A Jérusalem, un hôtel unique offre un répit aux femmes confrontées au deuil périnatal
Pour aider les couples à faire face à une perte insupportable que peu comprennent, l'établissement géré par Yad Sarah propose des repas, un spa, mais surtout un soutien mental et émotionnel
JTA – Moriel Yamin était enceinte de six mois de son premier enfant lorsque des terroristes du Hamas ont pris d’assaut le poste de police situé en face de son domicile à Sderot le 7 octobre, et y ont assassiné 35 personnes. Son mari, soldat dans les réserves de Tsahal, a été appelé. Comme la plupart des habitants de Sderot, Moriel a été évacuée vers une région plus sûre du pays.
En novembre, Moriel a souffert de contractions atroces et a été hospitalisée pendant deux semaines. Mais un mois plus tard, lors d’un examen de routine, on lui a annoncé que le bébé était en détresse et qu’elle devait subir une césarienne d’urgence.
Trois jours après la naissance, la petite, appelée Shira Chaya, meurt. Pendant trois heures, Moriel a sangloté en tenant sa fille inerte dans ses bras et refusait de la confier au personnel médical.
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« Le médecin m’a dit que la mort ne la rendrait pas plus belle, mais je n’arrêtais pas de me dire que je ne pouvais pas les laisser me la prendre », se souvient-elle.
Moriel était encore sous le choc à la mi-janvier lorsqu’elle et son mari ont fait le choix inhabituel de s’inscrire dans un nouveau centre à Jérusalem pour les femmes et les couples confrontés au deuil périnatal. Le couple y bénéficie d’une restauration en pension complète, d’un spa, de services de soutien physique et émotionnel, d’ateliers et d’un accès à des professionnels de la santé mentale, afin de les aider à faire face à leur perte dans un espace éloigné de leur routine.
Bien que la mortinatalité ne soit officiellement reconnue comme telle par les autorités israéliennes qu’à partir de 22 semaines de grossesse, le centre permet aux femmes de venir dès 20 semaines et jusqu’à quatre mois après la naissance. Certaines, comme Moriel, s’apprêtaient à devenir mères pour la première fois. D’autres ont déjà une famille nombreuse, ce qui est courant en Israël, où le taux de natalité est le plus élevé de tous les pays développés.
« Peu importe le nombre d’enfants que l’on a, on ne se remet jamais de cette expérience », a expliqué le Dr Chana Katan, gynécologue américano-israélienne qui travaille bénévolement en tant qu’autorité médicale dans cet établissement. « Notre objectif est de donner à ces femmes de l’espoir et de les soutenir dans leur rétablissement pendant qu’elles essaient de comprendre ce qui leur est arrivé. »
Le centre est géré par Yad Sarah, la plus grande organisation bénévole d’Israël, et se trouve au sixième étage de son hôtel de réhabilitation et de bien-être, au numéro 33 de la rue Yirmiyahu, à l’entrée de Jérusalem, le seul hôtel du pays entièrement accessible aux personnes handicapées. Les nuitées sont en grande partie subventionnées et les couples paient 350 shekels par nuit, qu’ils peuvent ensuite faire rembourser par leur assurance maladie pour un maximum de quatre nuits. Depuis son ouverture l’an dernier en juillet, le centre a accueilli 470 couples, dont la plupart ont été confrontés à la mortinatalité.
Le cas du couple Yamin était inhabituel, non seulement parce qu’il s’agissait d’un cas de mortalité néonatale et non d’un bébé mort-né, mais aussi parce qu’ils étaient des évacués. Leur séjour à l’hôtel a donc duré deux mois au lieu des quatre nuits habituelles.
Une autre organisation israélienne, Keren Ohr, gère des maisons d’hôtes où les couples confrontés au deuil périnatal et à des problèmes de fertilité peuvent trouver une oreille attentive.
À l’étranger, Atime, la plus ancienne organisation juive à but non lucratif dans le domaine de la fertilité, possède des maisons à Monroe, New York et Londres où les couples peuvent se rendre pour se ressourcer. En dehors du monde juif, plusieurs organisations à but non lucratif proposent un soutien ou des conférences aux familles confrontées au deuil périnatal. Mais Yad Sarah estime que l’établissement de Jérusalem, qui dispose de 10 suites dédiées et de la possibilité d’en ouvrir 11 autres en cas de besoin, est le premier du genre dans le monde.
Ronit Calderon-Margalit, directrice de l’École de santé publique de l’Université hébraïque et du centre hospitalier Hadassah, a déclaré qu’Israël prenait de plus en plus conscience des difficultés rencontrées par les femmes en cas de deuil périnatal. Une loi de 2017 a étendu les pleins droits de naissance, y compris le congé de maternité, aux femmes ayant subi une perte de grossesse après 22 semaines, au lieu du seuil précédemment fixé à 26 semaines.
« Il y a un fossé entre ce que vit la femme, l’immense chagrin et le sentiment de perte, et les attentes de la société, qui veut que l’on passe rapidement à autre chose », a déploré Calderon-Margalit. « Mais les choses évoluent et la prise de conscience est plus forte aujourd’hui. »
Aimee Baron, fondatrice et directrice exécutive de l’organisation juive de soutien aux femmes confrontées à l’infertilité « I Was Supposed to Have a Baby« , a déclaré qu’elle ne connaissait pas d’autre centre offrant l’étendue et la profondeur des services proposés par l’hôtel de Yad Sarah. Aux États-Unis, dit-elle, une grande partie du soutien de la communauté juive aux problèmes de fertilité est consacrée à aider les gens à couvrir le coût élevé de la FIV, ou fécondation in vitro, lorsqu’un couple ne parvient pas à concevoir naturellement. En Israël, où la FIV est gratuite dans la plupart des cas, il est possible de répondre à des besoins différents.
« Nous savons de manière anecdotique que les gens portent cette douleur avec eux pour le reste de leur vie », a déclaré Baron. « Le fait que ces centres existent aujourd’hui est absolument incroyable, car cela attire l’attention sur la nécessité de ce type de soutien. »
Mme Katan, qui a dirigé et fondé l’unité de fécondation in vitro de l’hôpital israélien Laniado à Netanya, doit approuver le dossier de chaque femme qui souhaite séjourner dans l’établissement. Elle a elle-même donné naissance à un enfant mort-né, tout comme deux de ses filles, dont l’une a récemment traversé cette épreuve seule au cours de son neuvième mois de grossesse, alors que son mari combattait à Gaza. Sa fille, mère de neuf autres enfants, a pu séjourner au centre.
Mme Katan a déclaré que, bien qu’il n’y ait pas encore de preuves à l’appui, elle a observé de manière anecdotique une augmentation du nombre de femmes ayant subi des fausses-couches ou accouché de bébés morts-nés depuis que la guerre a éclaté le 7 octobre, lorsque des terroristes du Hamas ont envahi le sud d’Israël, assassiné 1 200 personnes et enlevé 251 personnes pour les garder en otage dans la bande de Gaza.
« Il est évident que la femme enceinte subit un stress supplémentaire. Nous voyons aussi de plus en plus de veuves de guerre enceintes. Certaines de ces femmes se disent réconfortées par le fait qu’il y a une vie en elles qu’elles savent devoir nourrir, tandis que d’autres disent que cela rend les choses plus difficiles », a-t-elle déclaré. « Mais une chose est sûre : pour les femmes qui, Dieu nous en préserve, perdent le bébé, la douleur est écrasante ».
L’établissement Yirmiyahu 33 compte 216 suites au total et, dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, il est devenu l’un des nombreux hôtels à se transformer en logements semi-permanents pour les Israéliens déplacés – principalement des handicapés ou des personnes âgées – du nord et du sud d’Israël. Bien que le centre dédié au deuil périnatal occupe un étage séparé des autres clients de l’hôtel, la guerre a donné lieu à des échanges plus fréquents.
Rivka Benedict, coordinatrice administrative du centre, a soulevé un lien poignant entre ces deux groupes qui ont subi des pertes – ceux qui ont perdu leurs bébés et ceux qui ont perdu leurs maisons.
« Il y avait de vieilles grand-mères marocaines et leurs aides à domicile étrangères qui discutaient avec les patientes de notre centre. Elles se sont vraiment rapprochées, c’était beau à voir », a raconté Benedict.
Selon Benedict, le fondateur et président de Yad Sarah, Uri Lupolianski – qui est également un ancien maire de Jérusalem – a été invité à ouvrir ce centre par Shlomo Pappenheim, le fondateur d’une maison de convalescence pour jeunes accouchées à Telz-Stone (Kiryat Ye’arim), dans la banlieue de Jérusalem.
« Le rabbin Pappenheim a dit au rabbin Lupolianski qu’il n’était tout simplement pas possible de faire venir ces femmes [qui avaient accouché d’un enfant mort-né] dans son établissement et de les entourer de nouvelles mères et de bébés en pleurs », a expliqué Benedict.
Katan déconseille d’arriver au centre directement depuis l’hôpital et, dans de nombreux cas, elle n’approuvera pas de telles demandes. Souvent, les femmes veulent éviter de rentrer chez elles pour ne pas être confrontées à des scènes difficiles, comme annoncer la mauvaise nouvelle à leurs autres enfants ou recevoir des ballons de félicitations des voisins sur le pas de la porte.
« Mais ces femmes ont encore besoin que leur corps guérisse – certaines d’entre elles ont subi des gestes médicaux très invasifs et, malheureusement, dans certains cas, les hôpitaux les laissent partir plus tôt que prévu, parce qu’il n’y a pas de bébé en jeu », a déploré Mme Katan. « Je ne peux pas assumer cette responsabilité. »
Bien que l’établissement soit ouvert à toutes les femmes, y compris les Israéliennes arabes, la majorité des patientes sont des femmes orthodoxes haredi, qui ont tendance à avoir plus de grossesses que leurs homologues laïques et sont donc davantage confrontées au deuil périnatal. Le taux de natalité en Israël est en moyenne de 3,0 enfants par femme, selon un récent rapport de l’OCDE. Le nombre moyen d’enfants dans les familles haredi est plus de deux fois plus élevé, selon une analyse récente de l’Israel Democracy Institute (IDI).
« Nous accueillons toutes les femmes qui souhaitent venir », a déclaré Benedict. « Mais il est arrivé que des couples laïcs annulent leur venue lorsqu’ils se sont rendu compte, par exemple, que les heures de baignade étaient séparées pour les femmes et les hommes. »
Une femme haredi, Shifra, qui a refusé de donner son nom de famille, a appris à la 27e semaine que sa grossesse n’était pas viable. Il a fallu attendre trois semaines supplémentaires pour qu’elle subisse une intervention visant à retirer le fœtus. Pendant cette période, Shifra a déclaré que son mari et elle ont consulté leur rabbin à plusieurs reprises.
Shifra a raconté qu’en rentrant de l’hôpital, elle a rencontré une connaissance qui lui a souhaité Mazal Tov. « Elle n’a pas réalisé que je n’avais plus de ventre mais pas de poussette non plus. Ce n’est pas de sa faute, car les gens ne savent pas. Mais c’était embarrassant pour nous deux. Elle ne savait pas quoi dire. »
Quelques semaines plus tard, après Pessah, Shifra et son mari sont arrivés à l’hôtel. « C’était très agréable de se retrouver dans un environnement nouveau et magnifique, et c’était très réconfortant d’être entourée d’autres femmes qui comprenaient ce que l’on avait vécu.
Mme Baron a indiqué que son organisation recevait fréquemment des témoignages de femmes qui se sentaient exclues de leurs communautés après avoir été victimes du manque de délicatesse et de tact d’autres personnes.
« Les gens disent des phrases du genre ‘Remets-toi’, ‘Ne vous inquiétez pas, vous aurez un autre bébé’, ‘Pourquoi faites-vous votre deuil ?’ ou ‘Pourquoi es-tu encore triste ?’. Le fait que l’on accorde désormais une telle attention à l’expérience [du deuil périnatal] signifie que les gens se sentiront plus à l’aise au sein de la communauté et n’auront pas l’impression de devoir se replier sur eux-mêmes ou de partir pour avoir le sentiment d’être soutenus. Je pense donc qu’il s’agit d’une avancée incroyable ».
Pour Moriel Yamin, son identité religieuse et sa communauté lui ont apporté du réconfort après cette perte.
« Amener l’âme de Shira Chaya dans ce monde a été le plus grand privilège de ma vie », a-t-elle déclaré. « Pendant ces trois jours, le nombre de personnes – des étrangers – qui ont prié pour elle et accepté des mitzvot (commandements) en son nom m’a donné une force infinie. Sa mort n’en est pas moins douloureuse, mais elle a plus de sens. »
Elle a félicité les bénévoles et le personnel du centre de Yad Sarah pour le « travail sacré » qu’ils accomplissent en aidant des femmes comme elle.
« Rivka [Benedict] s’est tellement occupée de nous. C’est l’une des personnes les plus compatissantes que l’on puisse rencontrer », a-t-elle déclaré.
Aujourd’hui, Moriel se trouve à un autre carrefour, car son mari a de nouveau été mobilisé en tant que réserviste.
« C’est un idéaliste, il vit pour le peuple d’Israël », dit-elle. « Je me demande souvent si je peux mettre de côté mon propre combat pour celui de notre nation. Quelle est la bonne chose à faire ? Suis-je importante ou le peuple d’Israël l’est-il ? Ils ont besoin de lui, mais moi aussi. »
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