Qui a vendu des trésors de la bibliothèque Valmadonna Trust ?
Après que la Bibliothèque nationale d'Israël a acquis la plus belle collection privée de livres juifs, certaines de ses sélections les plus précieuses ont été mises aux enchères
Le 9 novembre, Kestenbaum & Company à New York a mis aux enchères 209 sélections premium de la bibliothèque Valmadonna Trust, considérée comme la collection privée la plus fine et la plus complète de livres et de manuscrits hébreux dans le monde.
Qui vend une partie de la bibliothèque Valmadonna Trust ? Voilà une question simple, mais sans réponse claire.
La Valmadonna se compose de plus de 11 000 livres et feuilles de papier imprimés, ainsi que de quelque 300 manuscrits amassés pendant quatre décennies par feu Jack V. Lunzer, un diamantaire industriel britannique et bibliophile.
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Il retrace l’histoire de l’imprimerie hébraïque et la diffusion mondiale de la culture juive à travers le mot imprimé.
Parmi ses trésors, on trouve le plus grand nombre d’incunables privés (livres imprimés avant 1501) et de précieux manuscrits, comme un Pentateuque de 1189, le seul en hébreu encore existant en Angleterre qui ait précédé l’expulsion des Juifs en 1290.
Plus de 200 des livres les plus précieux de la collection étaient mis en vente, mais aucun des deux propriétaires de Valmadonna ne prétend les avoir mis sur le marché.
La Valmadonna a été acquise conjointement en décembre 2016 par la Bibliothèque nationale d’Israël qui siège à Jérusalem et par les collectionneurs d’archéologie et livres Judaica Dr. David et Jemima Jeselsohn dans une transaction privée avec le Valmadonna Trust. La Bibliothèque nationale d’Israël et les Jeselsohn nient être derrière la vente aux enchères, chacun accusant l’autre.
Dans une interview accordée au Times of Israël à la Bibliothèque nationale (INL), le conservateur de la collection Judaica, le Dr Yoel Finkelman, a insisté sur le fait que la Bibliothèque nationale d’Israël n’est pas à l’origine de la vente aux enchères. Il a dit que depuis 10 ans, elle ne négocie pas, ne vend pas, ou ne met pas aux enchères ses biens.
« La Bibliothèque nationale d’Israël n’a pas de relation contractuelle avec la mise aux enchères Kestenbaum, il n’est pas le propriétaire des livres vendus, et ne reçoit aucun des bénéfices », a déclaré Finkelman.
« Les objets de la vente aux enchères de Kestenbaum sont ceux dont nous avions déjà des copies et qui n’étaient pas intéressants pour notre collection. Nous avons seulement pris ce qui nous manquait », a déclaré Finkelman.
Selon Finkelman, la Bibliothèque nationale d’Israël vise à acquérir un des livres hébreux ou juifs imprimés (dans toutes ses éditions). La rareté d’un livre est importante pour la Bibliothèque nationale d’Israël, mais pas de la même manière pour un collectionneur ou un investisseur. La même chose peut être dite à propos de la beauté d’un livre (Lunzer a fait restaurer et relier ses livres somptueusement par le célèbre relieur londonien Bernard Middleton.)
Dr. David Jeselsohn, s’est entretenu dans une conversation téléphonique avec le Times of Israël depuis son bureau de Zurich, en Suisse.
« Jack [Lunzer] aimait avoir de bonnes copies, mais la Bibliothèque nationale n’a pas besoin des plus beaux objets », a déclaré Jeselsohn.
Jeselsohn a prétendu ne prendre que 50 à 70 des livres restants après que la Bibliothèque nationale d’Israël a fait son choix parmi les milliers de volumes de la Valmadonna.
Cela signifierait que le solde – quelques milliers de livres – est la source des 209 objets de la vente aux enchères de Kestenbaum.
Mais à qui appartiennent ces livres, et qui va bénéficier de leur vente ?
Jeselsohn a confirmé au Times of Israël que ces objets sont parmi ceux que ni lui ni la Bibliothèque nationale d’Israël n’ont voulu intégrer dans leurs collections. Cependant, lorsqu’on lui a demandé qui a choisi Kestenbaum pour lancer la vente aux enchères, Jeselsohn a dit qu’il n’était pas sûr. Et qui en bénéficierait ? Il n’a pas non plus répondu à cette question.
« Nous ne divulguons pas les détails financiers », a déclaré Jeselsohn.
Les enchères ont permis la vente de lots de valeurs différentes. Une traduction en latin d’un des premiers dictionnaires hébreux datant de 1564, le « Sepher HaShorashim » s’est vendu 400 dollars. Un compendium de 2 000 titres de la bibliothèque de référence de la Valmadonna s’est vendu 190 000 dollars.
« Le marché du livre hébraïque s’est dynamisé durant cette soirée d’enchères. Grâce à la vente par la maison d’enchère Kestenbaum & Company, ce sont 209 lots qui ont trouvé une nouvelle maison, chez des collectionneurs ravis et dans des bibliothèques institutionnelles à travers le monde », a déclaré Daniel Kestenbaum au Times of Israel après la vente.
« Des prix exceptionnels ont été atteints pour 96 % des lots vendus, souvent plusieurs fois le prix estimé avant l’enchère », a ajouté Kestenbaum.
Le joyau de la couronne, la bibliothèque de référence, en est un exemple. Son prix de vente, avant l’enchère était estimé à 50 000 dollars, voire 70 000 dollars. Il n’était pas exposé avant la vente et n’était consultable que sur demande.
Selon la description disponible sur le site de Kestenbaum, « elle comprend une vaste richesse de livres et documents qui portent sur des incunables hébraïques, l’impression, la typographie, la codicologie, des manuscrits enluminés, de l’art juif et l’art littéraire, l’histoire de la bibliothèque, des archives, des collections privées, et autres domaines de la bibliographie juive ».
Selon un résumé de l’expert littéraire, le docteur Brad Sabin Hill, qui a connu et admiré Lunzer pendant plus de 35 ans. « La collection couvre le large spectre de l’érudition bibliographique hébraïque et juive des XIXe et XXe siècles, particulièrement en allemand, en hébreu, en anglais, en italien et en français, le tout dans des exemplaires inhabituellement nets et proprement reliés ».
La première édition en allemand du Talmud de Babel par Immanuel Benveniste s’est vendue à 90 000 dollars. Selon le catalogue de Kestenbaum, « Benveniste n’a pas imprimé ce Talmud dans l’ordre chronologique, mais a produit la plupart des traités dans des livres individuels avec des titres séparés et un foliotage qui permettait la vente individuelle, ce qui explique qu’un set complet et uniforme soit
inhabituel. »
Le premier livre de prière imprimé en hébreu, le Machzor Soncino, a été vendu pour 72 500 dollars.
Imprimé en Italie selon le rite roman, en 1485-86, il était estimé à 50 000 – 60 000 dollars. Selon le catalogue de Kestenbaum, il est riche d’une liturgie (piyoutim), en plus des prières normatives.
Selon le catalogue Wineman, « cet incunable magnifique est l’une des productions les plus incroyables de Soncino. C’est le premier livre entièrement ponctué avec des en-têtes estampillés. C’est le seul livre imprimé à Casal Maggiore et il aura fallu une année entière pour l’imprimer, en raison de la complexité du contenu. »
La vente est contre les souhaits de Lunzer avant de mourir
La vente aux enchères est un deuxième coup dur fait aux souhaits du gardien d’origine de la Valmadonna. Lunzer voulait que sa bibliothèque soit conservée, mais il est décédé en décembre 2016 sans voir cette vision se concrétiser. Un an plus tôt, 12 des articles les plus précieux de la collection ont été vendus dans une vente aux enchères Sotheby’s en 2015.
À l’origine, Sotheby’s a exposé toute la bibliothèque Valmadonna Trust à New York en 2009. Il y avait l’intérêt de plusieurs parties, y compris la Bibliothèque du Congrès, mais le prix et les conditions dictées par Lunzer ont empêché une vente.
La vente aux enchères de Sotheby’s de 2015 a rapporté au total 14,9 millions de dollars, ce qui en fait la vente aux enchères la plus importante pour Judaica. Elle présentait des manuscrits datant des 11e et 12e siècles, ainsi qu’un exemplaire impeccable d’un Talmud imprimé par Daniel Bomberg à Venise au début du 16e siècle et vendu pour un montant record de 9,3 millions de dollars. (Lunzer avait acquis le Talmud, qui était conservé à l’abbaye de Westminster depuis le début du 17ème siècle, en l’échangeant en 1980 contre une copie médiévale de la charte de l’abbaye de Westminster.)
Cela a réduit le prix global de la Valmadonna, permettant à la Bibliothèque nationale d’Israël et aux Jeselsohn de l’acquérir, avec des projets pour la mettre en valeur – entièrement ou en partie – dans le nouveau complexe de la Bibliothèque nationale d’Israël qui devrait ouvrir en 2020.
Brad Sabin Hill, ancien conservateur de la collection I. Edward Kiev Judaica à George Washington University à Washington, DC et expert de la Valmadonna, ont trouvé le moment de la vente aux enchères curieux.
« Cela m’a surpris que ces articles soient retirés de la vente maintenant, et si rapidement », ont-ils dit.
En effet, les milliers de volumes de la Valmadonna sont toujours examinés individuellement et catalogués par le personnel de la Bibliothèque nationale d’Israël. Alors qu’ils sont absorbés dans la collection Judaica estimée entre 2,5 à 3 millions de volumes de la bibliothèque, certains sont numérisés page par page.
Joshua Gerstein, du département des processus d’acquisition de la bibliothèque, était enthousiaste à l’idée de manipuler les livres de la collection Valmadonna non seulement en hébreu, mais aussi en latin, anglais, néerlandais, italien, yiddish, ladino et même ourdou.
Il fut ému de saisir des objets tels qu’un Pentateuque de Trente (Italie), imprimé moins d’un siècle après l’Inquisition et l’expulsion des Juifs d’Espagne, et Une excuse pour l’honorable nation des Juifs et tous les fils d’Israël par Edward Nicholas imprimé en 1648 qui a plaidé pour la réintégration des Juifs en Angleterre.
« Vous apprenez tellement sur la vie et l’histoire des communautés à travers les livres qu’ils ont imprimés », a déclaré Gerstein en présentant à ce journaliste un petit livre de Téhilim pour Tisha BeAv imprimé à Venise en 1599 avec des notes manuscrites en petits caractères.
« Le conservateur le plus savant des livres hébreux »
L’expert de Valmadonna Hill a rencontré Lunzer au début des années 1980 et lui a rendu visite ainsi qu’à ses livres plusieurs fois au cours des 35 années suivantes. Hill a écrit l’introduction au catalogue des enchères de Kestenbaum.
« Si on ne savait pas qu’il était marchand de diamants, il était impossible d’imaginer qu’il pouvait être autre chose que le conservateur le plus savant des livres en hébreu, » a écrit Hill à propos de son ami.
« Obsessionnel, borné et méticuleux, il a acquis des livres de tous les lieux d’impression et de toutes les imprimeries. Non seulement la totalité de la production de livres juifs était représentée dans la collection, mais dans des exemplaires uniques ou presque uniques, impeccables, de luxe, variés, excessivement rares ou non enregistrés, tous élégamment reliés ou restaurés », écrit-il.
Hill a souligné que la sélection à vendre comprenait des livres issus de 40 lieux d’impression juive s’étendant de l’Italie à l’Allemagne, les Balkans, Cracovie, Lublin, Anvers, Amsterdam, Bâle, Paris et l’Empire ottoman au 16e siècle.
La vente inclut des modèles d’imprimeurs humanistes non juifs tels que Bomberg, ainsi que des imprimeurs juifs dont les noms résonnent avec des événements importants de l’histoire juive : des expulsions, des livres brûlés, des persécutions, des émigrations d’un côté et des moments d’accomplissement technique, de créativité intellectuelle de l’autre : Eliezer Toledano à Lisbonne, des générations de Soncino en Italie et à l’Est, Ibn Nahmias à Constantinople, la Compagnie des tisserands à Bologne, Usque à Ferrare, Dona Reyna au palais du Belvédère près d’Orta Köy, Manasseh Ben Israël à Amsterdam et Israël Bak à Jérusalem. »
Parmi les points forts de l’enchère figurent des incunables, des livres imprimés sur du vélin, des livres imprimés sur du papier bleu et d’autres papiers de couleur, et unica (copies uniques, exceptionnellement complètes ou excessivement rares du début de l’Hebraica).
Le président de Kestenbaum & Company, Daniel Kestenbaum, a déclaré qu’il était honoré de gérer cette vente aux enchères et s’attendait à ce que la provenance de Valmadonna apporte un plus.
Comme Hill, Kestenbaum connaissait personnellement Lunzer et se souvenait de lui pour son caractère extraverti et son amour des livres en tant qu’objets physiques et témoignages d’histoire et de culture.
« Quand je vivais à Londres, il m’a montré des livres. Il était très soucieux. Je me souviens qu’il parlait de la Venise du 16ème siècle, du dîner à minuit », a déclaré Kestenbaum.
« Il était autodidacte. Il a non seulement hébergé la Valmadonna chez lui, mais il avait aussi une bibliothèque séparée dans une pièce où il conservait une énorme collection de lectures secondaires et de bibliographies », a-t-il dit.
Kestenbaum a souligné d’autres lots importants qui pourraient attirer l’attention des acheteurs institutionnels et privés. L’un est « Igereth Orchoth Olam » [L’Épître sur les chemins du monde] d’Abraham Farissol, imprimé à Venise par Giovanni di Gara en 1586-87 et estimé entre 50 000 et 70 000 dollars. C’est la première édition du premier ouvrage en hébreu contenant une description de l’Amérique.
Une première édition de « Sepher Mayan Ganim – Sepher Eilim – Mayan Chathum » de Joseph Solomon de Crète Delmedigo imprimée par Menasseh ben Israël à Amsterdam en 1628-1629 comprend des traités relatifs à la géométrie, l’algèbre, la chimie, l’astronomie, la physique, la médecine et la métaphysique, et est unique dans la littérature hébraïque avant la période moderne. Il est estimé entre 10 000 dollars et 15 000 dollars.
Une Haggadah de Pâque, commentée par le Rabbin Joseph de Padoue, imprimée à Venise par Giovanni di Gara en 1599, la première haggadah vénitienne illustrée, est estimée entre 10 000 et 15 000 dollars; et un Siddour ashkénaze complet imprimé à Mantoue par Venturino Roffi Nello pour Meir ben Ephraim et Yaakov ben Naphtali en 1558 devrait valoir entre 80 000 à 120 000 dollars.
Hill fut surpris de trouver, parmi les ouvrages vendus aux enchères, un livre imprimé à Prague en 1735 sur un papier bleu-vert extrêmement rare provenant de la bibliothèque du rabbin Jonathan Eybeschuetz, un rabbin vénéré soupçonné d’être un sabbatéen.
« Je ne peux pas imaginer comment l’INL pourrait s’en défaire sciemment. C’est comme avoir une copie de luxe d’un livre qui a été signé par Thomas Jefferson », a déclaré Hill.
Kestenbaum a déclaré qu’il n’était pas en mesure de dire pourquoi ce livre et les autres étaient mis aux enchères. Son rôle était simplement de représenter les expéditeurs.
Et qui sont-ils ?
« Un partenariat entre la Bibliothèque nationale d’Israël et David et Jemima Jeselsohn », a-t-il déclaré.
Voir le court-métrage réalisé par Sotheby sur la Valmadonna Trust Library :
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