Antisémitisme: L’envoyée d’Israël ignorait la présence d’extrémistes à une conférence controversée
Michal Cotler-Wunsh a noté que le ministre des Affaires de la diaspora ne lui avait pas dit qu'il invitait des politiciens européens d'extrême droite à la conférence de Jérusalem, boycottée par les groupes juifs mondiaux

JTA — Michal Cotler-Wunsh avait été nommée envoyée spéciale d’Israël dans la lutte contre l’antisémitisme quelques semaines avant le 7 octobre 2023 – et depuis elle a passé son temps à parcourir le monde, prenant part à toutes sortes de réunions consacrées à la recrudescence mondiale de la haine antijuive.
Mais dans un entretien récent, elle évoque une réunion plus proche de chez elle – une rencontre qui n’a jamais eu lieu.
Cotler-Wunsh indique à la Jewish Telegraphic Agency qu’Amichai Chikli, le ministre israélien des Affaires de la diaspora, qui est en charge de la lutte contre l’antisémitisme, ne l’a pas consultée avant d’inviter des hommes et des femmes politiques d’extrême-droite à Jérusalem, appelés à prendre la parole lors d’une prochaine conférence sur le sujet.
Les invitations, qui ont été lancées à des personnalités politiques françaises, néerlandaises et espagnoles d’extrême-droite, ont entraîné une série d’annulations – allant de responsables allemands à d’éminents dirigeants juifs américains et britanniques. Les principaux groupes juifs d’Europe se méfient depuis longtemps des partis d’extrême-droite en raison de leur héritage antisémite et Cotler-Wunsh laisse entendre que ces organisations auraient dû davantage participer à ce sommet.
« Le ministère de la Diaspora ne m’a pas consultée lors de la préparation de cette conférence, » dit-elle depuis New York dans une interview accordée jeudi.
« Et je pense qu’il est aussi surprenant de constater que, malheureusement, les organisations juives du monde entier n’ont pas été consultées », ajoute-t-elle. « J’ai envie de vous dire que très souvent, lorsque je prends la parole, en particulier devant les communautés juives, je dis : ‘Je suis l’envoyée spéciale d’Israël pour la lutte contre l’antisémitisme. Et comme Israël est l’État-nation du peuple juif, je suis votre envoyée spéciale dans le combat contre l’antisémitisme ».
Elle ajoute que « dans ce sens, l’absence de consultation des communautés juives est, pour moi, un très gros oubli ».
Cotler-Wunsh est la dernière d’une série de personnalités à avoir fait part de ses inquiétudes concernant la conférence. En plus de militants juifs et d’autres opposants à l’antisémitisme, la conférence accueillera des dirigeants appartenant à l’extrême-droite européenne, dont certains partis ont des antécédents antijuifs, qu’il s’agisse de leur rhétorique ou de leurs actions. Parmi eux, les Français Jordan Bardella et Marion Maréchal, l’Espagnol Hermann Tertsch ou le Néerlandais Sebastiaan Stöteler.
La liste des intervenants a déterminé un certain nombre d’autres invités à se tenir à l’écart – notamment le responsable allemand de l’antisémitisme, le philosophe juif français Bernard-Henri Levy, le grand rabbin britannique Ephraim Mirvis et le directeur-général de l’Anti-Defamation League (ADL), Jonathan Greenblatt.
Cotler-Wunsh garde ses distances, elle aussi. Elle sera présente lors d’un événement d’ouverture qui a été organisé à la résidence du président israélien Isaac Herzog, auquel les dirigeants d’extrême-droite n’ont pas été conviés. Elle ne sera pas dans le public de la principale conférence, où ces derniers seront dans la salle.

Chikli a rencontré de manière répétée des chefs de l’extrême-droite européenne et il a clairement indiqué qu’il les considérait comme des alliés dans la lutte contre l’influence des islamistes. Interrogé sur les sentiments ressentis par Cotler-Wunsh, un porte-parole du ministère israélien de la Diaspora a expliqué qu’ils étaient « erronés », disant que le bureau de Chikli entretenait des relations avec Cotler-Wunsh et qu’il l’avait invitée à animer une session lors de la conférence.
« Le ministère de la Diaspora entretient d’excellentes relations de travail avec la division chargée de la lutte contre l’antisémitisme au sein du ministère des Affaires étrangères, qui est notre canal de contact », a précisé le communiqué. « En ce qui concerne Michal, nous l’avons invitée à animer une discussion spéciale lors de la conférence, et dès que nous avons commencé à planifier et à élaborer son contenu, elle a refusé ».
Les invitations lancées par Chikli aux dirigeants d’extrême droite sont intervenues après que le gouvernement israélien a fait preuve d’une nouvelle ouverture à l’égard de l’extrême-droite européenne, revenant sur son boycott des partis en Suède, en France et en Espagne – mais pas en Allemagne ni en Autriche.
Le communiqué transmis par le ministère de la Diaspora a reconnu que les leaders de la communauté juive européenne critiquaient ces partis depuis longtemps – faisant toutefois remarquer qu’ils ne s’exprimaient pas au nom de tous les Juifs européens, dont certains gravitent autour de l’extrême-droite.
« Nous sommes en contact avec les dirigeants des communautés juives depuis qu’Amichai a pris sa fonction, il y a plus de deux ans, et ce même si nous sommes en désaccord sur certaines choses ou sur certaines questions (comme les relations avec les partis de droite en Europe) », a souligné le communiqué.
« D’ailleurs, en ce qui concerne la question des partis de droite en Europe, il n’y a pas que peu de Juifs qui soutiennent des partis de droite, même si d’éventuelles organisations officielles qui les chapeauteraient n’ont pas encore été créées », a poursuivi le communiqué.
Il a également fustigé « les responsables qui interpellent d’autres responsables à travers le monde et qui exercent d’intenses pressions à leur encontre – voire plus, avec un boycott de la conférence. C’est quelque chose d’à la fois inapproprié et illégitime ».

Depuis le tout début de son mandat, Michal Cotler-Wunsh présente une vision du monde qui s’aligne sur celle de grands groupes juifs américains de longue date, tels que l’ADL. Elle a effectué des recherches sur la liberté d’expression dans les campus universitaires et elle avait siégé, dans le passé, au parlement israélien, élue sous l’étiquette du parti Kakhol lavan. Elle est la cofondatrice du groupe de travail interparlementaire chargé de la lutte contre l’antisémitisme en ligne.
Elle défend avec ardeur la définition de l’antisémitisme qui a été mise au point par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA), comme c’est le cas également de la majorité des groupes juifs appartenant à l’establishment. Selon elle, le pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre et le pic d’antisémitisme qui a suivi sont tous les deux nés de la même haine fondamentale.
« Ce qui est clair, c’est que c’est le même antisémitisme qui a alimenté la terreur, le terrorisme génocidaire – celui qui est finalement passé à l’attaque, le 7 octobre, en brûlant, mutilant, massacrant et kidnappant – et qui alimente aujourd’hui la réponse apportée à ce massacre. Cet antisémitisme, en fait, s’aggrave depuis très longtemps », explique-t-elle.
Elle ajoute que, de son point de vue, les manifestations anti-israéliennes ont tiré profit de la protection qui est apportée aux libertés civiles pour créer un environnement fondamentalement antidémocratique. Elle parle d’un « détournement systématique » du droit international et des mécanismes de protection des droits de l’Homme.
« Les foules que nous avons pu voir dans le monde entier utilisent, en fait, des protections. Notamment, par exemple, la liberté d’expression qui est utilisée pour protéger les comportements de gens – ce qui est une sorte d’amalgame insondable entre la parole et l’action – qui empêchent des individus d’accéder à leurs cours, qui prennent d’assaut avec violence des bâtiments et qui blessent des êtres humains qui doivent se rendre à l’hôpital », dit-elle.
Lorsqu’elle avait pris ses fonctions, se souvient-elle, elle espérait être le fer de lance d’une stratégie nationale israélienne de lutte contre l’antisémitisme, à l’image des plans qui peuvent être élaborés dans d’autres pays. Mais ce type de travail a été relégué au second plan, car elle a consacré son énergie à gérer les conséquences du 7 octobre. Elle espère reprendre cet ouvrage dès qu’elle pourra le faire.
« L’objectif, en fait, était de créer les infrastructures qui nous permettraient d’élaborer ce que j’ai envie d’appeler une stratégie nationale de lutte contre l’antisémitisme, comme l’ont fait de nombreux autres pays et nombre de mes homologues », indique-t-elle. « Sauf que dans le cas d’Israël, l’État-nation du peuple juif, il s’agirait d’une stratégie internationale de lutte contre l’antisémitisme ».
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