Israël en guerre - Jour 59

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Analyse

Après les 40 jours de grève de la faim des prisonniers palestiniens, qui a gagné quoi ?

La grève des prisonniers n’a pas été un succès total pour le terroriste du Fatah emprisonné, Marwan Barghouthi. Et une seule de ses demandes a été acceptée, mais il est à présent un symbole national palestinien

Avi Issacharoff est notre spécialiste du Moyen Orient. Il remplit le même rôle pour Walla, premier portail d'infos en Israël. Il est régulièrement invité à la radio et à la télévision. Jusqu'en 2012, Avi était journaliste et commentateur des affaires arabes pour Haaretz. Il enseigne l'histoire palestinienne moderne à l'université de Tel Aviv et est le coauteur de la série Fauda. Né à Jérusalem , Avi est diplômé de l'université Ben Gourion et de l'université de Tel Aviv en étude du Moyen Orient. Parlant couramment l'arabe, il était le correspondant de la radio publique et a couvert le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et l'actualité des pays arabes entre 2003 et 2006. Il a réalisé et monté des courts-métrages documentaires sur le Moyen Orient. En 2002, il remporte le prix du "meilleur journaliste" de la radio israélienne pour sa couverture de la deuxième Intifada. En 2004, il coécrit avec Amos Harel "La septième guerre. Comment nous avons gagné et perdu la guerre avec les Palestiniens". En 2005, le livre remporte un prix de l'Institut d'études stratégiques pour la meilleure recherche sur les questions de sécurité en Israël. En 2008, Issacharoff et Harel ont publié leur deuxième livre, "34 Jours - L'histoire de la Deuxième Guerre du Liban", qui a remporté le même prix

Un homme avec une photo du terroriste palestinien condamné Marwan Barghouthi pour demander sa libération pendant une manifestation de soutien aux détenus en grève de la faim à Hébron, en Cisjordanie, le 17 avril 2017. (Crédit : Hazem Bader/AFP)
Un homme avec une photo du terroriste palestinien condamné Marwan Barghouthi pour demander sa libération pendant une manifestation de soutien aux détenus en grève de la faim à Hébron, en Cisjordanie, le 17 avril 2017. (Crédit : Hazem Bader/AFP)

Après 40 jours et 40 nuits de jeûne, la grève de la faim des prisonniers palestiniens s’est terminée juste avant l’aube samedi, juste avant le début du Ramadan, mois saint musulman. L’annonce a été accompagnée de proclamations passionnées de « grande victoire » des prisonniers et du meneur de la grève, Marwan Barghouthi, dans les médias palestiniens.

Alors qu’elles se disputent à présent les termes qui ont permis de mettre fin à la grève, toutes les parties impliquées, Barghouthi, le service des prisons d’Israël, et même l’Autorité palestinienne (AP), peuvent revendiquer des succès importants.

Le principal vainqueur est cependant Barghouthi, qui s’est à nouveau posé en favori de la population palestinienne et, à ses yeux, en successeur naturel du président de l’AP, Mahmoud Abbas.

Barghouthi, cadre politique du Hamas et terroriste qui purge cinq peines de prison à vie pour des meurtres de civils israéliens commis pendant la seconde Intifada, a été le point central de cette grève. Il l’a initiée, il a été celui qui a été filmé en train de manger une barre chocolatée par les autorités carcérales, et il en est sorti comme un symbole national palestinien.

Barghouthi a commencé la grève avec 1 150 de ses camarades du Fatah (environ un tiers de l’ensemble des prisonniers du Fatah, et un sixième des prisonniers sécuritaires), en avançant une longue liste de revendications auprès d’Israël : 20 chaînes de télévision, un accès sans restriction à des livres et des magazines, l’air conditionné, une plus grande sélection d’articles disponibles à l’achat dans les cantines, plus de visites familiales, la reprise des études universitaires ouvertes, l’utilisation de téléphone public, des visites médicales annuelles pour les prisonniers, et la fin de la mise à l’isolement punitif.

La grève s’est terminée avec la réalisation d’une seule de ces demandes, la reprise d’une seconde visite familiale mensuelle, une décision qui n’est même pas liée à Israël puisqu’elle a été arrêtée l’année dernière par le Comité international de la Croix Rouge, qui avait indiqué que les membres des familles ne venaient pas et qu’il n’avait pas le budget pour financer ce programme. Effectivement, il n’a été possible de reprendre ces visites que parce que l’AP a proposé de les financer.

Manifestation de soutien aux prisonniers palestiniens en grève de la faim, à Bethléem, en Cisjordanie, le 4 mai 2017. (Crédit : Flash90)
Manifestation de soutien aux prisonniers palestiniens en grève de la faim, à Bethléem, en Cisjordanie, le 4 mai 2017. (Crédit : Flash90)

En agissant ainsi, l’AP a donné à Barghouthi et aux autres prisonniers une justification pour arrêter la grève qui, après 40 jours, commençait à entrer dans une phase dangereuse, avec l’hospitalisation de 30 prisonniers.

Mais pour Barghouthi, la grève n’a jamais porté sur les conditions de détention.

Il a lancé la grève en partie à cause de son statut politique qui se détériorait au sein du Fatah. Après les dernières élections internes du Comité central du Fatah où il était arrivé en tête, ses collègues en dehors des prisons l’avaient oublié et s’était assuré qu’il n’obtenait pas de poste important, comme la vice-présidence.

Barghouthi a compris qu’Abbas et d’autres membres du Comité central tentaient de l’isoler de la population palestinienne et des partisans du Fatah. Pour contrer cela, il a eu l’idée de mener une grève de la faim pour protester contre les conditions de détention des prisonniers sécuritaires palestiniens, un sujet qui fait consensus parmi les Palestiniens.

Les prisonniers du Fatah en Israël n’avaient pas fait de grève de la faim depuis 13 ans, cette initiative a donc été soutenue et a fait les gros titres des médias palestiniens depuis son lancement, et a obtenu le soutien réticent des autres dirigeants du Fatah. L’autre groupe important de prisonniers, ceux du groupe terroriste du Hamas, qui n’a pas participé à la grève, a été forcé encore et encore de soutenir publiquement la « juste lutte » des prisonniers.

Barghouthi n’a pas accompli tous ses objectifs, et a affronté plusieurs échecs pendant la grève. D’abord, la grande majorité des 6 500 prisonniers, du Fatah et du Hamas, n’a pas rejoint la grève. Les luttes de pouvoir entre les groupes et les conflits internes au Fatah l’ont empêché d’être plus importante. Des sources proches de Barghouthi ont indiqué que ses rivaux ont utilisé les leaders des prisons pour convaincre les grévistes d’abandonner. Au final, 824 prisonniers sont allés au bout de la grève.

Des membres de groupes terroristes gazaouis devant un portrait de Marwan Barghouthi, pendant une conférence de presse à Gaza Ville en solidarité avec les prisonniers palestiniens en grève de la faim, le 18 mai 2017. (Crédit : Mohammed Abed/AFP)
Des membres de groupes terroristes gazaouis devant un portrait de Marwan Barghouthi, pendant une conférence de presse à Gaza Ville en solidarité avec les prisonniers palestiniens en grève de la faim, le 18 mai 2017. (Crédit : Mohammed Abed/AFP)

Ensuite, Barghouthi n’a eu qu’un succès limité dans la mobilisation de la population palestinienne. Même si des milliers de personnes ont participé aux manifestations, et qu’il y a eu quelques grèves de solidarité sporadiques et une hausse des affrontements avec les forces de sécurité israéliennes et palestiniennes, il n’y a pas eu de protestations massives qui ont balayé la Cisjordanie, en partie parce que les forces de sécurité de l’AP d’Abbas ont fait des efforts considérables pour empêcher des confrontations plus importantes avec les forces israéliennes. En conséquence, à la fin de ces 40 jours, la Cisjordanie est beaucoup plus tendue qu’avant.

Les médias palestiniens ont cependant chanté sans cesse les louanges de Barghouthi. Sa photographie a une fois encore été affichée dans chaque village, dans chaque ville et dans chaque camp de réfugiés. Son nom est de nouveau devenu familier, même à ceux qui sont nés après son emprisonnement pour son rôle de direction de la seconde Intifada palestinienne et ses cinq condamnations pour meurtre.

Pour beaucoup d’entres eux, et à la grande désolation de beaucoup en Israël, il est le Nelson Mandela palestinien et, de manière plus concrète, leur prochain dirigeant après Abbas.

Des manifestants palestiniens brandissent des portraits de Marwan Barghouthi devant la statue de Nelson Mandela pendant un rassemblement de soutien aux prisonniers en grève de la faim dans les prisons israéliennes, à Ramallah, en Cisjordanie, le 3 mai 2017. (Crédit : Abbas Momani/AFP)
Des manifestants palestiniens brandissent des portraits de Marwan Barghouthi devant la statue de Nelson Mandela pendant un rassemblement de soutien aux prisonniers en grève de la faim dans les prisons israéliennes, à Ramallah, en Cisjordanie, le 3 mai 2017. (Crédit : Abbas Momani/AFP)

Et en ce qui concerne le service des prisons d’Israël ? Il peut affirmer, à juste titre, qu’il n’a cédé à aucune des demandes des prisonniers. Il a connu un succès notable en empêchant la grève de devenir hors de contrôle et de devenir un mouvement massif. Les prisonniers en grève ont été transférés et placés à l’isolement ; des centres médicaux ont été installés dans les prisons pour traiter les problèmes de santé qui survenaient.

Il a cependant fait une ou deux gaffes importantes, la principale étant de placer une barre chocolatée « Tortit » dans la cellule de Barghouthi et de le filmer en train de la manger.

Barghouthi était à l’isolement quand Israël a publié cette vidéo, le faisant revenir au centre de l’attention. Voulant discréditer Barghouthi, le service des prisons l’a fait passer pour une victime, qui a obtenu plus de sympathie, particulièrement en Cisjordanie où sa réputation n’y a que gagné.

La seconde erreur a été de refuser de négocier avec Barghouthi. Craignant que cela ne renforce son image, les autorités n’ont pas pris de recul et ont fini par prolonger inutilement la grève de la faim.

Il faut souligner que le service des prisons dément toujours avoir négocié avec Barghouthi, même pendant ces derniers jours, et souligne que la seule concession obtenue par les Palestiniens, la visite familiale mensuelle supplémentaire, n’a pas été accordée par Israël mais par la Croix Rouge.

Cependant, certains au service des prisons ont décidé de transférer tous les leaders de la grève, dans la prison d’Ashkelon, afin qu’ils puissent se voir et faciliter la fin de la grève. Faire venir Barghouthi a été une reconnaissance de facto de l’importance que la grève avait prise, et du besoin d’y mettre fin le plus tôt possible.

Alors, Israël peut peut-être dire ‘nous n’avons pas négocié avec Barghouthi’, mais Israël l’a transféré à Ashkelon et, une fois là-bas, l’a laissé gérer les discussions sur la fin de la grève. Et il faut demander si cela n’aurait pas pu être fait plus tôt pour apaiser les tensions dans les prisons et en dehors.

Finalement, qu’en est-il de l’Autorité palestinienne, qui a accepté de payer le coût des visites familiales et ainsi tenté de montrer à la population palestinienne à quel point elle se préoccupe des prisonniers ? Le Hamas n’a pas soutenu la grève, et n’a ainsi gagné aucun avantage pour ses prisonniers, l’AP peut donc se satisfaire de cela.

En fait, l’AP a fait un effort sincère et concerté pour mettre rapidement fin à la grève. Et ceci, non seulement parce qu’elle se préoccupe du bien-être des prisonniers, mais surtout parce que l’AP et le Fatah ont compris que, avec chaque jour qui passait, les tensions en Cisjordanie continuaient à monter, presque autant que la réputation de Marwan Barghouthi.

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