Australie : Les Juifs redoublent d’activisme pro-Israël face à une nouvelle organisation anti-sioniste
Depuis le 7 octobre, la communauté juive est saisie par le peu de soutien populaire, qu'elle compense par une action au niveau local et institutionnel pour aider l'État juif
MELBOURNE, Australie – Simonne Whine n’est allée en Israël qu’une fois, il y a de cela plus de 15 ans. Pourtant, depuis les atrocités du Hamas du 7 octobre, elle s’est sentie obligée de venir en aide à l’État juif. Avec son amie Jacqui Majzner, elle a donc créé un groupe Facebook baptisé J-United.
« Après le 7 octobre, les gens ont eu besoin de se réunir, de faire des choses, d’agir », explique Whine. « Le 15 octobre, on a créé le groupe, fait venir nos amis. Nous n’arrêtions pas d’en ajouter et de demander aux autres d’en ajouter. »
Le groupe n’était pas formellement adossé à la communauté et ne bénéficiait d’aucune aide, mais il y régnait une incroyable bonne volonté, sans compter les milliers de personnes en Australie – juives ou non – désireuses de soutenir publiquement Israël.
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Forte d’une centaine de milliers de personnes, la communauté juive australienne ne représente qu’une petite partie des 25 millions d’habitants. Dynamique et soudée, elle compte des dizaines d’organisations culturelles, des centaines de synagogues et un système scolaire juif sain et bien fréquenté. Nombre de ses membres font leur alyah et les organisations juives australiennes envoient constamment délégations et missions de soutien.
J-United a donc rallié de forts soutiens à Israël au sein et même au-delà de la communauté juive, mais pour autant, certains Juifs australiens ont des sentiments mitigés, alimentés par l’émergence du Conseil juif d’Australie (JCA), nouvelle organisation critique du sionisme.
Cette divergence témoigne de l’existence d’un conflit bien plus profond au sein d’une communauté par ailleurs très unie – un conflit qui oppose les voix sionistes majoritaires, qui considèrent leur soutien à Israël comme consubstantiel à l’identité juive, à une faction plus marginale, mais ô combien bruyante, qui critique le sionisme et prône globalement une approche anti-raciste.
« Les rescapés de la Shoah installés en Australie ont compris mieux que personne l’importance du sionisme et de l’État d’Israël pour la survie des Juifs, ce qu’ils ont passé à la génération suivante », explique Jeremy Leibler, président de la Fédération sioniste d’Australie. « Nous savons, grâce à une récente enquête menée par l’Université Monash, que l’écrasante majorité des Juifs australiens sont sionistes, et soutiennent en particulier Israël et l’armée israélienne depuis le 7 octobre. »
Pour lancer J-United, Whine a reçu l’aide de ses amies Maaian Galant et Tamar Paluch.
« J’étais constamment collée à mon téléphone à la recherche d’informations, engluée dans mon chagrin, essayant de comprendre comment une telle chose avait pu se produire et ce que cela signifiait », témoigne Paluch, autre Melbournienne qui travaille comme ergothérapeute.
Le 7 octobre, des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont envahi le sud d’Israël, sauvagement assassiné 1 200 personnes de tous âges, essentiellement des civils, et fait 251 otages séquestrés dans la bande de Gaza.
Le pogrom a déclenché une guerre qui se poursuit entre Israël et le Hamas, qui a fait plus de 40 000 victimes palestiniennes selon des chiffres non confirmés du ministère de la Santé dirigé par le Hamas, qui ne fait pas le distinguo entre civils et hommes armés, et 332 soldats israéliens morts lors de l’offensive terrestre à Gaza ou des opérations militaires le long de sa frontière.
Pour ces amies de Melbourne, le fait de créer et gérer J-United a eu des vertus thérapeutiques.
« Les gens ont été totalement pris au dépourvu par ce qui s’est passé le 7 octobre : il leur a fallu un certain temps pour en prendre la mesure en Israël et dans la diaspora », analyse Paluch.
Dans les semaines qui ont suivi le pogrom, Paluch a organisé plusieurs événements de soutien à Israël, motivés par l’indifférence du grand public face au plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah.
« Le plus démoralisant, dans tout ce qui s’est passé le 7 octobre, est sans aucun doute le silence des gens et des organisations dont on aurait pu s’attendre à davantage de sensibilité à la tragédie humanitaire, indépendamment des désaccords politiques », témoigne Paluch.
Le premier événement de J-United a été un rassemblement public de soutien à Israël dans la banlieue de Melbourne. Pour des raisons de sécurité, la police australienne n’a pas autorisé le groupe à se rassembler dans la ville. Le rassemblement a été un succès, puisqu’il a réuni plus de 3 500 participants, juifs et non juifs.
Entre autres événements, citons une installation en faveur des otages au centre commercial Bourke Street de Melbourne, une manifestation devant la Croix-Rouge australienne, un rassemblement à l’occasion de la Journée internationale de la femme devant l’hôtel de ville de Melbourne sans oublier une veillée pour les six mois de la guerre.
Dans le centre commercial Bourke Street, dans l’une des rues commerçantes les plus fréquentées d’Australie, Whine a ressenti le soutien des passants. « Un grand nombre de personnes m’ont arrêtée et remerciée, m’ont dit ‘Nous sommes avec vous’ », poursuit-elle.
Whine est fière de ce que son groupe a fait, mais triste qu’il doive exister.
Vendredi, le New York Times a dit avoir pris des « mesures appropriées » à l’encontre de l’une de ses journalistes qui, en février dernier, avait divulgué des informations sensibles issues d’un groupe WhatsApp pro-israélien au sein duquel près de 600 Juifs australiens avaient réfléchi aux moyens de lutter contre le regain d’antisémitisme, ce qui avait donné lieu à une intense campagne de doxxing.
Les membres de ce groupe ont été harcelés et menacés par des militants anti-israéliens, un commerçant a dû changer d’emplacement suite à plusieurs actes de vandalisme et d’autres ont fait installer des caméras de sécurité, par crainte d’attaques.
« Je crois que les organisations communautaires juives australiennes ne sont pas faites pour faire face à une guerre. Elles ont fait de leur mieux avec bien peu de moyens… Mais elles devraient avoir davantage de ressources. Si elles avaient plus de moyens, notre communauté serait mieux soutenue », analyse M. Whine.
Un des aspects les plus surprenants du travail de J-United est l’aide que lui ont apportée des non juifs.
Vanessa Ireland, chrétienne de 54 ans qui appartient à une église messianique, a assisté à presque tous les événements organisés par J-United. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle s’était sentie obligée d’y assister, elle a été franche.
« Depuis le 7 octobre, mon mari et moi avons cherché à tendre la main et réconforter le peuple juif. Le fait d’assister à un rassemblement juif est ma façon à moi de dire que je soutiens Israël à un moment comme celui-ci », confie Ireland.
« C’est une minorité bruyante qui alimente grandement l’antisémitisme »
En dépit du soutien enthousiaste de la base à Israël depuis le 7 octobre, une nouvelle organisation appelée Jewish Council of Australia (JCA), qui se décrit sur son site Internet comme « une voix juive indépendante et experte opposée à l’antisémitisme et au racisme », a attiré tous les regards des médias australiens. Elle a publié des éditoriaux dans des journaux, contribué à une enquête parlementaire sur l’antisémitisme et compte plus de 700 partisans sur son site Internet.
L’organisation, qui n’est pas sioniste, a irrité certains membres de la communauté juive d’Australie.
« Sans aucun doute, les Juifs anti-sionistes sont une minorité bruyante qui alimentent l’antisémitisme de manière importante », explique Philip Dalidakis, ex-ministre juif de l’État de Victoria.
Selon le directeur exécutif de la JCA, Max Kaiser, l’organisation s’est formée en réaction à « l’échec » des autorités juives locales – qu’il qualifie de « simples groupes de pression israéliens » – à donner une représentation aux Juifs critiques d’Israël.
Face à l’importance rapidement prise par cette organisation, J-United a fait circuler une pétition parmi les Juifs australiens qui a recueilli plus de 7 000 signatures.
« Le Jewish Council of Australia a fait des déclarations publiques qui ne reflètent pas les opinions et croyances de nombreux membres de notre communauté. En tant que membres de cette communauté diversifiée, il est crucial que nous clarifiions que leurs déclarations et le Conseil juif d’Australie dans son ensemble ne nous représentent pas », peut-on lire dans la pétition.
Mais la JCA reste inébranlable.
« Il est clair qu’une partie de la communauté juive australienne est devenue plus extrême, de droite, pro-guerre et pro-Israël », explique Kaiser. « Malheureusement, cela s’est traduit par une généralisation d’un racisme anti-palestinien extrême dans une partie de la communauté juive. »
« Mais il y a aussi tous ces Juifs qui veulent la paix et une solution juste pour tous », poursuit-il. « De plus en plus de Juifs considèrent que la lutte contre l’antisémitisme fait partie d’une lutte plus générale contre le racisme et qu’il y a un réel intérêt à former des coalitions multiculturelles et interconfessionnelles pour y parvenir. C’est ce que représente le Jewish Council of Australia. »
Leibler estime que les partisans du JCA représentent une petite partie de la communauté juive australienne.
« Tout au long de l’histoire juive, il y a toujours eu une infime minorité de Juifs volontairement désolidarisée du reste de la communauté et favorable à des positions radicalement opposées au bien-être du peuple juif. En cela, l’Australie n’est pas différente », conclut-il.
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