LA souffrent encore
Des milliers de familles juives ont toujours en eux les souvenirs traumatisants de violence, d'emprisonnement, d'antisémitisme et de chaos après l'ascension de l'Ayatollah Khomeini
LOS ANGELES (JTA) — Asher Aramnia, homme d’affaires juif d’origine iranienne qui vit à Los Angeles, retient ses larmes lorsqu’il se souvient de sa cousine bien-aimée, exécutée par le régime islamique iranien il y a quarante ans parce qu’elle avait commis le crime d’être à la tête d’un institut de beauté pour les femmes dans le pays.
Aramnia fait partie des milliers de Juifs iraniens locaux qui ont toujours conservé en eux les douloureux souvenirs des violences, emprisonnements, antisémitisme et ce chaos total qu’ils ont vécu il y a 40 ans après l’arrivée au pouvoir de feu le dictateur du régime iranien, l’Ayatollah Ruhollah Khomeini.
« Nous avions grandi ensemble. J’ai été dévasté quand j’ai appris la nouvelle de son exécution parce qu’elle devait être libérée de prison le jour même », explique Aramnia, arrivé aux Etats-Unis quelques années seulement avant la révolution. Il demande que sa cousine ne soit pas identifiée dans l’article, des membres de sa famille vivant en Amérique craignant encore des représailles potentielles de la part du régime iranien.
Le cauchemar des Juifs iraniens a commencé le 1er février 1979 quand Khomeini, qui se trouvait en exil, est revenu en Iran, qu’il a dissous rapidement la monarchie du Shah Reza Pahlavi et établi peu après un nouvel État fondamentalement islamique.
Du jour au lendemain pratiquement, le nouveau régime théocratique a éliminé un grand nombre de libertés et de libertés civiles que les Iraniens tenaient pourtant pour acquises – c’était notamment le cas des Juifs du pays qui, sous le règne du Shah, avaient vécu l’une des plus grandes périodes de paix et de prospérité de leur longue histoire dans la région.
Le nouveau régime avait également rapidement exécuté plusieurs personnalités juives éminentes du pays, les accusant de sympathie envers la monarchie déchue ou « d’espionner pour le compte d’Israël et de l’Amérique ».
Par crainte d’un malheur susceptible de s’abattre sur elles, de nombreuses familles juives s’étaient pressées d’abandonner leurs habitations et leurs commerces et elles avaient fui le pays – souvent la nuit. D’autres avaient perdu tout ce qu’elles avaient, le gouvernement ayant confisqué des millions de dollars d’avoirs.
« La révolution islamique a été un drame horrible pour les Juifs d’Iran parce que nos vies ont été soudainement bouleversées lorsque Khomeini a pris le pouvoir », dit Joe Shooshani, homme d’affaires et commissaire de planification de la ville de Beverly Hills arrivé avant la révolution.
« Ceux d’entre nous qui avons été capables de nous adapter à nos nouvelles vies en Amérique ont bien réussi, et ceux qui ont échoué à le faire ont beaucoup souffert ».
Sous le règne du Shah d’Iran, les Juifs, ainsi que les autres minorités religieuses, s’étaient habituées à être traités avec respect – bien qu’en tant que représentants de cultures séparées et distinctes. Ils étaient dorénavant considérés comme des citoyens de troisième zone et l’atmosphère d’hostilité les aura amenés à quitter le pays après 2 700 ans de présence sur le territoire.
Avec le recul, le traumatisme de ces départs ont laissé des blessures profondes au sein de la communauté juive américaine d’origine iranienne qui s’élève aujourd’hui, selon les estimations des activistes, à environ
40 000 personnes à Los Angeles et à 25 000 personnes à New York. La communauté juive en Iran, qui comptait 80 000 membres avant 1979, est constituée maintenant de 5 000 à 8 000 membres.
Un grand nombre de Juifs ont prospéré dans leur exil, regroupés en communautés « perses » à Beverly Hills, Encino, Brentwood et autres banlieues de Los Angeles. Leur empreinte culturelle se ressent à travers un réseau d’écoles et de synagogues ici, comme dans la zone du grand New-York. Le farsi est encore parlé dans des restaurants perses casher de l’ouest de Los Angeles et du quartier Pico-Robertson.
Mais de nombreux Juifs iraniens continuent à vivre dans l’incrédulité de ce qui est arrivé pendant la révolution. Selon la majorité de ses membres, la fuite de la communauté a commencé sérieusement en 1979, lorsque les Gardiens de la Révolution du nouveau régime ont exécuté Habib Elghanian, 66 ans, un philanthrope et leader de la communauté juive iranienne, qui avait été accusé de manière mensongère d’avoir mené des activités d’espionnage pour le compte d’Israël et de l’Amérique.
« L’exécution d’Elghanian était principalement politique et voulait signaler aux Juifs iraniens que l’époque où ils étaient des citoyens influents, traités à égalité avec les autres, était terminée. Elle avait aussi servi à satisfaire les Palestiniens qui avaient été proches d’un grand nombre de révolutionnaires islamiques pendant et après la révolution », explique Frank Nikbakht, un activiste qui a quitté l’Iran après la révolution et qui dirige maintenant le Comité pour les droits des minorités en Iran, dont le siège est à Los Angeles.
Nikbakht, qui est maintenant sexagénaire, affirme qu’Elghanian n’a pas été le dernier Juif exécuté par le régime iranien. Depuis 1979, au moins 14 Juifs sont morts alors qu’ils se trouvaient en détention et 11 autres ont été officiellement exécutés.
En 1999, Feizollah Mekhoubad, un chantre âgé de 78 ans de la synagogue populaire Youssefabad à Téhéran, avait été le dernier Juif à être torturé puis officiellement exécuté par le régime, selon un récent rapport du Comité pour les droits des minorités en Iran.
« Exécuter de temps en temps des Juifs a aussi été une politique mise en oeuvre pour faire en sorte de neutraliser la communauté, de l’aligner », continue Nikbakht.
« Dans certains cas, comme dans le dossier Albert Danialpour, ces exécutions ont été liées à des rivalités commerciales aux mains de juges islamiques meurtriers, comme l’Ayatollah [Sadegh] Khalkhali. »
Danielpour avait été exécuté à Hamadan, le 5 juin 1980, accusé d’avoir coopéré avec la CIA et les renseignements israéliens. Khalkhali était le chef des tribunaux révolutionnaires.
A chaque Juif exécuté par le régime iranien, des milliers de Juifs ont décidé de fuir le pays. Selon Nikbkaht, d’autres sont partis pour échapper aux lois strictes de la charia mises en place par le régime, qui étaient appliquées pour humilier les Juifs et les désavantager.
Depuis et jusqu’à il y a presque 20 ans, des exécutions de Juifs ont continué au sein de la république islamique. En l’an 2000, 13 Juifs de la ville de Shiraz ont été arrêtés, accusés d’espionner pour Israël – ce qui avait été une invention de toutes pièces – en attendant d’être exécutés. Pourtant, en résultat d’une campagne véhémente menée par des activistes juifs d’origine iranienne à Los Angeles et par la communauté juive plus largement, les Juifs de Shiraz ont été finalement placés en détention puis relâchés plus tard.
D’autres responsables Juifs iraniens de Los Angeles se souviennent pour leur part de la transition difficile vécue par les membres de leur communauté lorsqu’ils se sont installés, nouveaux immigrants dans un nouveau pays. La fondation Judea International, située à Los Angeles et connue sous le nom de Siamak, a été l’un des premiers groupes juifs iraniens à but non-lucratif constitué de bénévoles qui ont aidé les exilés à trouver leur place dans leur nouvelle vie.
« Cela a été difficile pour de nombreux Juifs iraniens, au début, de s’habituer à la vie en Amérique », explique Dariush Fakheri, 69 ans, fondateur et dirigeant de Siamak. « Mais finalement, cette révolution a été bénéfique dans une très grande mesure parce qu’en tant que communauté, nous avons réalisé notre potentiel humain avec des limites minimales, ce qui nous a permis de réaliser nos rêves dans ce grand pays ».
Malgré les difficultés et les bouleversements qu’ont connu les Juifs iraniens suite à la révolution de 1979, la plus jeune génération qui n’a pas de souvenirs de la république islamique ou qui est née en Amérique dit que les expériences douloureuses vécues par leurs familles entre les mains du régime sont encore très présentes.
« Nous devons comprendre le traumatisme vécu par notre communauté – il n’y a pas d’autres mots pour le qualifier – contrainte à fuir son foyer avec des conséquences qui se ressentent encore à ce jour », dit Sam Yebri, qui était un nouveau-né quand ses parents ont quitté l’Iran au début des années 1980.
Yebri dirige maintenant l’organisation 30 Years After, une ONG basée à Los Angeles qui promeut les activités civiques et politiques parmi les jeunes Juifs iraniens.
« Peu importe le degré d’assimilation ou de prospérité connu aujourd’hui par notre communauté », ajoute-t-il. « Nous devons nous souvenir d’où nous venons, des sacrifices consentis par la génération de nos parents et des responsabilités induites par notre appartenance au monde juif dans le monde ».