Ce documentaire sur Golda Meir vous prend au cœur
Dans la diaspora, la seule Première ministre d'Israël est devenue la "Reine des Juifs", alors que le sentiment est plus ambivalent en Israël ; un nouveau film la rend plus humaine
NEW YORK — Cela fait un peu plus de 45 ans maintenant que Golda Meir a démissionné de son poste de Première ministre d’Israël.
Elle avait été la quatrième personnalité à assumer ces fonctions depuis la création de l’Etat juif et aura été l’une des toutes premières femmes à diriger un gouvernement à l’ère moderne. Et vous avez probablement une opinion très différente à son sujet en fonction de l’endroit où vous vous trouvez actuellement, alors que vous êtes en train de lire cet article.
Là où j’ai grandi, aux États-Unis (même si j’étais trop jeune pour la « connaître » au moment où elle était au pouvoir), elle était vénérée.
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Elle faisait partie de ces femmes qui nous rappelaient nos grands-mères. Originaire d’Ukraine (comme ma grand-mère maternelle !), elle avait immigré aux États-Unis, vécu à Milwaukee, était devenue l’une des sionistes les plus reconnues à l’âge adulte avant d’assumer, finalement, des fonctions déterminantes à la tête du gouvernement.
David Ben Gurion l’avait qualifiée, on s’en souvient, de « seul homme de son cabinet » – un compliment adorable, devait-il alors penser.
Dans notre foyer sioniste, penchant plutôt à gauche, cette mamie juive, compétente et attentionnée, incarnait notre vision idéalisée de la terre de lait et de miel bien plus que les belliqueux Uzi Narkiss ou Moshe Dayan. Elle paraissait si gentille.
En Israël, comme je l’ai découvert, le sentiment qui domine à l’évocation de Golda Meir est complètement à l’opposé du nôtre. Son héritage a été considérablement terni par – ils sont nombreux à le penser – son sabotage d’opportunités de paix, l’exacerbation des problèmes entre Juifs ashkénazes et mizrahis et son incapacité à empêcher la guerre coûteuse de Yom Kippour.
C’est ce schisme d’opinion entre les Israéliens et la diaspora qui est au cœur d’un nouveau documentaire intitulé « Golda », dont l’avant-première a eu lieu le 10 novembre à New York dans le cadre du prestigieux festival Doc NYC. Il sera également présenté dans un certain nombre de festivals juifs à venir, notamment à Miami, Chicago, Los Angeles, Richmond, Philadelphie et Denver avant une éventuelle sortie nationale.
Le documentaire est informatif et intelligent dans sa contextualisation de la vie politique – en partant toutefois d’une perspective actuelle. Il est constitué d’un mélange d’entretiens avec des personnalités qui l’ont connue de son vivant et d’images d’archives – dont une séquence précieuse montrant une longue conversation enregistrée en 1978 et jamais diffusée auparavant, qui constitue le point d’orgue du film.
Ces images présentent une discussion sans filtre entre Golda Meir et deux journalistes dans un studio de télévision, après la fin de l’interview « officielle ». Celle-ci se déroule hors-antenne, mais les caméras sont encore en train de tourner. Baissant la garde, la Première ministre, dorénavant à la retraite, parle avec sincérité et affiche sa vulnérabilité. C’est l’épine dorsale de tout le documentaire.
Shani Rozanes, réalisatrice israélienne qui vit dorénavant à Berlin, est l’une des trois réalisatrices de « Golda ». J’ai eu la chance de m’entretenir avec elle après la Première organisée à New York.
Voici une retranscription – révisée pour plus de clarté – de notre conversation.
« Golda » est clair sur ses intentions dès le premier plan – avec un générique qui débat des différentes perceptions de Golda Meir en Israël et hors des frontières de l’Etat juif. En tant que Juif américain, j’admets qu’elle jouit encore d’une partie de son halo de « Reine du peuple juif ».
Ça m’intéresse de voir si on fera évoluer ces perceptions.
Je peux le dire à partir de mon expérience – en ayant grandi auprès d’un père vétéran de la guerre de Yom Kippour – c’est un sujet douloureux. Quand j’avais peut-être neuf ans et que, petite fille, je cherchais un modèle auquel m’identifier, j’avais regardé la dame qui figurait sur le billet de dix shekels. Et j’avais demandé à ma mère : « Hé, et Golda ? La première femme Première ministre ! C’est une femme qui mérite d’être admirée, pas vrai ? », et ma mère m’a répondu que si je cherchais « une femme à admirer, alors Golda Meir n’était pas la bonne ». Je m’en souviens très bien.
Pour cette génération, pour tous ces gens qui venaient d’avoir vingt ans pendant la guerre de Yom Kippour, elle reste une personnalité très controversée. Il y a encore beaucoup de ressentiment, de douleur, de colère. Alors qu’il y a eu de nombreux débats sur le rôle qu’elle a tenu dans la guerre, elle en avait assumé la responsabilité en tant que Première ministre.
Et pourtant, ses partisans ont pu dire que ce n’est pas le rôle d’un chef de gouvernement de savoir, par exemple, combien il y a de casques militaires en stock. Et la controverse autour de cette guerre et autour d’elle, plus généralement, ne s’est toujours pas éteinte.
Et tout cela a marqué Golda d’une certaine empreinte – raison pour laquelle, j’en ai le sentiment, notre film n’aurait pas pu être réalisé plus tôt. Il fallait du temps et prendre du recul, et il fallait une génération plus jeune.
Votre opinion sur Golda a-t-elle donc changé en travaillant sur le documentaire ?
Oui, mon opinion a évolué. On apprend à connaître une personne quand on réalise un film. Sur n’importe qui. Mais Golda Meir reste tout particulièrement impressionnante.
En grandissant, elle avait voulu faire des études, mais son père lui avait dit : « Les femmes intelligentes ne sont pas aimées ». Sa famille voulait qu’elle se marie, qu’elle ait des enfants, c’est tout. Et elle a su s’armer de persévérance et a eu une vision ; c’est quelque chose qui est digne d’admiration quand on provient de ce genre de milieu.
C’est une partie essentielle du documentaire – les spectateurs semblent se demander si nous nous positionnons contre ou pour elle. Mais nous, on a davantage tenté de nous positionner à côté d’elle.
Elle était quelqu’un de captivant, de charismatique. C’est dur de ne pas être touché par son humanité. Je ne suis peut-être pas d’accord avec tout ce qu’elle a pu dire, mais je comprends d’où elle vient et, par conséquent, sa force de conviction.
Et je veux que le film puisse montrer cela : donner une image d’ensemble d’elle, comme une personnalité pleine et qu’il n’est pas possible de réduire à certains attributs – pas seulement comme une femme méchante ou, au contraire, comme une grand-mère juive aimante.
Dites-m’en davantage au sujet de cette formidable interview « hors-antenne » que vous avez trouvée.
Quand nous l’avons vue, nous avons d’abord été désorientés. On la voit parler, fumer, rire. C’est magnétique. Il est impossible de détourner le regard. Il fallait qu’on la mette dans le documentaire. Et elle nous a aidés à organiser le film tout entier. On se posait alors la question de comment raconter son histoire. Elle avait vécu jusqu’à l’âge de 80 ans, avec 50 années passées dans la vie publique. Comment commencer ? Sur quoi nous concentrer ?
Nous voulions raconter l’histoire d’Israël, les difficultés rencontrées, comment Israël a été construit, contre quoi le pays lutte encore aujourd’hui : la relation fragile entre les mizrahis et les ashkénazes, la question de la nationalité palestinienne, le terrorisme dans le monde, les implantations, les difficultés économiques… Tout cela est encore d’actualité aujourd’hui et nous avons donc voulu raconter son histoire et la manière dont elle a pu s’entremêler à tous ces conflits. Et cette interview était une ligne directrice parfaite. Chaque chapitre commence par un extrait de cet entretien, que ce soit d’un point de vue politique ou personnel.
Et c’est la première fois que ces images sont diffusées ?
Oui, elles se trouvaient dans les archives de l’Autorité israélienne de radiodiffusion. Il y a tant de séquences des débuts qu’elles n’ont jamais été numérisées. Elles ont été tournées sur de vieilles bobines et, dans le cas présent, il s’agissait d’une boîte noire : personne ne savait ce qui se trouvait à l’intérieur. Ce n’est pas le type de bobine qu’on peut simplement mettre dans une machine pour pouvoir voir ce qu’elle contient. Et il faut alors passer un accord avec les réalisateurs : Numérisez les images et vous pourrez les utiliser. Ça aide le travail de numérisation des archives mais pour les réalisateurs, c’est un pari. On dépense de l’argent peut-être pour ne rien trouver – ou peut-être pour trouver de l’or. Cela a été notre cas.
Les membres de sa famille encore en vie ne l’avaient jamais vu. L’un de ses petits-enfants a assisté à une projection et il en est sorti très ému, disant : « C’était bien elle ! » Cela a été très excitant et très fort pour lui de découvrir de nouvelles images de sa grand-mère.
Oui, elle baisse la garde, et il y a un moment très sympathique au cours duquel elle fait une blague sur la musique moderne et sur la manière dont s’habillent les femmes. C’est très humain.
L’interview contient quelque chose qui la fait ressembler à un testament. Elle sait très bien que c’est l’un des derniers entretiens qu’elle pourra accorder. Elle tombera très rapidement malade après. Elle veut parler d’idéalisme. Elle veut pouvoir dire les choses et même si elle est à ce moment-là hors antenne. Elle sait très bien qu’elle est en train de s’adresser à des journalistes.
Vous avez réalisé un travail d’équipe sur le documentaire – vous en Allemagne et vos deux partenaires en Israël. Comme l’atterrissage sur la Lune – avec deux à la surface et un en orbite, dans le module de commandement. Cette manière de travailler excite ma curiosité et je me pose également une question – même si je ne veux pas revenir à vos sexes respectifs : vous êtes une femme et vos deux partenaires sont des hommes, et c’est un film consacré à l’une des femmes les plus importantes du 20e siècle. Y a-t-il eu des contributions spécifiques apportées au documentaire qui ont été motivées par le fait que vous êtes une femme ?
Oui, je suis une femme, j’ai travaillé à distance et je suis également une jeune mère. J’ai mis deux fils au monde et je dis toujours que « Golda » est mon troisième enfant. Ça a été difficile. Mais je connais Udi Nir et Sagi Bornstein depuis des années et j’entretiens un lien formidable avec eux. J’aurais souhaité avoir plus de temps à consacrer aux archives, mais je voyageais beaucoup en Israël pour tous les entretiens de production. J’ai été à distance pendant une grande partie du montage, mais ça a fonctionné.
Nous avons chacun apporté quelque chose de différent. Je suis passionnée d’histoire. Le style de Sagi, en tant que réalisateur, apparaît davantage dans les aspects émotionnels et visuels. Udi a permis d’introduire dans le film les déclarations politiques et idéalistes, les aspirations personnelles de Golda. Mais je reconnais qu’en tant que femme, j’aurais aimé voir davantage de références sur sa vision de la féminité et sur ses combats de femme. Mais c’est l’intrigue politique qui devient plus dominante.
Une des choses curieuses concernant sa vie – et je pense qu’on peut le dire au sujet de nombreuses femmes pionnières dans leur genre – est qu’en tant que précurseurs, on a tendance à leur coller l’étiquette de féministe, mais elle avait hésité.
Elle avait plus qu’hésité ! Elle était contre ! Lorsqu’on le lui demandait, elle s’opposait avec véhémence à cette définition d’elle en tant que féministe. Jamais elle ne s’était considérée comme une personnalité politique qui se définissait par son sexe. Lorsqu’on demandait à Golda ce qu’elle était, la toute première chose qu’elle répondait était : « Je suis socialiste ».
Non, ce n’est pas vrai. La première chose qu’elle disait, c’était : « Je suis juive ». Après seulement, elle disait : « Je suis socialiste ».
Ce qu’elle a finalement réalisé pour les femmes, en politique, est allé bien au-delà de ce qu’elle avait pu concevoir. Son impact sur la politique – si on l’appréhende sous l’angle du sexe – est allé bien au-delà de ce qu’elle avait à l’esprit.
Que pensez-vous des représentations de Golda dans d’autres œuvres, comme dans le film « Munich » ou dans la pièce « Golda’s Balcony » ?
« Golda’s Balcony » est un formidable exemple des différences de perception de Golda Meir en Israël et ailleurs. Jamais la pièce n’aurait connu le succès en Israël. Jamais.
Prenez encore en exemple le sondage réalisé par Gallup en 1974. Golda Meir avait été désignée comme femme la plus admirée – la toute première femme non-américaine à figurer dans le classement. Et au même moment, elle était probablement la femme la plus haïe en Israël. Un point de vue très différent.
Et c’est ça qu’on tente de briser. C’est facile de qualifier quelqu’un de diable ou de saint. Nous tentons de montrer la complexité des choses. Nous ne le faisons pas habituellement avec les responsables politiques. Nous oublions qu’ils sont des êtres humains.
Vous vivez aujourd’hui en Allemagne, comment est-elle perçue
là-bas ?
Elle suscite beaucoup de curiosité. L’idée initiale de ce documentaire nous est venue de notre procureur allemand. Il a découvert son existence et il a eu un choc : Il ne savait pas qu’une femme avait été Première ministre en Israël. Il avait cette idée d’Israël comme étant un pays très masculin – avec les généraux, etc.
Et les gens sont donc intrigués. Ça montre un côté différent d’Israël. En plus, en Allemagne, le massacre de Munich est quelque chose de sensible – une autre partie honteuse de notre histoire conjointe.
Et si vous deviez vous plonger dans l’histoire d’un autre Premier ministre : qui d’autre aurait besoin d’une réévaluation de ce qu’il a été ?
Levi Eshkol, très certainement… Il renaît un peu en ce moment. J’adorerais m’intéresser à lui et mieux le comprendre. A l’époque, il était considéré comme une personnalité un peu sombre, mais on l’apprécie davantage aujourd’hui. Toutes ses qualités de gentillesse, de calme, de patience – tous ces attributs dont on se moquait, dans le passé, seraient aujourd’hui considérés comme un avantage. Son histoire et celle de la guerre des Six Jours sont un tournant pour Israël. Tout change.
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