Ce qu’a dit Emmanuel Macron lors de son discours à Yad Vashem
"Les mots peuvent paraitre peu de choses", a déclaré le président français en introduction de son discours. "Vous voir tous ici, rassemblés, dit déjà tellement."
Journaliste
Ce jeudi après-midi, à l’occasion du 5e Forum mondial sur la Shoah organisé au mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, le président français Emmanuel Macron a prononcé un discours à la suite de ceux du président israélien Reuven Rivlin, du Premier ministre Benjamin Netanyahu, de Moshe Kantor, président du Forum mondial sur la Shoah, du président russe Vladimir Poutine et du vice-président américain Mike Pence.
« Les mots peuvent paraitre peu de choses, a déclaré Emmanuel Macron en introduction de son discours. Vous voir tous ici, rassemblés, dit déjà tellement. Auraient-ils pu l’imaginer aujourd’hui ? Être unis pour nous souvenir, pour revivre et faire revivre. »
Le président a « salué avec émotion les survivants de l’Holocauste qui sont parmi nous, les fils et filles de déportés, les Justes, les témoins, et les passeurs qui font vivre à Jérusalem la flamme éternelle de la mémoire » et les a remerciés pour faire « chaque jour œuvre d’humanité ».
Revenant sur la libération il y a 75 ans du camp d’Auschwitz-Birkenau dans la Pologne occupée par l’Allemagne nazie, le président a également salué « les soldats de la vaillante Armée rouge ».
En réponse aux discours de ses homologues, il a déclaré : « Vous avez chacun à votre tour dit ce moment de sidération de l’humanité. Mais à ce moment-là, il n’y a eu nulle fête pour célébrer la libération des camps, nul cri de joie, pas même un cri de colère. Seulement le silence et les larmes. Pour les peuples d’Europe épuisés par la guerre, ce ne fut, disait Simone Veil, pas même un évènement. Pour les survivants, ce fut à peine un soulagement. Le pire avait déjà eu lieu. Pouvait-on vraiment d’ailleurs en revenir ? Tant d’enfants ne retrouveraient jamais leurs parents ; tant de parents ne retrouveraient jamais leur enfant. Ce qu’ils avaient vécu était à la fois indicible, et pour beaucoup alors inaudible. L’innommable, l’impensable, l’impardonnable. »
Le président a ainsi exprimé et salué le besoin de certains rescapés « d’oublier par la nécessité de transmettre, de nommer l’innommable pour faire entendre aux vivants le message des morts : raconter, comme le disait Elie Wiesel. Raconter l’enfant qui, dans un abri souterrain, après une chasse à l’homme, demandait à sa mère d’une voix douce, très douce : ‘Est-ce que je peux pleurer déjà ?’ Et le mendiant malade qui dans un wagon scellé se mit à chanter pour offrir son âme à ses compagnons. Et la petite fille, qui tenant la main de sa grand-mère, lui chuchota : ’N’aie pas peur de mourir ; la vie, tu sais, n’est pas si belle qu’on le dit. Je la quitte sans regret. Elle avait 7 ans. Tout cela est vrai. Tout cela s’est passé. »
Il a rappelé la nécessité de la transmission : « Tout garder, tout transcrire, les mots, les gestes, les regards, les souffles, pour tout transmettre. Il fallait répondre à l’appel de Shimon Doubnov qui disait à ses compagnons du ghetto de Riga : ‘Frères, inscrivez tout, notez tout pour le raconter aux générations à venir.’ Il fallait poursuivre le travail d’Isaac Schneersohn qui, au cœur de la nuit, en 1943 à Grenoble, allait fonder le Centre de documentation juive contemporain. Il fallait continuer le travail de ceux qui, au cœur de l’élimination, rassemblèrent les preuves, documentèrent les crimes, constituant pièce par pièce les archives du martyr juif. Prenant leur part de cette indispensable résistance, il fallait mener l’indispensable combat pour sortir du silence, terrasser le déni, conjurer à jamais l’oubli dévastateur insupportable, coupable. Il fallait l’énergie des prophètes de vérité que furent Serge et Beate Klarsfeld pour retrouver tous les noms, les visages, les vies et traquer les assassins. Il fallait ces combats, et c’est à tous ces combattants que je veux penser ce soir avec vous. Il y eut des lieux pour se souvenir. En France, dans tant de nos pays, et tous regardent vers ce lieu : Jérusalem. Il y eut des mémoires et des histoires et il fallait un nom, et ce fut ‘Yad Vashem’. Ici, sont conservées les traces du martyr et de l’héroïsme. La mémoire du mal radical et de cet esprit de résistance. C’est pour cela que l’Holocauste ne saurait être une histoire que nous pourrions manipuler, ou utiliser, ou revisiter. »
Emmanuel Macron a poursuivi en expliquant qu’il y a « la justice, l’histoire avec ses preuves, et il y a la vie de nos nations. Ne les confondons pas, au risque de collectivement replonger dans le malheur. Nul n’a le droit de convoquer ses morts pour justifier quelque division ou quelque haine contemporaine. Car tous ceux qui sont tombés nous obligent à la vérité, à la mémoire, au dialogue, à l’amitié. Et quel est le plus beau symbole que celui de nous voir tous rassemblés et unis, de faire œuvre utile pour lutter contre le déni comme le ressentiment ou les discours de vengeance ? Quelle fierté pour moi de voir tant de pays d’Europe unis. […] L’Europe doit se tenir unie. Ne jamais oublier. Ne jamais se diviser. C’est aussi cela notre enseignement. »
Affirmant que la « communauté internationale ne doit rien oublier non plus, de ce que la barbarie est née de la négation de l’autre, du droit international et de la sécurité des nations ainsi bafouées », il a expliqué partager la volonté du président russe Vladimir Poutine de réunir les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies afin de défendre un « ordre international qui tient par le droit, la légalité et le respect de chacun ».
M. Macron a rappelé l’importance de l’unité de l’Europe et de la communauté internationale « car aujourd’hui l’antisémitisme ressurgit, violent, brutal ».
Un phénomène qui « n’est pas seulement le problème des Juifs », a répété le président, comme lors de ses précédents discours, notamment hier avec le président Rivlin. « C’est d’abord le problème des autres. Car à chaque fois dans nos histoires, il a précédé l’effondrement, il a dit notre faiblesse, la faiblesse des démocraties. Il a traduit l’incapacité à accepter le visage de l’autre. »
Il reste ainsi « la première forme du rejet de l’autre. Quand l’antisémitisme apparaît, tous les racismes prolifèrent, a ajouté le président. Toues les divisons se propagent. »
« Nous nous retrouvons là car face à ce nouvel antisémitisme, il ne faut rien céder. Nous nous battons […] par des lois, des textes, par la force de loi, par une action résolue, par la protection, dans le monde réel comme dans le monde virtuel car les discours de haine sont partout, et il nous faut éduquer, éduquer… Sans doute avons-nous raté quelque-chose. Il nous faut être lucide pour que tant de nos enfants puissent aujourd’hui croire ce qu’ils croient, replonger dans l’abjection des pires préjugés et nourrir des haines que nous pensions avoir fait disparaitre. Le souvenir est aussi une promesse. Notre présence à Yad Vashem et la présence de notre jeunesse est une promesse. Car en leur faisant revivre l’intolérable, en leur montrant l’exemple des Justes, en leur faisant toucher du doigt la barbarie, nous leur faisons aussi comprendre que l’indifférence contemporaine à l’antisémitisme comme au racisme est notre poison. L’indifférence est déjà la complicité. »
M. Macron a poursuivi en estimant que « l’antidote contre les haines contemporaines » se trouve dans l’éducation, citant ensuite Charles Péguy et ses « âmes habitués », celles qui « laissent faire ». « Nous ne laisserons pas faire ! Car la promesse de la France est bien une promesse de souvenir et d’action. »
« Souviens-toi ! », a prononcé en hébreu puis en français le président. « N’oublie jamais. Ce serment au cœur du judaïsme, la République en a fait le sien. Elle a gravé la mémoire de la Shoah dans le marbre de ses lois ; elle l’enseigne dans ses écoles. Elle a inscrit les noms de ces enfants sur les murs. La France, par la voix du président Chirac, a regardé son histoire en face et a reconnu la responsabilité irréparable de l’Etat français dans la déportation des Juifs. Elle sait aussi tout ce qu’elle doit à tous ceux qui, dans les villages de France, dans les églises, ont caché et protégé nos enfants, permettant de sauver 240 000 Juifs de France, 50 000 enfants, quand 11 000 furent déportés. Elle sait ce qu’elle doit à son esprit, et ces forces de résistance. »
Dans un appel à lutter contre le négationnisme, il a déclaré : « Alors ceux qui nient, relativisent ou s’habituent trouveront toujours face à eux la réponse implacable de notre action. Nos survivants sont nos héros et ils sont devenus des passeurs. Ils ont inspiré des générations de passeurs et, à leur tour, nos enfants auront à le devenir. Nos enfants deviendront ces témoins, intraitables à leur tour car ils seront par ce lieu et par leur apprentissage « ceux qui savent que nous n’avons pas le droit d’oublier, que le récit des vies de nos disparus est devenu inarrêtable ».
« À leur tour, nos enfants s’inspireront de l’exemple des Justes, à leur tour nos enfants auront à défendre la démocratie et l’humanisme si fragiles et toujours à reconquérir. Puissions-nous aujourd’hui, tous ensembles inspirer un peu notre jeunesse afin qu’elle trouve ce courage et afin qu’à son tour elle se tienne debout, fière de nos valeurs, et qu’elle n’y cède rien ! Et qu’à son tour, elle puisse dire, sachant tout ce qu’elle aura vu, vécu et compris : ‘Plus jamais ça, plus jamais ça’ », a-t-il conclu.
Son discours a été suivi de ceux du prince Charles de Galles, du président Frank-Walter Steinmeier de la République fédérale d’Allemagne, du rabbin Israel Meir Lau, président du Conseil de Yad Vashem, et d’Avner Shalev, président de la direction de Yad Vashem de l’Autorité de la mémoire des martyrs et des héros de l’Holocauste. La cérémonie, entrecoupée d’interludes musicales, s’est conclue par un dépôt d’une gerbe de fleurs par chaque nation présente, des prières, une minute de silence en hommage aux victimes de la Shoah, une photo entre dirigeants et le chant de l’Hatikva, l’hymne israélien.