Allemagne : La mémoire des victimes LGBT honorée lors des commémorations
La cérémonie de vendredi au Parlement à Berlin, où la persécution des homosexuels a été mise en exergue, constitue "un symbole important de reconnaissance" de leur souffrance

L’Allemagne a salué vendredi la mémoire des victimes LGBTQ des persécutions du régime nazi, encore contraintes après la guerre à « se cacher et à se renier », à l’occasion des commémorations de l’Holocauste.
Pour les personnes emprisonnées en raison de leur orientation sexuelle, la libération du camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau il y a 78 ans « n’a pas mis fin à la persécution par l’État », a rappelé la présidente du Bundestag, Bärbel Bas, en ouvrant une cérémonie au Parlement allemand.
« Les derniers survivants de ce groupe de victimes sont morts avant qu’on les entende » a-t-elle déploré.
Depuis le 27 janvier 1996, les députés allemands organisent chaque année à la chambre basse du Parlement une cérémonie à l’occasion de la Journée internationale des victimes de l’Holocauste, traditionnellement centrée sur la mémoire des six millions de Juifs exterminés par le régime d’Adolf Hitler.
Pour la première fois, la mémoire des victimes LGBT du nazisme était au cœur des commémorations.
D’autres événements sont organisés un peu partout dans le pays. À Francfort, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) Christine Lagarde a dévoilé une plaque en hommage aux 10 000 Juifs envoyés vers les camps de concentration après avoir été rassemblés dans l’ancien marché de gros de la ville, sur lequel repose l’actuel bâtiment de l’institution.

Vivre caché
Au Bundestag, Rozette Kats, une femme néerlandaise juive de 80 ans, survivante de la Shoah, a salué l’hommage des députés au sort longtemps resté « sous silence » de la communauté LGBTQ.
« J’ai aujourd’hui 80 ans et je n’ai pas oublié à quel point il est terrible de se renier et de se cacher », a-t-elle dit avec émotion.
Enfant, ses parents la confient à une famille adoptive qui la cache. Sa mère, son petit frère encore bébé et son père périssent à Auschwitz. Elle l’apprend seulement après la guerre et mettra des décennies avant de se confronter à un passé « dont elle ne veut rien savoir », raconte-t-elle.
Si les Juifs étaient la première cible de la Shoah, il s’agissait « d’une attaque contre l’humanité : contre les personnes LGBTQ, les Roms et les Sintis, les personnes souffrant de handicaps mentaux », souligne le directeur du mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, Dani Dayan.

Dans certaines villes allemandes, surtout à Berlin, la scène LGBT s’était épanouie pendant la République de Weimar dans les années 1920.
Le droit pénal interdisait bien depuis 1871 les rapports sexuels entre hommes, mais il avait été relativement peu appliqué.
Tout a changé à l’arrivée d’Hitler au pouvoir dans le sillage des élections de 1933.
Dès 1935, son régime durcit la loi, portant à dix ans de travaux forcés la peine encourue en cas de rapport sexuel entre hommes.
Quelque 57 000 hommes sont emprisonnés, et entre 6 000 et 10 000 sont envoyés dans des camps de concentration et contraints de porter des uniformes flanqués d’un insigne en forme de triangle rose désignant leur orientation sexuelle.
Entre 3 000 et 10 000 homosexuels périrent sous le nazisme, et beaucoup ont été castrés ou soumis à d’horribles expériences dites médicales, selon les estimations d’historiens.

Une question de « dignité »
Des milliers de lesbiennes, personnes transgenres ou prostitués, considérés comme « dégénérés », ont également été emprisonnés dans des camps.
Des acteurs ont lu vendredi l’histoire, parfois fragmentaire, de victimes, comme celle de Mary Pünjer, déclarée « asociale » et gazée par les nazis en 1942 à Ravensbrück.
Ou encore celle de Karl Gorath, survivant d’Auschwitz mais qui fut de nouveau condamné pour homosexualité après 1945, par le même juge que sous le nazisme.
« Cela a duré trop longtemps » avant que « la dignité » des homosexuels, lesbiennes et personnes transgenres « soit prise en compte », a regretté Klaus Schirdewahn, 75 ans, condamné lui en 1964 en raison de son orientation sexuelle.
En Allemagne de l’Ouest, le paragraphe 175 du code pénal criminalisant l’homosexualité sera rétabli dans sa version d’avant le nazisme en 1969, avant d’être entièrement aboli en 1994. Dans l’ex-RDA, il restera en vigueur jusqu’en 1968.
La réhabilitation des condamnés de la période nazie sera ensuite votée en 2002, dans l’Allemagne réunifiée.
Mais il faudra attendre mars 2017 pour que le gouvernement réhabilite aussi les quelque 50 000 personnes poursuivies après 1945, et leur accorde des indemnisations. La plupart étaient entretemps décédées.