Avec la guerre, les meilleurs neurochirurgiens américains deviennent bénévoles à Sheba
Le Dr Teodoro Dagi, chef traumatologue à la Mayo Clinic, apporte sa connaissance des conflits – notamment du Kosovo et d'Irlande du Nord – au service des blessés de guerre israéliens
Dès que le neurochirurgien américain de renommée mondiale, le Dr Teodoro Forcht Dagi, a appris l’attaque dévastatrice du Hamas contre Israël, le 7 octobre dernier, il a contacté l’hôpital Sheba, près de Tel Aviv, pour proposer son aide aussi longtemps que nécessaire.
Bien que Dagi n’ait jamais travaillé ou fait du bénévolat à Sheba – le plus grand hôpital d’Israël – il avait eu vent de son excellente réputation.
« J’ai le plus grand respect pour cet hôpital et une certaine connaissance de la façon dont il fait face aux contingences militaro-civiles, compte tenu de mon propre travail sur les traumatismes et les théâtres d’affrontements avec de très nombreux blessés », explique Dagi.
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« Je connais leur service de neurochirurgie et ceux d’Israël, en général, et surtout leur qualité ».
Dagi, qui vit dans la région de Boston, est professeur de neurochirurgie au Mayo Clinic College of Medicine and Science. Il a été formé à la Harvard Medical School et au Massachusetts General Hospital, ainsi qu’à Johns Hopkins.
Entre 2005 et 2018, il a été doyen de la faculté de médecine de l’Université Queen’s à Belfast, en Irlande du Nord, qu’il a reconstruite après le traité de paix du Vendredi saint qui a mis fin aux « Troubles ». Les violences religieuses qui ont endeuillé le pays de la fin des années 1960 à la fin des années 1990 ont tué plus de 3 500 personnes et en ont blessé des milliers d’autres.
Dagi a également travaillé dans d’autres zones de conflit, comme le Kosovo.
Dagi, qui est juif, s’intéresse particulièrement aux traumatismes crâniens et a été consultant international sur les blessures du champ de bataille. Il est rédacteur en chef de plusieurs revues, dont le Journal of Special Forces Medicine, et par le passé, il a été médecin dans l’armée l’air et a enseigné la chirurgie des accidents de vol pour l’armée israélienne.
Les médecins de Sheba apprécient son expertise précieuse, fruit de plusieurs dizaines d’années de pratique. L’hôpital a en effet pris en charge un grand nombre de blessés de la guerre déclenchée par l’assassinat de 1 200 Israéliens par le Hamas et l’enlèvement de 239 otages.
« Nous avons beaucoup de chance d’avoir avec nous le Dr Teo Dagi. Il nous apporte énormément de connaissances, d’expérience et de soutien », explique Avital Perry, neurochirurgienne à l’hôpital Sheba.
« C’est aussi très positif pour les familles qui constatent que les meilleurs spécialistes viennent en Israël pour prendre soin de leurs enfants, qui font d’immenses sacrifices pour le pays. Ainsi, ils reçoivent les meilleurs soins possibles, de la main de grands spécialistes comme le Dr Dagi. Cela leur donne confiance dans les traitements ».
Le 7 novembre, lors d’une courte pause entre les tournées, les interventions et les réunions de service, Dagi s’est assis dans les locaux de l’hôpital pour une interview avec le Times of Israël. La conversation, ample, a porté sur le traitement des blessures neurochirurgicales militaires et les leçons à tirer de l’étude d’autres zones de conflit par le système de santé israélien, en passant par la façon dont les Israéliens manifestent leur espoir.
A Sheba, vous aidez à élaborer des stratégies face aux blessures de guerre. En quoi cela consiste-t-il exactement ?
Le problème avec les blessures neurochirurgicales militaires, c’est qu’elles doivent être réapprises à chaque génération parce que la guerre ne dure pas. Ainsi, chaque génération apprend les principes des traumatismes crâniens ou des blessures à la colonne vertébrale qui pénètrent dans le cerveau et la moelle épinière, mais leur prise en charge change et il est possible de la coupler avec les technologies militaires.
Par exemple, au cas présent, on a non seulement des blessures causées par balles, mais aussi par des engins explosifs improvisés ou non. On a plus de chances de survivre lorsque les projectiles ont une plus faible énergie que celle des balles. Par ailleurs, il y a les risques d’infection, lorsqu’un soldat doit attendre avant d’être évacué ou encore de complications qui doivent être gérées avec beaucoup de soin. Il est extrêmement important de contrôler la pression intracrânienne (PIC) dès le début pour prévenir les blessures secondaires. Une autre chose dont nous sommes plus conscients que jamais est la fréquence des lésions vasculaires. Par conséquent, nous utilisons l’angiographie pour étudier les artères du cerveau afin de nous assurer qu’aucun anévrisme ne pourrait, à terme, provoquer d’hémorragie.
Qu’en est-il des lésions de la moelle épinière ?
Les gilets pare-balles aident beaucoup, mais ils n’excluent pas les blessures. Les principes de traitement des lésions de la moelle épinière sont similaires, mais vous ne vous inquiétez pas de la PCI. Vous vous inquiétez des blessures combinées, donc chaque fois que vous avez un patient avec une blessure au torse ou à la tête, vous recherchez également une lésion de la moelle épinière.
Compte tenu de tous les risques de complications, y a-t-il un délai précis dans lequel une personne atteinte de l’une de ces blessures doit se rendre à l’hôpital ?
Contrairement à l’AVC, il ne s’agit pas d’une fenêtre. Vous souhaitez que les personnes accèdent le plus rapidement possible à des soins définitifs et complets afin de réduire les risques pour le patient. Il n’existe pas de vrais premiers soins pour les blessures à la tête. Vous faites tout ce que vous pouvez pour conduire la personne à l’hôpital le plus rapidement possible.
Israël consacre d’importantes ressources à la formation et à l’approvisionnement des équipes chargées d’évacuer les patients et de les acheminer vers des hôpitaux bien équipés au plus vite. Il y a eu des cas, le 7 octobre, où des retards regrettables ont eu lieu, mais c’était tout à fait exceptionnel et absolument pas représentatif des soins de combat en Israël.
Savez-vous à quoi le système de santé israélien pourrait être confronté à long terme, suite à cette guerre ?
Israël est habitué à des conflits relativement courts, qui se terminent relativement rapidement. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas eu d’attaques terroristes ou d’autres choses semblables, mais elles sont liées dans le temps. D’après tout ce que j’ai lu, je pense que nous allons voir à Gaza ce que les Américains et les Britanniques ont rencontré en Asie du Sud-Est à la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire des combats au corps à corps longs et douloureux. Je ne pense pas qu’Israël soit habitué à cela. En Israël, les gens entrent et sortent de l’armée. En raison de cette alternance entre la vie militaire et la vie civile, un nouvel équilibre devra être trouvé. En plus du traitement des blessures physiques, les gens auront besoin de différents types de soins. Israël doit développer une réponse intégrée pour y faire face.
Quels ont été les effets des troubles en Irlande du Nord sur le système de santé ?
Il y a un aspect médical et un aspect social à ma réponse. Sur le plan médical, je suis arrivé à Belfast au moment où la plupart des travaux sur les blessures avaient déjà été menés. Le chantier en cours était celui de la reconstruction des écoles de médecine.
Sur le plan culturel, même des années après les « Troubles », les protestants ne se sentaient pas à l’aise à l’idée de se faire soigner au Mater, l’hôpital catholique de Belfast. De même, les catholiques ne voulaient pas aller à l’hôpital Victoria, qui était protestant. J’avais beaucoup d’amis qui se sentaient écartelés entre deux cultures.
Le chef – protestant – du service de chirurgie de Victoria, par exemple, était extraordinaire : il a probablement fait plus pour les victimes des « Troubles » que n’importe qui d’autre. Il a fait l’objet d’une tentative d’assassinat suite au traité de paix. L’IRA estimait que sa présence ne pouvait être tolérée. L’hostilité culturelle a perduré encore très longtemps.
Que peut-on faire pour empêcher qu’une telle chose ne se produise en Israël ? Le système de santé israélien a toujours été un havre de coopération et de coexistence entre Juifs et Arabes.
On ne peut pas obliger les gens à être heureux là où ils sont. Tout ce que l’on peut faire, c’est bien les traiter, avec gentillesse et en tenant compte de leurs besoins. Je pense que Sheba le fait bien, et d’après ce que je peux voir, c’est un vrai succès. Je ne peux pas parler au nom d’autres hôpitaux en Israël parce que je n’y ai pas travaillé.
A un autre moment de ma vie, j’ai passé du temps au Kosovo, où les gens me disaient : « Si tu es serbe, je ne veux pas que tu opères mon enfant parce que tu vas le tuer. » C’était la même chose si un Serbe me soupçonnait d’être catholique. C’était une situation similaire si les gens pensaient que j’étais musulman.
Je n’en ai jamais entendu la moindre allusion de cet ordre ici.
Y a-t-il quelque chose d’unique dans la façon dont les Israéliens expriment l’espoir ?
En anglais, quand les gens disent espérer quelque chose, c’est qu’ils n’ont pas d’influence sur les événements. C’est quelque chose de passif.
Il n’y a pas de traduction exacte de l’espoir en hébreu. Il n’y a pas de parfaite équivalence. En hébreu, on parle de quelque chose qui va bien au-delà de l’espoir tel qu’on l’entend en anglais. Il ne suffit pas d’espérer, il faut agir pour obtenir un résultat. Il faut y travailler. Cela commence par la motivation, mais cela ne fait pas tout. C’est une détermination à faire tout ce qui est possible pour obtenir les résultats que vous souhaitez et dont vous avez besoin. Je vois que cela se reflète très bien dans la société israélienne.
Comment voyez-vous cela se refléter au quotidien à l’hôpital Sheba ?
Je vois des groupes d’enfants qui viennent remonter le moral des blessés en leur jouant de la musique. Je vois des gens distribuer des bonbons et des gâteaux. Je vois des gens s’arrêter pour discuter. Je vois toutes ces petites gentillesses. Les gens qui prennent soin les uns des autres sont déterminants dans l’état d’esprit des gens et leur inclusion dans la société, car c’est une période où les gens se sentent inévitablement très seuls.
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