Ben Gvir sommé d’annuler son office de prière à Tel Aviv
Des membres de la coalition, dont Netanyahu, demandent au ministre de se tenir à l'écart après les heurts à Tel Aviv ; le chef de l'opposition appelle les militants laïcs au calme
Des membres de la coalition ont appelé mercredi le ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite Itamar Ben Gvir à annuler son office de prière orthodoxe sur la place Dizengoff de Tel Aviv, un office prévu jeudi soir. Objectif : éviter de souffler sur les braises suite à des affrontements ayant eu lieu là-bas, lors de Yom Kippour, entre des militants laïcs et des personnes qui s’étaient rassemblées pour prier – des heurts provoqués par la présence d’une cloison qui séparait les hommes et les femmes, en violation d’un décret municipal et d’un arrêt de la Cour suprême.
Un autre office de prière organisé par les groupes qui se trouvent à la tête du mouvement de protestation anti-gouvernemental, avec notamment le groupe Kaplan Force, a été critiqué alors que les deux côtés de la sphère politique et religieuse cherchent à apaiser les tensions qui avaient atteint un point de rupture dans la soirée de dimanche et lundi.
Des altercations avaient ainsi eu lieu à Tel Aviv et dans d’autres villes après que les organisateurs d’offices de prière de rue avaient tenté d’imposer – malgré plusieurs arrêtés – la séparation des hommes et des femmes à Yom Kippour conformément à la loi juive orthodoxe, ce qui avait entraîné les réactions outrées des activistes laïcs qui considèrent cette pratique comme une mise à la marge illégitime des femmes.
Des événements qui sont considérés par certains comme une nouvelle preuve des répercussions en cascade du conflit sociétal provoqué par le plan de refonte radicale du système judiciaire qui est avancé par le gouvernement, un conflit qui s’est introduit dans de nombreux pans de la vie et qui met en exergue les visions divergentes de ce que devrait être la nature du pays.
Lors de l’ouverture de la réunion hebdomadaire du cabinet, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affirmé que la situation actuelle « exige que nous fassions des efforts pour réduire les frictions entre nous – et pour renforcer l’unité entre nous ».
Netanyahu avait appelé, mardi, les deux parties à calmer le jeu, sommant les leaders de faire preuve de responsabilité dans leurs actes. Mais le Premier ministre avait initialement diffusé un communiqué furieux qui prétendait que « des manifestants de gauche ont fait preuve de violence contre des Juifs », ajoutant « qu’il semble qu’il n’y ait aucune frontière, aucune norme et aucune limite à la haine chez les extrémistes de gauche ».
Le député Almog Cohen, du parti Otzma Yehudit de Ben Gvir, a appelé à annuler la prière à un moment où le pays fait face à des tensions continues sur la frontière avec Gaza.
« C’est précisément actuellement – où il y a des divisions dans la société qui sont attisées par des éléments extrémistes, comme nous l’avons vu à Tel Aviv – que nous devons diriger le feu sur nos réels ennemis », a dit Cohen devant les caméras de la Douzième chaîne.
La chaîne a annoncé que le partenaire de Ben Gvir lors des élections, le ministres des Finances Bezalel Smotrich, qui dirige le parti Hatzionout HaDatit, avait déclaré à ses proches conseillers que la prière « fait le jeu de Kaplan Force et de Frères et Sœurs d’armes, », en référence à des groupes qui s’opposent au plan de refonte radicale du système de la justice israélien. Il aurait ajouté que « ce n’est pas le moment de faire des provocations qui ne sont pas nécessaires ».
Simcha Rothman, président de la Commission de la Constitution, du droit et de la justice à la Knesset et membre de Hatzionout HaDatit, a dit à Ben Gvir dans une lettre que si ses intentions étaient bonnes, ses « agissements ne sont pas les bienvenus ».
« Il n’y a aucun doute sur le fait que les activités d’une petite minorité violente qui s’en est pris aux fidèles lors de Yom Kippour ont été bouleversantes pour nous tous, mais la réponse à apporter aux provocations d’une minorité progressiste et extrémiste et au bruit qu’elle est capable de faire ne doit pas être une contre-provocation qui entraînera fatalement l’expansion de la haine », a-t-il écrit.
Le ministre de l’Économie Nir Barkat, élu sous l’étiquette du Likud, a explicitement demandé à Ben Gvir « de ne pas se rendre à l’office de prière place Dizengoff » avant de faire son entrée dans la salle où avait lieu la réunion du cabinet.
Dans un entretien accordé à la chaîne de la Knesset, le président du parti Shas, Aryeh Deri, a déclaré qu’il valait mieux que les participants aillent prier dans une synagogue « parce que nous n’avons pas besoin d’une guerre inutile ».
Le ministre des Sciences et des Technologies Ofir Akunis (Likud), a aussi indiqué aux journalistes qui se trouvaient à la réunion du cabinet que Ben Gvir devait transférer son office de prière dans l’une des synagogues situées aux abords de la place Dizengoff.
« Ce sont des jours très tristes pour le peuple juif, en Israël et dans la Diaspora. Je suggère que les dirigeants israéliens cessent leurs déclarations grandiloquentes et qu’ils calment le jeu », a-t-il déclaré.
Yuli Edelstein, député du Likud, a écrit sur X que : « D’un côté Ben Gvir, de l’autre [l’ancien Premier ministre et personnalité de premier plan dans le mouvement de protestation anti-gouvernemental] Ehud Barak et ses émissaires. Au milieu, il y a toute une nation qui en a tout simplement assez de l’extrémisme ».
Le leader de l’opposition Yair Lapid, de son côté, a vivement recommandé de ne pas organiser de manifestation lors de l’apparition de Ben Gvir sur la place Dizengoff.
« Qu’il y aille avec La Familia et qu’ils manifestent tous seuls. Il n’y a pas de plus grande punition pour cet homme obsédé par les médias que de l’ignorer. Après tout, il vient chercher la bagarre : Pourquoi lui faire ce plaisir ? », a écrit Lapid sur Twitter, faisant référence à un groupe extrémiste ultranationaliste.
Pour sa part, le président du parti HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, a appelé Netanyahu à renvoyer Ben Gvir, faisant remarquer qu’alors qu’il y avait eu une attaque à l’arme à feu en plein jour à Haïfa dans la journée de mercredi, le ministre de la Sécurité « s’inquiète davantage de ses provocations que de son obligation de sauver des vies ».
Meïr Cohen, parlementaire pour Yesh Atid, a demandé à Ben Gvir de cesser « de provoquer » des troubles.
« Annulez cet office de prière de jeudi. Le moment est venu de calmer le jeu et de ne pas provoquer. Peut-être est-il préférable que vous investissiez votre temps libre dans votre bureau en vous préoccupant du nombre de crimes qui grimpent en flèche », a-t-il dit.
Ben Gvir a toutefois trouvé quelques soutiens au sein de la coalition.
Le ministre du Patrimoine Amichaï Eliyahu, qui appartient également à Otzma Yehudit, a indiqué qu’il n’était pas normal que des fidèles soient dans l’obligation de prier dans une synagogue plutôt que dans un espace public « à cause d’une bande de harceleurs qui nous menacent ».
« On ne peut pas permettre cette exclusion du judaïsme de la sphère publique. On ne peut pas se rendre devant ce terrorisme et devant cette violence », a-t-il confié devant les caméras de la Douzième chaîne.
La députée du Likud Tally Gotliv, connue pour ses provocations, a vivement recommandé à Ben Gvir de ne pas céder à la pression.
« Si les médias vous diabolisent… C’est que vous faites probablement quelque chose de juste. Vous êtes un homme de droite fier de l’être et vous payez le prix fort pour vos valeurs déterminantes », a-t-elle écrit sur X.
La municipalité de Tel Aviv a menacé de ne plus autoriser Rosh Yehudi à tenir des événements dans la ville – c’est le groupe orthodoxe qui avait organisé l’office de Yom Kippour sur la place Dizengoff, qui avait dégénéré en altercations furieuses à l’occasion de Yom Kippour, une journée considérée comme sacro-sainte pour la majorité des Juifs israéliens.
La municipalité avait ainsi interdit aux organisateurs de Rosh Yehudi de placer une cloison séparant les hommes et les femmes lors de la prière et la Cour suprême avait, pour sa part, réaffirmé le droit de la municipalité à prendre une telle décision dans sa réponse à une requête soumise par le groupe orthodoxe.
Rosh Yehudi, une organisation à but non-lucratif qui encourage l’adhésion des Juifs à la Halakha, avait donc installé un cadre en bambou avec des drapeaux israéliens suspendus en guise de séparation, ce qu’elle avait présenté comme une solution conciliant la loi juive orthodoxe et les règles imposées par la ville.
Le maire de Tel Aviv, Run Huldaï, avait écrit sur Facebook que cette installation était contraire à la loi, et bien que la police n’ait pas retiré la structure, des manifestants en colère l’avaient abattue et cassée alors que les deux camps s’affrontaient verbalement.
Mardi, Ben Gvir avait annoncé l’organisation de son office de prière, défiant les activistes « de venir nous expulser », suscitant les condamnations de la coalition et de l’opposition.
Huldaï a donné pour instruction à la police de garantir que les hommes et les femmes ne seraient pas séparés lors de cette prière organisée par le ministre d’extrême-droite, a signalé Haaretz.
Les protestations qui ont été émises à l’occasion des offices de Yom Kippour coïncident largement avec les préoccupations des activistes, qui s’inquiètent de ce que le plan de refonte du système judiciaire promu par le gouvernement n’entraîne une diminution des libertés religieuses et une tolérance accrue envers la coercition orthodoxe dans la sphère publique. La refonte affaiblirait considérablement la capacité des tribunaux à bloquer, entre autres choses, des lois et des politiques qui ne seraient pas conformes aux valeurs démocratiques occidentales en matière de liberté religieuse.
Les partisans de la refonte estiment qu’elle renforce les principes démocratiques en donnant plus de pouvoir aux responsables élus au détriment d’une élite laïque qui, estiment-ils, domine un système judiciaire et une bureaucratie qui ne sont pas suffisamment représentatifs de la majorité.
Canaan Lidor a contribué à cet article.