Après le gel des armes américaines, Israël peut encore se battre à Rafah. Au Liban, c’est une autre histoire
Bloqué dans une longue guerre à Gaza, Israël a besoin d'un approvisionnement en armements stable de la part de l'administration Biden pour se préparer à un conflit contre le Hezbollah - un Hezbollah qui pourrait devenir plus agressif
Le 10 octobre, trois jours après le massacre commis par les terroristes du Hamas dans les kibboutzim et dans les villes du sud d’Israël, le président Joe Biden avait solennellement pris la parole depuis le pupitre installé dans la salle à manger de la Maison Blanche réservée aux chefs d’État en visite.
La vice-présidente Kamala Harris, à cette occasion, se tenait à sa droite, et le secrétaire d’État américain Antony Blinken à sa gauche, tous les deux en retrait.
« Nous devons le dire clairement », avait dit le président, considéré comme l’un des soutiens les plus fervents d’Israël à Washington. « Nous nous tenons aux côtés d’Israël ».
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« Nous nous tenons aux côtés d’Israël », avait-il répété.
« Et nous allons nous assurer qu’Israël dispose de tout ce dont le pays aura besoin pour protéger ses citoyens, pour se défendre et pour riposter à cette attaque », avait promis Biden.
Ce discours, qui avait été bien reçu, avait été l’occasion de lancer une mise en garde limpide à l’encontre du Hezbollah et de l’Iran : « A tous les pays, à toutes les organisations, à tous ceux qui pourraient réfléchir à profiter de cette situation, je n’ai que quelques mots à dire : Ne le faites pas ».
Sept mois plus tard, Bien a émis un avertissement similaire. Un « Ne le faites pas » qui, cette fois-ci, n’a pas été adressé à l’Iran ou à ses mandataires – mais au même Israël qu’il avait promis d’aider contre vents et marées au mois d’octobre.
Dans un entretien avec CNN, Biden a ainsi annoncé que son administration ne soutiendrait pas l’État juif et qu’il ne livrerait aucune arme offensive à ce dernier s’il devait lancer une opération dans les parties peuplées de Rafah, une ville du sud de la bande de Gaza, dans le cadre de sa guerre contre le Hamas.
« Je l’ai dit clairement à Bibi [le Premier ministre Benjamin Netanyahu] et au cabinet de guerre : les Israéliens n’auront pas notre soutien s’ils entrent dans ces centres de population », a déclaré Biden.
Ce n’est pas la première fois qu’un président américain bloque des transferts d’armes lors d’un conflit opposant Israël au Hamas. En 2014, pendant l’opération Bordure protectrice, l’administration de Barack Obama avait suspendu une livraison de missiles Hellfire.
Mais jamais Obama n’avait dit, devant une caméra, qu’il mettait en pause des livraisons d’armes destinées à l’un des alliés les plus proches des États-Unis en lutte contre l’une des organisations terroristes les plus dangereuses du monde.
Biden l’a fait et il l’a fait délibérément.
L’armée israélienne a tenté de minimiser l’importance de la décision prise par le président américain, annonçant qu’elle disposait de suffisamment de munitions pour mener à bien les missions prévues à Rafah.
Peut-être bien. Et peut-être qu’Israël pourra donc encore détruire les unités du Hamas qui se trouvent à Rafah, si le pays doit prendre une décision dans ce sens.
« L’armée pourrait devoir délaisser les armes de précision dans le sud », commente Blaise Misztal, le vice-président de la politique au sein du Jewish Institute for National Security of America. « C’est largement possible de le faire ».
L’utilisation de bombes de précision a déjà diminué de manière drastique à Gaza alors que les forces israéliennes s’appuient davantage sur l’artillerie de proximité, avec le soutien des drones, gagnant en confiance.
Mais, après cette initiative prise par Biden, l’option de Rafah devient bien plus périlleuse que ce qu’elle était il y a encore une semaine – et ce en raison de la menace d’une guerre ouverte contre le Hezbollah, une menace qui guette.
« Les leaders israéliens ne peuvent pas décider d’entrer à Rafah à moins qu’ils ne veuillent prendre un risque énorme sur le front libanais », estime Eran Ortal, un analyste militaire.
Les guerres d’abondance
Israël n’a pas construit son armée pour combattre sur de multiples fronts, dans des conflits qui durent longtemps, comme c’est le cas actuellement.
Au fil des deux dernières décennies, Israël s’est heurté de manière répétée à un adversaire inférieur, à travers le Hamas. Ces « guerres d’abondance » – comme les qualifiaient deux généraux de Tsahal, quelques semaines avant le 7 octobre – des guerres qui restaient relativement courtes, se menaient avant tout en s’appuyant sur la puissance aérienne et elles étaient étonnamment gourmandes en ressources, comptant sur un nombre très important de munitions de précision et de missiles intercepteurs.
Elles impliquaient des quantités considérables d’autres types d’armement également. Pendant l’Opération Bordure protectrice, en 2014, en 50 jours de combats, Tsahal avait utilisé environ 35 0000 obus d’artillerie et 14 500 obus de char.
Dans les 34 jours de la Seconde guerre du Liban, 200 000 obus avaient pris pour cible le Hezbollah, soit presque 6 000 par jour.
A l’issue de ces campagnes, Israël s’était immédiatement tourné vers les États-Unis pour réapprovisionner ses stocks en urgence, en particulier en ce qui concerne les missiles intercepteurs.
La dépendance de l’État juif aux livraisons américaines est finalement orchestrée par les États-Unis, explique Jonathan Conricus, qui est chercheur au sein de la Fondation pour la Défense de la démocratie.
« Les responsables, au Pentagone, surveillent de près les stocks israéliens », explique-t-il. « Ils ne permettent pas à Israël d’accumuler des stocks qui permettraient au pays d’avoir une totale liberté d’action dans la prise d’initiatives à grande échelle, des initiatives qui pourraient être prises en l’absence du consentement américain ».
L’une des solutions trouvées entre les deux pays était qu’Israël pouvait utiliser les munitions américaines déjà positionnées au sein de l’État juif, les Stocks de réserve de guerre pour les Alliés – Israël, ou WRSA-I. Le pays avait puisé dans ces stocks en 2006 et en 2014.
Mais au mois de janvier 2023, l’armée américaine a discrètement commencé à livrer 300 000 obus d’artillerie destinés aux WRSA-I à l’Ukraine.
Israël, de son côté, a pris des initiatives pour augmenter la production locale. Au mois de juillet 2023, l’armée a signé un contrat avec Elbit portant sur la production de 40 000 obus par an, soit 3 300 par mois. Et ce n’est, de toute évidence, pas suffisant.
Chaque bombe utilisée par Israël à Rafah est larguée au détriment de la capacité du pays à se battre contre le Hezbollah, au Liban, à l’avenir
Afin de pouvoir atteindre son objectif de destruction du Hamas, objectif qui avait été fixé le 7 octobre, Tsahal a dû utiliser les stocks mis de côté pour une guerre potentielle contre le Hezbollah, au Liban.
Chaque bombe utilisée par Israël à Rafah est larguée au détriment de la capacité du pays à se battre contre le Hezbollah, au Liban, à l’avenir.
Une guerre ouverte dans le nord – une guerre qui est susceptible d’éclater à n’importe quel instant – continuerait à peser incroyablement lourd sur les stocks israéliens. Un exercice qui, en 2021, avait été l’occasion, pour les soldats, de simuler un conflit avec le Hezbollah avait nécessité, de la part de l’armée de l’air, de frapper 3 000 cibles en un seul jour.
Les hostilités en cours entre Israël et le Hezbollah continuent aussi de se durcir. Ce qui avait commencé comme des échanges de tirs, à proximité de la frontière, s’est transformé en frappes israéliennes qui, régulièrement, prennent pour cible les profondeurs du Liban.
« Nous sommes à découvert dans notre approvisionnement en munitions en ce qui concerne une guerre au Liban », déclare Ortal. « Rien de ce dont nous disposons ne nous permet de combler ce manque ».
Chasse ouverte
Depuis le 7 octobre, Biden a fait de la nécessité d’empêcher le conflit de connaître une trop grande escalade dans le nord une priorité. Il a lancé des avertissements similaires à la mise en garde qu’il avait émise, le 10 octobre ; il a déployé des porte-avions et il a envoyé des émissaires pour tenter de trouver une issue diplomatique aux combats.
Mais avec sa décision sur Rafah, cette semaine, Biden n’a fait que rendre plus probable la situation qu’il s’était pourtant efforcé d’éviter à tout prix.
« C’est comme déclarer la chasse ouverte », déplore Michael Oren, ancien ambassadeur israélien à Washington. « Le Hezbollah sera probablement plus agressif ».
« Cela encourage nos ennemis et cela leur donne un faux sentiment de confiance », renchérit Cauricus, de son côté.
Si une guerre ouverte éclatait dans le nord et que Biden devait changer d’avis, il faudrait un temps précieux pour que les bombes, qui se trouvent aux États-Unis, soient mises à disposition des unités israéliennes.
De surcroît, la fin des frappes transfrontalières, dans le nord, dépend de la conclusion d’un accord cessez-le-feu contre otages à Gaza – quelque chose que l’arrêt des livraisons d’armes rend plus difficile.
« Pourquoi le Hamas relâcherait-il des otages maintenant ? », s’interroge Oren, qui maintient que le Hamas considère dorénavant une opération majeure à Rafah comme totalement improbable au vu de la résistance affichée par l’administration américaine.
Une opération à Rafah est devenue plus périlleuse, maintenant, pour Israël que pour le Hamas
Et plus le temps passe, plus le statut international d’Israël se détériore – c’est le cas également à Washington. Ce que le Hamas ne manquera pas de remarquer.
A ce stade, une opération à Rafah est devenue plus périlleuse pour Israël que pour le chef du Hamas, Yahya Sinwar, qui se cacherait à Rafah ou dans ses alentours.
« Biden a créé un Dôme de fer diplomatique pour le Hamas », plaisante Oren avec amertume.
Même si Israël entre à Rafah – comme Netanyahu continue de le promettre – la Maison Blanche se mettra à l’affût d’éventuelles erreurs de manière à prouver à l’État juif qu’elle ne s’était pas trompée. Un obus de char perdu pourrait transformer rapidement Rafah en prochain Qana, le village libanais où, en 1996 et en 2006, des frappes israéliennes avaient tué des dizaines de civils, amenant la communauté internationale à retirer son soutien à la campagne de l’armée israélienne et à exiger son arrêt.
La décision de Biden renforce la probabilité de voir encore s’accroître le nombre de victimes civiles, déclare Misztal.
« C’est contre-productif et il y a une certaine ironie là-dedans », ajoute-t-il. « Biden augmente le risque encouru par les civils en refusant à Israël des armes de précision ».
Non pas que le Hamas s’en préoccupe. La misère dans la bande, qu’il s’agisse de la faim ou de civils qui se retrouvent bloqués dans les tirs croisés, sert les intérêts du groupe terroriste. Plus les Gazaouis souffrent, plus la pression exercée sur Israël en faveur de l’arrêt de la guerre est forte. Un arrêt qui conserverait le Hamas intact et qui lui donnerait la victoire.
Biden a encore d’autres cartes à avancer si Israël devait entrer dans Rafah malgré les avertissements. Il pourrait décider de ne plus s’opposer à l’enquête ouverte par la Cour internationale de justice sur « le génocide » que commettrait Israël à Gaza ou il pourrait arrêter d’utiliser son droit de veto lors du vote de résolutions dangereuses devant le Conseil de sécurité des Nations unies.
Enfin, il risque d’être plus difficile, pour Biden, d’influencer les actions israéliennes après la mise en place d’une telle politique.
« A long-terme », prédit Conricus, « cela va déclencher un effet de chaîne qui aboutira à des actions militaires plus indépendantes, avec moins d’attention portée à l’avis des Américains. »
Mais cet avenir à long-terme s’annonce d’ores et déjà bien sombre si Israël n’est pas en mesure de terminer le combat dans lequel le pays est actuellement engagé sur plus d’un seul front.
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