« Bordure protectrice » : l’heure des premiers bilans
L’affrontement entre Israël et le Hamas restera comme celui d’une guerre inévitable avec un goût d’inachevé
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Après quatre semaines, la guerre entre Israël et le Hamas peut donc entrer dans une nouvelle phase. Le leadership d’Israël espère qu’elle tire à sa fin sur le plan militaire, alors que les forces militaires sont redéployées partiellement, même si le Premier ministre Benjamin Netanyahu a souligné que « toutes les options » restaient encore ouvertes. Nous pouvons commencer à tirer quelques conclusions provisoires, mais pour l’instant les combats se poursuivent, et il n’y a aucune garantie que le pire soit déjà derrière nous.
Examinant d’abord les gains du Hamas à ce jour, celui-ci ne peut prétendre avoir profondément ébranlé le sentiment de sécurité d’Israël. Il y a un mois, la plupart des Israéliens le considéraient encore comme une organisation terroriste dangereuse, capable d’attaques meurtrières. Ils n’étaient pas au courant du nombre de ses « combattants » bien entraînés. Ni de la sophistication de sa machine de guerre, de sa hiérarchie efficace, de ses armes, de ses tunnels terroristes.
Et les Israéliens qui ne savaient rien ou peu au sujet des tunnels ont sous-estimé la catastrophe que ceux-ci auraient entraîné. On ne peut être certain que tous les tunnels ont été trouvés. Il faudra un long moment pour que les résidents des communautés proches de Gaza puissent commencer à bien dormir la nuit…
Le Hamas a tiré plus de roquettes, et plus loin dans le territoire israélien, que dans les deux précédents cycles de conflits depuis la prise de contrôle de Gaza en 2007. Il a encore usé le sud du pays déjà traumatisé, où une génération a grandi en sachant qu’il faut une poignée de secondes pour aller à l’abri. Et il a placé Tel Aviv et des villes plus au nord dans la ligne de mire ; pas de répit, même dans cette partie d’Israël qui voulait se croire à l’abri du Hamas. Et alors que cet article est en cours d’écriture, les tirs continuent encore et toujours.
Le leadership du Hamas a survécu, bien caché à l’intérieur de ses bunkers souterrains construits en plein cœur de la bande de Gaza. La plupart de ses milliers d’hommes au culte de la mort bien ancré ont eux aussi survécu. Une grande partie de leur armement demeure intact. L’organisation terroriste espère donc que tout est prêt pour un nouveau round avec Israël.
Le Hamas a pu partager avec le Hezbollah le fait qu’Israël n’enverrait pas ses forces terrestres tous azimuts à l’intérieur des quartiers urbains où il s’était retranché, utilisant cette propagande pour instrumentaliser la faiblesse d’Israël et sa vulnérabilité, et ainsi renforcer la motivation pour les guerres à venir.
Au moment où cet article a été écrit, on comptait 64 soldats israéliens tués, soit le bilan le plus lourd que l’armée israélienne ait subi depuis la guerre du Liban en 2006. 11 de ces soldats ont été tués à travers les tunnels que l’armée a essayé de détruire dans un timing serré. 9 soldats ont été tués en territoire israélien à des points de rassemblements. Et de nombreux soldats ont perdu la vie à l’intérieur de Gaza avec des armes antichars, ou contre des hommes armés sortant de tunnels dans des zones que Tsahal pensait sécurisées.
L’économie israélienne a été frappée, puisque sur le court terme, le tourisme a subi un coup d’arrêt.
L’aéroport Ben Gurion a été mis à mal puisque les trois-quarts des compagnies aériennes étrangères qui l’utilisent régulièrement, ont brièvement arrêté leurs vols.
Quelques divisions dans la direction israélienne ont été dévoilées – un succès mineur étant donné que, et ce n’est un secret pour personne, Netanyahu et Liberman sont loin d’être toujours d’accord.
La croyance en la possibilité d’une solution à deux Etats a été détruite pour une partie (non quantifiable) de l’électorat israélien devenue encore plus méfiante à l’idée d’abandonner un « territoire adjacent » (pour reprendre l’expression de Netanyahu) suite aux tirs de roquettes et aux tunnels passant sous la frontière. Ce sont de bonnes nouvelles pour le Hamas, car il s’oppose à un partenariat authentique entre Israéliens et Palestiniens, et craint tout renforcement des modérés dans les deux camps.
L’antisémitisme en Europe s’est enflammé. Cela est en train de miner le sentiment de sécurité qui était déjà faible dans de nombreuses communautés déjà guère confiantes avant le début du conflit.
Le nom d’Israël à l’échelle internationale a été noirci. Le Hamas a fait de son mieux pour tuer des Israéliens, et a délibérément placé les civils de Gaza en danger, et cela est aujourd’hui largement reconnu. Mais la froideur des faits a été vite dépassée par la vue des quartiers démolis, par le nombre de morts, mais aussi par le désespoir des habitants de Gaza et des organisations internationales.
Israël avait le droit de son côté ; le Hamas avait la dévastation pour lui et parmi « ses » citoyens. Le cœur des honnêtes gens va vers les victimes impuissantes. Pour tout ce qu’Israël a subi et a versé de sang, les Gazaouis ont subi et ont versé du sang plus encore ; le Hamas avait bien planifié l’affaire.
Les commentateurs israéliens ont affirmé à maintes reprises que le Hamas cherchait une « réalisation » : grosse attaque terroriste, tir de roquette « réussi » ou acceptation d’une ou de plusieurs de ses conditions. Pourtant, dans la situation actuelle, la « réalisation » du Hamas est surtout de survivre à tout cela et de pouvoir recommencer.
Par rapport à ces « gains », Israël peut néanmoins prétendre avoir acquis des résultats d’envergure.
Presque tous les tunnels d’attaque ont été détruits. L’ancien conseiller à la sécurité nationale de Netanyahu, Yaakov Amidror, a fait valoir à plusieurs reprises qu’Israël n’avait pas sous-estimé le danger posé par les tunnels, mais ne pouvait pas se permettre d’engager un conflit pour y faire face. Cela aurait déclenché les mêmes tirs de roquettes du Hamas, et beaucoup d’Israéliens auraient protesté que leur gouvernement leur avait infligé cela. La tolérance de la communauté internationale pour l’action israélienne aurait été encore plus faible.
Les tunnels : un élément central de la stratégie du Hamas, qu’il a passé des années à développer qui a été largement mis à mal.
Le système de défense anti-missile « Dôme de fer » a accompli des miracles. Des centaines de roquettes, dont l’impact aurait causé d’immenses pertes humaines et des dégâts considérables, ont été soufflées en plein vol. Le Hamas voulait voir Tel Aviv en ruines. Au lieu de cela, il a vu une population chanter Am Israel Hai [Le peuple d’Israël vit].
Israël a déjoué une tentative d’infiltration du Hamas par la mer, et a probablement déjoué d’autres complots terroristes dont le public n’est pas au courant.
Les troupes israéliennes ont tué des centaines de terroristes du Hamas, prouvant la capacité de surmonter l’ennemi sur son territoire d’origine, en dépit des tunnels et de tous les pièges que le Hamas avait semés.
Pour toutes les critiques à l’étranger d’un recours à la force vu par presque tous les Israéliens comme essentiel, certains dans la communauté internationale sont aujourd’hui plus conscients du danger posé par le Hamas et d’autres groupes qui suivent ses méthodes cyniques. Même le secrétaire général de l’ONU a admis que le Hamas n’a pas respecté la trêve qu’il avait aussi contribué à négocier vendredi. Et le monde arabe a été étonnamment peu favorable au Hamas.
La population israélienne a montré sa détermination impressionnante malgré les tirs de roquettes, et son unité derrière Tsahal et ses dirigeants politiques.
Les familles des victimes ont été, sans exception, nobles dans leur douleur indescriptible. Héroïques. « Je l’aimais tellement », a déclaré un père endeuillé, parlant à un journaliste de la télévision peu de temps après avoir reçu la pire des nouvelles qu’un parent puisse entendre.
« Mais notre famille ne sera pas brisée », a-t-il dit les larmes aux yeux et avec un air de défi, « Israël ne sera pas brisé ».
En fin de compte, cependant, le verdict sur les quatre dernières semaines de conflit dépendra de la façon dont la phase suivante se jouera.
Idéalement, nous attendons de voir si Israël a dissuadé le Hamas et ses ramifications de nous cibler. « La guerre sera bel et bien terminée », a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères Tzachi Hanegbi samedi, quand le Hamas n’osera même plus envoyer une roquette sur nous ». Nous verrons ce qu’il en est…
Fondamentalement, aussi, nous ne savons pas encore où les négociations en Egypte mèneront. Israël n’est pas là, mais il est indirectement impliqué, soucieux de s’assurer que les mesures de sécurité seront renforcées et non remises en cause, par le gouvernement égyptien au sujet de Gaza.
Netanyahu a parlé de la nécessité pour le Hamas d’être désarmé, de lier la réhabilitation de Gaza à sa démilitarisation. De belles paroles en effet. Mais, pour l’instant, ce sont seulement des mots.
Si l’accès à la bande de Gaza est facilité, et que le Hamas est capable d’exploiter cela, il va le faire. Il continuera à détourner toutes les ressources autorisées dans la bande qui peuvent servir ses fins meurtrières, nécessitant ainsi un plus grand contrôle. Le Hamas, s’il le peut, va construire plus de tunnels, plus profondément. Il va fabriquer et mettre au point de nouvelles armes, plus dangereuses. Il rêve de nouvelles façons de déborder Israël.
Nous attendons de voir si les habitants de Gaza se tournent encore vers le Hamas qui les a exploités et qui a ruiné leurs vies, tandis que les dirigeants se murent. Les habitants de Gaza ont été dévastés par la guerre. Dans le même temps, beaucoup parmi eux soutiennent fermement le Hamas. Les Gazaouis prouveront-ils qu’ils sont complices dans les futurs efforts contre Israël ?
Un général de l’armée décrivant un quartier de Gaza où ses soldats opéraient, a déclaré que 19 des 28 maisons avaient été utilisées d’une manière ou d’une autre par le Hamas – piégées, ou utilisées pour stocker des armes ou encore dissimulant une ouverture de tunnel. Alors ces 19 familles choisiront-elles de s’associer encore avec le Hamas ? Ont-elles été payées ? Ne leur a-t-on pas laissé le choix ? Ou un mélange de tout cela à la fois ?
Le temps nous dira aussi combien les Arabes en Cisjordanie et en Israël ont été aigris, comment ont-ils été touchés par les efforts du Hamas et ses alliés en Israël et dans les territoires pour fomenter protestations et violences.
Et enfin, seul le temps dira si n’importe quel type de processus politique peut encore être sauvé – si Israël a des routes viables pour essayer de construire un avenir dans lequel le calme peut être soutenu à la fois par la dissuasion militaire des ennemis et le partenariat constructif entre amis.
Israël a été entraîné dans un conflit par une organisation terroriste dont l’objectif avoué est de nous faire disparaître. Et pourtant, Israël a reçu bien peu d’empathie et un soutien rare. Netanyahu a parlé samedi de
« nouvelles opportunités » avec d’autres puissances dans la région. Tout cela n’est pas encore bien clair. Malgré tout, les perspectives d’optimisme diplomatique semblent aujourd’hui plus éloignées que jamais.