Après les incendies dévastateurs, le KKL ne replantera pas d’arbres
Plus de 13 000 hectares de forêt ont brûlé en novembre dernier. Mais le KKL explique qu'il vaut mieux ne rien replanter, ce qui ne correspond pas à son propre discours tenu lors de son appel de fonds

Le 23 novembre 2016 était un jour comme les autres sur les collines de Jérusalem. Un vieil homme qui monte la garde à l’extérieur du village de Nataf voulait se préparer une tasse de thé, pour se réchauffer des températures matinales. Il se baissa pour ramasser quelques pierres près du Mémorial du judaïsme polonais dans la forêt du Fonds national juif (JNF). Il alluma un feu pour faire bouillir de l’eau.
N’importe quel autre jour, des braises envolées ou un feu mal éteint pourraient constituer au plus une nuisance, mais pas un désastre, dans cette forêt de pins qui couvre les collines de Jérusalem. Le pire qui puisse arriver, c’est que quelques flammes se développent, puis s’éteignent, explique Chanoch Zoref, responsable des forêts pour le Fonds National juif (en hébreu, Keren Kayemeth Leisrael, KKL) dans la région des collines de Judée.
Mais le 23 novembre, ce petit feu censé réchauffer la théière a dégénéré. Exactement comme des centaines d’autres feux dans le pays au même moment. Certains ayant été déclenchés intentionnellement, comme le soupçonnent certains, d’autres étant accidentels.
Les gardes-forestiers, pris de panique, ont contacté les autorités. Mais les flammes dévalaient déjà le flanc de la montagne en direction du wadi (lit de rivière, en arabe) situé en dessous, et vers l’ouest, progressant ainsi de 4 kilomètres durant la seule première heure.
« Pour qu’un petit feu devienne un incendie, il faut que des conditions météorologiques parfaites soient réunies », a expliqué Zoref, en contemplant la vallée carbonisée aux abords de Jérusalem.
Alors que le pays commence à se remettre de la vague d’incendies qui a embrasé plus de 13 000 hectares de forêts et de terrains en novembre, des experts de l’environnement de tous bords s’accordent pour dire que la meilleure façon de restaurer ces forêts calcinées, c’est de ne rien faire.
Et en dépit de la levée de fonds de 6 millions de dollars provenant des juifs de la Diaspora, auxquels on a asséné mille fois le slogan: « Reconstruire, replanter, restaurer », le KKL/JNF ne s’empresse pas de replanter des arbustes dans la terre brûlée.
« D’un point de vue écologique, ces feux ne sont pas un désastre », a analysé le docteur Ofri Gabay, écologiste à la Society for Protection of Nature in Israel pour le Times of Israel. « La nature peut les gérer sans que l’homme n’intervienne. »
Zoref explique que l’obsession de la plantation d’arbres rappelle la vision datée du « sionisme du Fonds national juif », qui n’est plus d’actualité. Avant même ces feux, sur les 20 000 hectares gérés par le JNF/KKL, moins de 5 hectares d’arbres ont été plantés au cours des dix dernières années.
« Le KKL ne plante plus vraiment d’arbres », a déclaré Zoref, qui a souligné que les choses s’étaient passées de la même manière après l’incendie du Carmel en 2010. « Ce n’est pas nouveau, mais les gens n’écoutent pas. »
Deux jours plus tard, le 25 novembre, un adolescent d’un village arabe à l’extérieur de Jérusalem lancait un cocktail Molotov dans le wadi, parallèle à l’endroit où le feu du garde avait dégénéré, près du village de Nataf. « Ça fait 25-30 ans qu’ils jettent des cocktails Molotov dans ces wadi, et [d’habitude] rien ne se passe », déplore Zoref.
Et, à nouveau, le wadi a été la proie des flammes propulsées par des vents secs de 50 km/h.
« Il y a eu 2 652 départs de feux entre le 19 et le 28 novembre, depuis les grands incendies jusqu’aux poubelles enflammées. Pour la même période en 2015, les sapeurs-pompiers d’Israël ont géré 721 incendies. »
En novembre, le mois le plus sec depuis le début des enregistrements en 1920 selon les Autorités de l’eau, Israël a subi une semaine de vents de l’est extrêmement secs. Ces vents forts et secs constituent un phénomène climatique inhabituel jamais observé au cours du siècle dernier, explique Zoref qui pointe le réchauffement climatique.
Selon le porte-parole des sapeurs-pompiers d’Israël, Yoram Levy, il y a eu 2 652 départs de feux entre le 19 et le 28 novembre, depuis les grands incendies jusqu’aux poubelles enflammées. Pour la même période en 2015, les sapeurs-pompiers d’Israël ont géré 721 incendies.
Levy a expliqué qu’il y a eu 39 incendies importants qui ont nécessité l’intervention de plus de 10 équipes de pompiers. Les feux étaient à la fois imputés aux pyromanes, comme celui causé par le cocktail Molotov, et à la négligence, comme celui issu du feu du garde.
Levy a ajouté que l’enquête est toujours en cours, mais que l’on sait que 50 des 2 652 feux sont des incendies criminels, spécifiquement les feux de Cisjordanie, à proximité des implantations juives, dans les régions à l’extérieur de la Cisjordanie, près de Jérusalem et en Galilée. Le feu le plus dévastateur, qui a touché Haïfa, ne semble pas avoir été déclenché volontairement.
La police avait déjà annoncé que 29 des 40 grands incendies étaient des attaques terroristes, perpétrées pour des motifs nationalistes.
Le porte-parole de la police Micky Rosenfeld a indiqué que la police a arrêté 49 personnes suspectées d’actes de pyromanie. Dix d’entre elles ont été inculpées. La police n’a accusé personne d’incitation à la pyromanie sur les réseaux sociaux. Rosenfeld a ajouté qu’une enquête de police est toujours en cours et que d’autres arrestations pourraient avoir lieu dans les semaines qui arrivent, si les caméras de vidéosurveillance des sites incendiés révèlaient de nouvelles informations.
Face aux flammes
Les flammes auront détruit 500 logements, blessé 133 personnes, dont une sérieusement, principalement dans la région de Haïfa, la plus touchée. Les feux ont brûlé 13 000 hectares de forêts et de broussailles. À titre de comparaison, les dégâts ont touché 30 % de terrain de plus que lors de l’incendie du Carmel en 2010. Les plus gros dégâts ont eu lieu dans la région de Haïfa, dans le parc national des collines de Judée et dans la réserve naturelle de Kfir.
Dans le parc national des collines de Judée, le feu a brûlé plus de la moitié de 2 300 hectares du patrimoine de conservation des terres du JNF/KKL. Les flammes ont entouré Nataf, menaçant d’engloutir ce village idyllique qui héberge tout juste 378 personnes sur ses trois flancs.

Les wadis sont des vallées pentues qui traversent la montagnes rocailleuse de Jérusalem. Les feux aiment les wadis, parce qu’ils sont plats, sans reliefs à escalader, et constituent une surface importante de terrain.
À Nataf, entourés de wadis, les flammes ont atteint entre 30 et 40 mètres de hauteur. Alors qu’il regardait les flammes embraser la montagne le 23 novembre, Zoref se tenait dans la zone dans laquelle le garde avait voulu faire bouillir son eau, avec son taklie-walkie, reflechissant de la meilleure marche à suivre. « J’avais vraiment peur. J’avais peur pour mes « employés » », a-t-il déclaré deux semaines plus tard, en regardant la ligne de démarcation entre les zones brûlées et les zones intactes. C’est sur cette ligne que ses hommes se sont tenus en chaîne humaine, et ont dirigé leurs extincteurs sur l’incendie. « Il faut penser sans cesse : quel est le meilleur moyen de lutter contre le feu sans mettre en danger ses hommes ? Il faut tout voir, tout comprendre, penser à tout, et savoir où positionner les gens».
À travers le pays, environ 2 000 pompiers ont été mobilisés en novembre, et ils étaient nombreux à enchaîner les services de 24 heures, aux côtés des 450 soldats du Commandement de la Défense passive et de dizaines de pompiers venus de l’étranger.

À l’extérieur de Nataf, Zoref a placé ses hommes du JNF/KKL entraînés à lutter contre les feux de forêts, perpendiculairement au wadi depuis le sommet d’une colline appelée la montagne du vent.
« Nous avons combattu le feu par l’arrière, parce qu’il avançait tellement vite qu’on ne pouvait pas le contrôler par l’avant », a expliqué Zoref. « Nous devions l’empêcher d’atteindre la Route 1. Nous avons maîtrisé le feu à 100 mètres de la station d’essence de Shaar Hagay. »
Selon Zoref, la police a gardé le faiseur de thé en détention pendant deux jours, mais a conclu qu’il s’agissait d’un accident et l’a relâché.
Le cocktail Molotov, lui, est arrivé vendredi soir, soit deux jours plus tard, vers la fin de la vague d’incendies. Cela signifie qu’on disposait déjà de davantage de ressources, bien qu’à la tombée de la nuit, les avions bombardiers d’eau n’étaient plus d’aucune utilité.
57 camions de pompiers se sont rués vers Nataf, un village de moins de 100 maisons. Certaines maisons se sont retrouvées entourées de 7 camions pour tenter d’éloigner les flammes.
Bien que plus de 13 000 hectares de terres ont brûlé dans la région autour de Nataf, seule une maison et un restaurant, Rama’s Kitchen, ont été détruites. Deux autres maisons ont été endommagées.

« Les gens ont été très efficaces, ils travaillaient rapidement, et personne n’a eu une seule égratignure », a fait remarqué Zoref.
L’incendie du Carmel en 2010 qui a tué 44 personnes reste toujours l’incendie le plus meurtrier d’Israel. Mais Zoref précise que la vague d’incendies de novembre a sollicité les services de pompiers très différemment. « Le feu était bien plus dangereux, du point de vue des pompiers. Les vents étaient bien plus forts que lors de l’incendie du Carmel ».
Renouveau
Deux semaines après que les derniers feux se sont éteints, et après la première grosse tempête hivernale, de nouvelles pousses de gazon font leur apparition au travers de la terre noircie. C’est la première étape de convalescence de la terre.
Les feux ne consument pas de manière uniforme. Certaines zones sont donc calcinées et brûlées en profondeur, d’autres sont simplement noircies en surface. À un certain endroit, si l’on mâche du caroube d’un arbre brûlé, on détecte un léger goût de brûlé, mais les grains eux-mêmes restent intacts.
Durant l’incendie, le Fonds national juif a lancé des appels de fonds, exhortant les gens à donner à son fonds d’urgence nommé « Reconstruire, replanter, restaurer ».
Les juifs américains ont répondu présents, et avec plus de 10 000 donateurs, le fonds a récolté 6 millions de dollars la première semaine de décembre. Environ 2 millions ont été donnés sur internet, de la part de donateurs individuels, un quart d’entre eux figurant déjà dans la base de données des donateurs du JNF, selon le président du Fonds, Russell F. Robinson.
De nombreux experts de l’environnement ont critiqué l’appel du Fonds national juif, et ont évoqué le danger que présentait la replantation immédiate dans les terres brûlées.

En 2014, après les études de l’incendie du Carmel, le JNF/KKL a publié « Forest Management Policy of Israel », de nouvelles directives pour les interventions forestières et l’entretien, qui a vu d’un mauvais œil la plantation injustifiée caractéristique du travail du JNF/KKL dans la première moitié du siècle, en Israël.
« La science forestière, c’est comprendre que la plantation active d’arbres n’est pas nécessairement une bonne chose », a analysé Zoref. « Maintenant, nous en faisons beaucoup moins. Je ne dis pas que nous ne faisons rien. Mais il y a un juste milieu. »
Le JNF/KKL étudie également la façon dont de futurs feux de forêts peuvent être évités, notamment via un programme de feux dirigés, une méthode employée au États-Unis. « C’est un outil dangereux mais efficace », a expliqué Zoref.
D’autres méthodes existent, telles que les coupes claires, qui consistent à supprimer des arbres pour créer des zones sans arbre qui laissent aux pompiers de la place pour ralentir efficacement la propagation d’un feu, ou encore le pâturage pour bétail, pour enlever les sous-bois inflammables.
Mais en ce qui concerne les collines noircies de Jérusalem, ces plans ne sont pas d’actualité.
« La première année, nous ne faisons rien. Tout ce que l’on pourrait faire ne serait que préjudiciable, parce que le sol est propice à la dégradation », a expliqué Zoref. Les experts ont également averti que personne ne devrait marcher sur les zones brûlées, parce que cela pourrait perturber les nouvelles pousses fragiles.
La guérison
Mais Zoref a souligné que les feux, en dépit de leur aspect destructeur, sont également un outil biologique important qui aide l’écosystème à « redémarrer », en donnant à des plantes qui étaient peut-être saturées, une nouvelle chance. Le feu est donc un outil important à la fois pour lutter contre les futurs feux, mais également pour garantir la biodiversité.
Cependant, il faut que les feux soient espacés d’au moins 30 ou 40 ans. Autrement, la terre n’a pas le temps de se régénérer. Certains dégâts dans la région du Carmel peuvent s’expliquer par le fait que la zone est touchée par des feux tous les 5 ans, voire moins.

Après un incendie, les bourgeons, tels que les narcisses ou les jonquilles pourront fleurir sans être perturbés par des plants anciens qui les dominent. « Les plus belles fleurs sont celles des terres vidées après un feu », selon Zoref.
L’enquête et la planification qui permettront de déterminer si des interventions peuvent être mises en place, ne commenceront pas avant trois ans, pour laisser à la terre une chance de guérir seule, anticipe Zoref.
« Si nous plantons des arbres, ce sera à une petite échelle, et seulement d’ici 4 ou 5 ans. Pour l’instant, nous préférons nous reposer sur le processus naturel. Pourquoi intervenir si la nature peut se débrouiller seule ? »
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