Au Moyen-Orient, la fureur de vivre artistique d’une jeunesse oubliée
Dans le 1er volet d'une série consacrée aux aspirations des jeunes dans cette région, l'AFP s'est entretenue avec des artistes au Liban, en Syrie, à Gaza, en Israël et en Irak
De Beyrouth, où un étudiant dénonce les échecs de son gouvernement à travers la peinture, à Gaza où une enseignante palestinienne tente de s’évader de son quotidien par la musique, de nombreux jeunes au Moyen-Orient choisissent de s’exprimer à travers l’art.
Dans le premier volet d’une série consacrée aux aspirations des jeunes dans cette région instable – où près d’un tiers de la population a moins de trente ans –, l’AFP s’est entretenue avec des artistes au Liban, en Syrie, dans la bande de Gaza, en Israël et en Irak, où ils sont confrontés à de nombreuses difficultés, un avenir incertain et de nombreux défis.
« Colère »
Étudiant aux Beaux-Arts à Beyrouth, Merhi va bientôt finir ses études alors que son pays traverse la pire crise économique de son histoire, avec un taux de chômage d’environ 30 %, une monnaie locale en chute libre et de constantes coupures d’électricité.
« La vie est dure (…) la plupart des jeunes pensent à partir, mais moi je compte rester », confie cet artiste de 21 ans.
Il jette de la peinture sur d’immenses toiles murales. L’une représente une montagne d’ordures, symbolisant l’échec des autorités à traiter les déchets. Ou encore le navire dont la cargaison de nitrate d’ammonium a déclenché l’explosion dévastatrice dans le port de Beyrouth en août 2020.
« Au lieu de vivre nos vies, nous passons notre temps à la recherche de produits de base nécessaires pour vivre », lance le jeune homme aux lunettes tâchées de peinture.
« On libère la colère qui est en nous à travers la peinture », dit-il.
« Exploit »
« Franchement, je ne peux décrire la réalité à l’extérieur de mon studio », lance l’artiste syrienne Dana Salameh dans son atelier en périphérie de Damas, en référence aux ravages causés par plus de onze ans de conflit en Syrie.
« J’essaie de prendre mes distances avec ça. Je ne sais pas pourquoi, peut-être que je fuis ou que je m’évade » comme ça avec la peinture, dit la jeune femme de 23 ans. Mais « le simple fait de vivre ici reste un exploit ».
« Quand j’ai eu mon diplôme, je pensais que j’allais voyager. Mais ensuite, j’ai compris qu’il y avait beaucoup de belles choses que j’aimerais faire ici », dit-elle.
« Echappatoire »
A Gaza, la Palestinienne Jawaher al-Aqraa chante dans une école de musique tandis que des musiciens l’accompagnent à la guitare, au violon ou au oud.
« Nous vivons dans une société conservatrice » qui juge « honteux » le fait qu’une femme chante ou joue de la musique en public, déplore cette femme de 25 ans, également professeure d’anglais.
Sous contrôle du groupe terroriste du Hamas, la bande de Gaza, où vivent 2,3 millions de Palestiniens, est soumise depuis quinze ans à un blocus israélien et égyptien. Ce territoire, où le chômage touche 74 % des jeunes diplômés selon des chiffres palestiniens, a en outre connu quatre guerres depuis 2008.
La musique constitue un « échappatoire », explique Jawaher.
« Je ne veux pas me servir de la situation à Gaza comme prétexte à un éventuel échec (…) Je souhaite au contraire mettre à profit les difficultés pour être plus forte », dit-elle.
« Espoir »
L’Irakienne Qamar al-Ani, 21 ans, s’échappe de son quotidien avec son santour, un instrument à cordes oriental, loin de la crise politique à Bagdad qui a conduit à des affrontements meurtriers en août dernier.
« Nous avons toujours peur de l’avenir », reconnaît la musicienne.
L’Irak est miné par la corruption, des infrastructures défaillantes et des services publics en déliquescence. Le pays est aussi confronté à des pénuries d’eau alors que la sécheresse ravage de nombreuses régions.
Malgré la richesse pétrolière du pays, de nombreux Irakiens vivent dans la pauvreté et près de 35 % des jeunes sont au chômage, selon l’ONU.
Qamar refuse cependant d’être pessimiste. « Je pense que nous vivons mieux aujourd’hui qu’il y a dix ans (…) Nous gardons espoir ».
« Compter chaque shekel »
Dans un café de Jérusalem, l’artiste israélienne Shavit Vital réalise des modèles de tatouage sur une tablette.
Le conflit israélo-palestinien « est quelque chose qui définit très bien Israël », déclare cette femme de 22 ans.
Shavit explique faire des études pour devenir tatoueuse, mais sa « famille est religieuse et ne l’accepte pas ».
Alors que le coût de la vie et l’inégalité des revenus augmentent dans son pays, elle dit qu’elle « ne cherche pas à devenir riche » mais que dans cinq ans, elle ne veut pas « avoir à compter chaque shekel et avoir du mal à joindre les deux bouts ».