A Cannes, un docu poignant donne la parole aux victimes d’Hissène Habré
Le film raconte l'horreur vécue par les victimes de la tragédie tchadienne qui a fait 40 000 morts
« C’était une affaire de nègres qui a été passée sous silence » : le cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun présente, lundi à Cannes, un documentaire poignant sur la répression sanglante menée par l’ancien dictateur Hissène Habré.
« Hissein Habré, une tragédie tchadienne », hors compétition, donne la parole aux victimes oubliées de cette tragédie qui a fait 40 000 morts.
Pourquoi est-il si nécessaire de donner la parole aux victimes du régime d’Hissène Habré ?
« Parce l’horreur vécue par ces hommes et ces femmes n’a pas reçu l’attention des médias à l’époque (Hissène Habré fut président de 1982 à 1990, ndlr). Ils étaient focalisés sur d’autres sujets, le colonel Kadhafi en Libye, la guerre froide et, pour reprendre le titre d’un documentaire d’une cinéaste camerounaise (le film d’Osvalde Lewat en 2009, ndlr), c’était une ‘affaire de nègres’ qui a été passée sous silence.
Je voulais porter un regard de l’intérieur, un regard juste qui donne toute la place aux victimes d’Hissène Habré et de sa police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS).
C’est d’ailleurs pourquoi j’ai confié à Clément Abaïfouta, un ancien détenu sous la dictature, qui était chargé de la terrible tâche d’enterrer ses codétenus, de se faire le porte-parole de tous ces morts. C’est lui le fil rouge du film, qui mène des entretiens avec des victimes qu’il connaît personnellement ».
La présentation du film à Cannes coïncide avec le procès de l’ancien dictateur. Est-ce voulu ?
(Arrêté en 2013 à Dakar, où il était en exil depuis 1990, Hissène Habré a comparu pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre du 20 juillet 2015 au 11 février 2016 devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), juridiction créée par l’Union africaine. Le verdict est attendu fin mai).
« C’est une coïncidence du calendrier, mais je dois dire qu’elle tombe bien parce qu’il n’y a pas meilleur endroit que le Festival de Cannes pour donner un écho à la parole des victimes et faire connaître au monde les souffrances qu’elles ont endurées, les tortures, les viols…
C’est une façon de leur rendre justice une deuxième fois après un procès long et douloureux. D’autant que le procès ne leur a pas donné entière satisfaction. Hissène Habré, qui n’a pas reconnu la légitimité de la juridiction devant laquelle il comparaissait, n’a pas voulu leur parler et ils ont perçu ce silence comme du mépris. Cela a accentué leur colère ».
Une question revient en voyant votre film : pourquoi ce massacre ?
« La réponse, comme souvent pour ce type de génocide, on ne la connaît jamais vraiment.
L’une des victimes que l’on voit dans le film, Robert Gambier, qu’on accusait à tort d’être libyen, explique que les dirigeants tchadiens sacrifiaient peut-être des gens pour que les dieux leur permettent de garder le pouvoir.
Je ne reprends pas cette explication divine à mon compte. Je pense plutôt qu’ils se servaient de ce régime de terreur pour conserver le pouvoir.
Mais c’est de toute façon une chose impensable, au sens littéral du terme, de même que la Shoah ou le massacre des Tutsis au Rwanda sont impensables. On ne peut que condamner parce que l’esprit humain a du mal à comprendre ».