Au mépris de ses principes, Israël s’appuie sur les réservistes pour mener une guerre sans fin
Dès sa création, Israël misait sur des combats de courte durée ; or le gouvernement étend le conflit à Gaza et au nord et laisse les Haredim échapper à la conscription

Les guerres doivent être rapides.
Tel était le principe fondateur sur lequel les architectes de l’État d’Israël ont élaboré le modèle militaire du jeune pays.
Confronté à un déséquilibre démographique important et impossible à inverser, face à ses adversaires arabes, Israël ne pouvait espérer l’emporter contre leurs coalitions qu’en mobilisant l’ensemble de sa société. Les réservistes, qui constituaient l’essentiel des effectifs de Tsahal, étaient indispensables à toute opération offensive. Ils devaient pouvoir quitter entreprises, écoles et familles pour vaincre rapidement les armées ennemies, puis regagner leurs foyers et relancer l’économie aussi rapidement que possible.
Il était largement admis que des conflits prolongés entraîneraient des pertes humaines plus lourdes, affaibliraient l’économie, désorganiseraient la vie familiale, ouvriraient la porte à des ingérences étrangères dans la conduite de la guerre, et alimenteraient une hostilité croissante à l’international contre l’État juif.
Pour éviter une guerre prolongée, Israël a misé sur une force terrestre hautement mobile, capable de vaincre rapidement les armées arabes. Cette approche a fait ses preuves : prise du Sinaï en une semaine en 1956 ; du Sinaï, de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du Golan en six jours en 1967 ; et, en 1973, reprise rapide après une attaque surprise jusqu’à encercler l’armée égyptienne et menacer Damas en moins de trois semaines.
Ce modèle s’est cependant effrité dans les années 1980 et 1990, avec l’occupation du sud du Liban, puis la lutte contre le terrorisme en Cisjordanie. Même si ces opérations, longues par nature, s’inscrivaient dans une logique différente de la guerre conventionnelle, les convocations de réservistes restaient ponctuelles et limitées sur le terrain.

Tsahal avait également décidé de moins compter sur ses forces terrestres pour remporter ses victoires et de concentrer ses efforts et ses ressources sur les services de renseignement et de l’armée de l’air. Les unités d’infanterie et de blindés de réserve étaient considérées comme un gaspillage inutile de ressources limitées. Les entraînements étaient rares et les formations ont accumulé de la poussière.
Tout cela a changé, bien sûr, après le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023. Israël s’est soudain trouvé dans le besoin urgent de troupes au sol. Environ 300 000 réservistes ont été mobilisés à Gaza et à la frontière nord. Beaucoup se sont présentés spontanément dans leurs bases et ont servi avec enthousiasme au cours des premiers mois. Les unités d’infanterie et de blindés ont été réactivées et envoyées au combat.
Mais, il n’y a pas eu de victoire rapide. Non pas que le Hamas ait mis en place une défense particulièrement sophistiquée, mais Israël ne semblait pas particulièrement pressé. Trois semaines ont été nécessaires pour lancer l’incursion terrestre à Gaza. Puis, fin novembre, une trêve visant à libérer des otages a interrompu les opérations pendant une semaine.

Même sans cette pause, Israël a avancé lentement. Faute de renseignements suffisants sur le Hamas et la bande de Gaza, et peu confiant dans la capacité de ses forces terrestres, Tsahal a préféré progresser avec précaution. Une puissance de feu massive a été mobilisée pour protéger ses troupes, qui n’avançaient qu’au rythme où les bulldozers pouvaient dégager les routes.
En outre, Israël n’a pas mené d’attaques simultanées sur plusieurs fronts, contrairement à ce que prévoit sa doctrine militaire. L’armée a d’abord concentré ses efforts sur la ville de Gaza, puis sur Khan Younès en décembre. Ce n’est qu’en mai, sous la menace de pressions américaines, que l’opération à Rafah a débuté.
Malgré les promesses du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui affirmait que la victoire n’était plus qu’à « un pas », celle-ci s’est révélée insaisissable. Des réservistes ont été démobilisés, puis rappelés quelques semaines plus tard. Les otages, eux, sont toujours dans les tunnels, et le Hamas, affaibli, mais toujours actif, continue le combat.

Alors que des dizaines de milliers de réservistes combattaient à Gaza, un nombre similaire était déployé à la frontière nord, confronté aux tirs du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, soutenu par l’Iran, sur les villes israéliennes depuis près d’un an.
Un changement radical s’est produit en septembre dernier. Quelques semaines après une attaque à la roquette qui a tué 12 enfants et adolescents sur le plateau du Golan, et sous la pression politique croissante de trouver un moyen de permettre aux résidents du nord d’Israël de rentrer chez eux, Netanyahu a décidé d’aller de l’avant avec une opération audacieuse consistant à faire exploser des milliers de bipeurs et de talkies-walkies du Hezbollah. Des frappes aériennes ont suivi, éliminant le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, son remplaçant et d’autres hauts responsables militaires.
Enfin, début octobre, les forces terrestres – dont de nombreuses unités de réserve – ont pénétré dans le sud du Liban. L’opération s’est terminée par l’acceptation d’un cessez-le-feu par le Hezbollah, qui équivalait à une capitulation du groupe chiite.

La victoire israélienne au Liban a ouvert la voie à la chute du régime de Bashar el-Assad en Syrie. Des troupes de Tsahal se sont installées dans une zone tampon à l’intérieur du territoire syrien, qu’elles continuent de contrôler.
Une guerre sans fin en vue
Malgré les gains obtenus dans le nord, la guerre se poursuit, tant au Liban qu’à Gaza.
Pour accroître la pression sur le Hamas et tenter d’arracher un nouvel accord de libération d’otages, Israël a lancé en mars une nouvelle campagne terrestre d’envergure. Mais le Hamas n’a pas fléchi.
Le week-end dernier, Tsahal a indiqué qu’elle allait rappeler plusieurs dizaines de milliers de réservistes pour intensifier ses opérations contre le groupe terroriste. Dimanche, le cabinet de sécurité a approuvé les plans de conquête et de contrôle de l’ensemble de la bande de Gaza.
Certaines unités de réserve en sont déjà à leur sixième, voire septième période de réserve.
Et Israël ne montre aucun signe de désengagement sur d’autres fronts – bien au contraire.
Le Hezbollah, affaibli, ne semble pas vouloir reprendre les combats à court terme, et le nouveau gouvernement syrien n’a ni la volonté ni les moyens d’affronter Israël. Pourtant, les troupes israéliennes restent stationnées au Liban, et les frappes aériennes en territoire libanais se poursuivent.
En Syrie, Jérusalem affiche clairement une posture offensive. Israël a prévenu le nouveau gouvernement qu’il ouvrirait le feu si des troupes nationales se déployaient au sud de Damas. Il s’est également positionné en défenseur de la minorité druze, menant des frappes de représailles chaque fois que des civils druzes sont pris pour cible par les forces du président par intérim Ahmed al-Sharaa.

Comme on pouvait s’y attendre, cet engagement ne cesse de s’étendre. Israël aurait commencé à faire parvenir directement de l’aide à des communautés situées au cœur du territoire syrien, des généraux de Tsahal ont rencontré des chefs druzes sur place, et des dignitaires religieux syriens ont été accueillis en Israël.
Israël cherche clairement à convaincre ses alliés occidentaux de ne pas reconnaître le nouveau pouvoir syrien ni d’alléger les sanctions. L’objectif : maintenir un gouvernement central affaibli, permettre une autonomie druze de facto – voire de jure – près de la frontière du Golan, et conserver sa liberté d’action contre les menaces émergentes.
Des réservistes épuisés, et des haredim toujours absents
Tsahal semble parfaitement consciente du problème. Le chef d’état-major, le général Eyal Zamir, aurait averti les responsables politiques que l’armée ne dispose pas des effectifs nécessaires pour atteindre tous les objectifs fixés par le gouvernement, et que les réservistes sont à bout.

La baisse du nombre de réservistes répondant à l’appel n’est un secret pour personne. Les groupes WhatsApp sont saturés de messages d’unités en quête de renforts, y compris pour des missions ponctuelles. Une brigade de parachutistes de réserve compte ainsi quelque 200 soldats manquants. Plus les effectifs sont réduits, plus chaque déploiement devient éprouvant pour ceux qui se présentent – ce qui finit par les épuiser davantage.
Pour autant, cela ne signifie pas que la stratégie actuelle – adopter une posture offensive dans le nord et relancer des opérations de grande ampleur à Gaza – soit une erreur. Les ennemis d’Israël, au Liban comme en Syrie, sont démoralisés et désorganisés, et Jérusalem fait tout pour remodeler durablement la situation sécuritaire dans le nord et garantir la sécurité à long terme des communautés frontalières.
Depuis plusieurs mois, Israël tente de convaincre le Hamas de libérer davantage d’otages vivants, sans pour autant permettre au groupe terroriste de se maintenir en tant qu’autorité structurée à Gaza. Mais le Hamas refuse catégoriquement. Une opération militaire de grande ampleur pourrait être la seule manière de l’amener à relâcher la majorité des otages encore détenus.

Et malgré cela, le gouvernement refuse de prendre la décision la plus évidente. Un large réservoir de main-d’œuvre reste inemployé : celui des Haredim, toujours exemptés de service militaire.
Selon les derniers chiffres de Tsahal, seuls 232 des 18 915 Haredim ayant reçu un ordre de conscription lors du cycle actuel ont effectivement rejoint l’armée. Depuis l’été dernier, un peu plus de 1 800 Haredim se sont enrôlés, bien en deçà de l’objectif de 4 800 fixé par Tsahal.
Non seulement la plupart échappent encore au service, mais des factions ultra-orthodoxes proches des partis gouvernementaux ont mis en place des lignes téléphoniques d’urgence pour aider les jeunes hommes à se soustraire à leurs obligations. Ni la police ni la procureure générale n’ont, jusqu’à présent, pris de mesures efficaces contre ces réseaux.
Les réservistes continueront à répondre à l’appel, pour Gaza et ailleurs. Mais beaucoup ont compris que le système est à bout de souffle. À terme, le patriotisme et l’esprit de camaraderie ne suffiront plus à compenser l’injustice ressentie face à un effort de guerre inégalement réparti – au profit d’un gouvernement qui s’accroche au pouvoir.
Des élections sont prévues en 2026, voire plus tôt. Peut-être que les combats auront cessé d’ici là. Mais si la guerre devait se prolonger, les exemptions accordées aux Haredim – jusqu’ici peu influentes électoralement – pourraient devenir un facteur déterminant. Car des centaines de milliers de réservistes en ont assez. Et leur colère pourrait bien redessiner le paysage politique israélien.
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