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Interview

Bernard Madoff n’a pas agi seul : C’est le système qui lui a permis de continuer

Jim Campbell, journaliste de radio spécialisé dans le milieu des affaires, a écrit ‘Madoff Talks,’ basé sur 9 années d'interviews avec le financier - jusqu'à sa mort en prison

Photo d'illustration : Bernard Madoff, à droite, quitte la cour de district de Manhattan, à New York, après une audience, le 5 janvier 2009. (Crédit : AP Photo/Kathy Willens, File)
Photo d'illustration : Bernard Madoff, à droite, quitte la cour de district de Manhattan, à New York, après une audience, le 5 janvier 2009. (Crédit : AP Photo/Kathy Willens, File)

Lors de son ascension, alors que Bernie Madoff se taillait la part du lion à Wall Street, il avait hérité d’un surnom inhabituel : « Le T-Bill (bon du trésor) juif. » Un surnom qui ne faisait pas seulement référence à ce bon remis par le Trésor américain – considéré comme un investissement à ne pas rater – mais également à l’origine de Madoff. A une période de sa vie, environ 85 % de ses investisseurs ont été des Juifs – des membres de la communauté – et il y a eu parmi eux des individus célèbres et respectés ainsi que des organisations caritatives et des institutions connues. Citons, pêle-mêle, le lauréat du prix Nobel Elie Wiesel ou l’Association des femmes de Hadassah.

Comme il s’est avéré ensuite, Madoff était à la tête, en fait, du plus grand système de Ponzi de toute l’Histoire. Le 11 décembre 2008, il avait été arrêté par le FBI et ses investisseurs avaient collectivement perdu presque 65 milliards de dollars. Cela avait été le plus grand scandale à jamais avoir éclaboussé Wall Street.

Ce scandale est au centre d’un nouveau livre : Madoff Talks: Uncovering the Untold Story Behind the Most Notorious Ponzi Scheme in History, un ouvrage qui a été écrit par l’animateur de radio américain Jim Campbell, qui a pu approcher – ce qui est rare – Madoff de son vivant, ainsi que sa famille. L’intérêt pour le personnage et son histoire a augmenté lorsque Madoff est mort, au mois d’avril, et le livre a été publié plusieurs semaines plus tard.

Au cours d’un entretien téléphonique accordé au Times of Israel, Campbell qualifie Madoff de « tueur financier en série » qui a « balayé beaucoup de gens – et un grand nombre d’organisations caritatives juives en particulier ».

Et pourtant, dit-il, « on me demande, quand je fais des interviews, comment le monde devrait percevoir Bernie. Le principal élément à retirer du livre, c’est que le système a échoué. C’est le système qui lui a permis de continuer. Alors quand on se laisse aller à dire que Madoff, c’est ce type qui a construit un système de Ponzi qui a tenu pendant si longtemps et qui a détruit les vies de 16 000 citoyens américains et de 720 000 personnes dans le monde entier… Ce n’est pas vraiment comme ça qu’il faut voir les choses. Il n’a pas agi seul ».

L’auteur cherche à dresser un portrait équilibré de Madoff, avec lequel il a entretenu une correspondance pendant plus de huit ans quand ce dernier servait une peine de 150 ans d’emprisonnement dans une cellule de Caroline du nord. Cette recherche reflète l’approche délibérément modérée mais profonde qu’il revendique en tant qu’animateur de radio.

Au fil des ans, Campbell a aidé les auditeurs à comprendre des sujets complexes comme la crise financière mondiale de 2008, qui a été à l’origine de son désir initial d’animer un talk-show consacré au milieu des affaires. Mais cela a été toute autre chose d’écrire un livre au sujet de Madoff, comme McGraw-Hill lui avait suggéré de le faire.

Jim Campbell, animateur de radio et auteur de ‘Madoff Talks. (Autorisation)

Mais finalement, explique-t-il, « c’est exactement comme à la radio – il faut traiter et écrire les faits ».

Le livre s’appuie sur l’accès qu’a eu Campbell aux trois membres de la famille Madoff : Madoff lui-même, son épouse Ruth et leur fils Andrew, mort d’un cancer en 2014. L’autre fils du couple, Mark, s’était suicidé en 2010.

Ces entretiens difficiles à obtenir et qui ont donné corps au livre ont résulté « d’une série de coïncidences fortuites mais heureuses », note Campbell.

Tout a commencé au mois d’octobre 2011, quand l’auteure Laurie Sandell avait, de manière inattendue, mis en contact Campbell et Andrew Madoff, qui coopérait avec elle pour l’écriture d’un livre. Un deuxième heureux hasard était survenu au mois de décembre de la même année. Campbell avait appris que Ruth Madoff quittait la Floride pour s’installer à Old Greenwich, dans le Connecticut, la ville natale de l’animateur de radio. Campbell se souvient qu’elle portait un manteau et des lunettes de soleil lors de leur rencontre, qu’elle avait ensuite commandé une salade de fruits de mer, qu’elle lui avait demandé si leur rencontre était enregistrée – et qu’elle avait fini par le présenter à son mari incarcéré.

« Bernie m’a dit : ‘Mon épouse et mon fils disent que vous êtes une personne sincère et je suis heureux de pouvoir dissiper les fausses idées entretenues à mon égard' », raconte Campbell qui note qu’en définitive, Andrew n’avait plus adressé la parole à son père depuis la veille de l’arrestation de ce dernier.

Ruth Madoff est escortée par des gardes du corps privés lors de son départ de la prison du Metropolitan Correctional Center après avoir rendu visite à son époux Bernard Madoff à New York, le 6 avril 2009. (Crédit : AP Photo/Mary Altaffer)

« Si Bernie m’a dit qu’Andrew avait déclaré que j’étais un type bien, c’est ce que cela avait dû passer par Ruth », ajoute-t-il.

Campbell avait correspondu avec Madoff – notamment par le biais du système de courriel du Bureau des prisons – de 2011 à 2019. Selon l’auteur, Madoff ne se sera livré à aucun moment à un travail d’introspection et il parlait de lui à la troisième personne – avec notamment cette phrase mémorable : « Personne ne sait pourquoi Bernie Madoff a fait ce qu’il a fait ». Campbell devait ne jamais rencontrer en personne l’homme d’affaires et une demande de visite à la prison devait être refusée à trois reprises distinctes.

Toutefois, l’auteur avait accumulé 400 pages de correspondance et il avait développé une idée ambitieuse.

« Je voulais faire le premier livre sur l’architecture d’ensemble du dossier », explique-t-il, évoquant « une sorte de roman policier ». La première partie, avait-il songé, aurait dépeint – dans un ordre chronologique inversé – le jour de l’arrestation de Madoff, ses derniers mois au travail et le travail qu’il avait réalisé lors de sa dernière année de liberté.

Du temple à la tentation

Dans le livre, Campbell explore le fil juif qui se déroule pendant toute l’histoire.

Madoff était le fils d’un président d’une congrégation originaire de Far Rockaway, dans le Queens, qui avait commencé sa carrière d’investisseur en persuadant ses beaux-parents, la famille Alpern, de lui confier leur argent. Quand il avait perdu leurs investissements, il avait emprunté des fonds pour les rembourser – un précédent qui devait ne jamais se répéter.

Avec le temps, Madoff avait eu la réputation d’un homme qui gagnait de l’argent et qui n’en perdait pas, notamment parmi les membres du Palm Beach Country Club, qu’il avait rencontrés après son acquisition d’une maison dans cette ville du sud de la Floride.

« C’était un achat d’affinité », note Campbell. « Le club avait des membres largement issus de la communauté juive. Et tous ces membres ont finalement dit : ‘Donnez votre argent à Bernie, il est sûr, vous allez avoir un retour de 11 % tous les ans, c’est énorme, énorme’. Certains disaient qu’ils ignoraient comment Bernie réussissait à faire ça, que ce n’était probablement ni légal, ni honnête – ‘mais c’est notre homme et il faut le laisser faire’. »

« Il faut que la confiance soit vraiment là », s’exclame Campbell, qui n’est pas juif. « Les Juifs ont été expulsés de tous les pays du monde depuis 1 000 ans. Au sein de la communauté juive, on n’escroque pas financièrement. Cela a été dévastateur… une sorte de crime de parenté ».

Photo d’illustration : Bernard Madoff arrive à la cour fédérale de Manhattan à New York, le 12 mars 2021. (Crédit : AP Photo/ Louis Lanzano, File)

Pendant ce temps, Madoff était parvenu à échapper à cinq enquêtes lancées par la SEC (Securities and Exchange Commission) américaine. En plus de son système de Ponzi, il gérait en même temps une entreprise bien distincte, aux activités et aux bilans inattaquables, dans le même immeuble de bureaux de Manhattan.

« J’ai découvert qu’il menait de front les deux entreprises », se souvient Campbell. « L’une à l’éthique irréprochable et l’autre qui était parmi les plus frauduleuses de Wall Street. Au même endroit, au même moment ».

Campbell explique que « l’entreprise très légitime du 19e étage servait à dissimuler l’activité commerciale, qui était mise sous clé au 17e étage. Même ses fils n’avaient pas le droit d’y accéder ».

La chute

Et en fin de compte, écrit Campbell, cela a été l’effondrement financier de 2008 qui a entraîné la chute de Madoff. Dans cette faillite, il n’est alors resté que le curateur nommé par le gouvernement, Irving Picard, pour tenter de remettre la main sur l’argent volé au nom des victimes. De manière assez ironique, note Campbell, si les régulateurs avaient su poser les bonnes questions, l’escroquerie de Madoff aurait pu être percée à jour en quelques minutes.

Concernant la famille de l’homme d’affaires, « je ne crois pas qu’ils aient été complices, qu’ils aient été courant du système de Ponzi », indique Campbell. « Ils n’ont pas réalisé qu’il avait volé de l’argent à ses clients ».

Andrew Madoff dans un entretien accordé à Morley Safer au mois d’octobre 2011. (Crédit : YouTube)

Même si elle n’était pas au courant de l’escroquerie, ajoute Campbell, la famille de Madoff a été complice de ses mensonges – notamment des fausses représentations données des investissements de l’homme d’affaires que l’auteur qualifie d’illégitimes, ajoutant qu’ils allaient contre le protocole.

Campbell dit avoir compris la raison de la condamnation de Madoff à 150 ans de prison – « il est mort sans dire la vérité pleine et entière ».

Même s’il estime que Madoff a été un « tueur financier en série », Campbell remarque qu’un véritable sociopathe n’aurait pas utilisé des fonds commerciaux légitimes pour payer des besoins médicaux familiaux et des hypothèques immobilières, comme l’homme d’affaires l’avait fait. Il souligne aussi que Madoff avait évité un procès pour éviter des angoisses à son épouse et potentiellement rendre plus d’argent à ses clients.

‘Madoff Talks’ écrit par Jim Campbell. (Autorisation)

Selon Campbell, Madoff avait un groupe de « quatre grands » en particulier qui lui avaient permis de prolonger la longévité de son système de Ponzi.

« Ils lui donnaient de l’argent à chaque fois qu’il connaissait une crise de liquidités », raconte Campbell. « Jeffry Picower, le plus important de ces ‘quatre grands,’ a retiré sept milliards de dollars de ce système de Ponzi. Bernie lui-même n’aurait profité que de 800 millions de dollars. Il en était venu à les haïr ».

Le livre s’interroge également : Madoff, en plus d’être l’auteur d’un plan d’évasion fiscale dans lequel « de l’argent sale » affluait depuis l’Europe de l’Est, la Russie et la Colombie, a-t-il été aussi une victime ?

« Est-ce qu’il avait réellement connaissance du degré de saleté de ces fonds, je l’ignore », dit Campbell.

« Seules quelques personnes au total sont allées en prison », ajoute-t-il. « Bernie a été l’une d’elles. Trois semaines après sa mort, pas un seul individu n’avait été incarcéré pour ça… Personne n’a été licencié à la SEC, huit personnes ont été rétrogradées. Elles étaient pourtant bien là et il est impossible de dire qu’il n’y a eu que Bernie ».

Campbell se demande ce qui serait arrivé si Madoff avait survécu à l’effondrement financier de 2008.

« Il aurait probablement continué », dit Campbell. « J’ai fait le calcul jusqu’en 2021. Il aurait probablement été à la tête de 240 milliards de dollars s’il avait conservé son taux de 11 % dans l’intervalle ».

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