Ces universités américaines prises au piège des accords avec les étudiants anti-Israël
Pour calmer les manifestations suite au 7 octobre, des universités ont accepté de réfléchir au désengagement financier avec Israël, mais pour certains militants, c'est insuffisant
JTA – La veille de sa réunion, début septembre, le Conseil d’administration de l’Université de Washington (UW) a reporté un point très important de l’ordre du jour, à savoir le vote d’une proposition visant à se désinvestir d’Israël. Cette université publique de Seattle entendait ainsi éviter des manifestations, mais cela n’a pas marché.
Les manifestants, motivés pour l’essentiel par la récente mort par balle d’une diplômée de l’UW tué par un soldat israélien en Cisjordanie, se sont malgré tout présentés en très grand nombre à cette réunion dans le but de plaider en faveur du désinvestissement. Ils ont chahuté et hué des intervenants juifs venus demander à l’université d’en faire davantage pour protéger les étudiants juifs contre l’antisémitisme.
« On nous a traités de ‘génocidaires’ », confie à la Jewish Telegraphic Agency, Solly Kane, PDG de la Jewish Federation du Grand Seattle. « Une fois de plus, nous sommes venus parler de ces étudiants juifs qui vont en classe à pied et doivent passer devant un campement et des graffitis, ce qui était très courant l’an dernier à l’université. »
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La foule s’est faite si sonore que la police du campus a dû escorter les administrateurs de l’université et les intervenants juifs et les faire sortir par une issue de secours. Selon un porte-parole de l’UW, un manifestant non affilié à l’université a été interpelé.
La présidente sortante de l’UW, Ana Mari Cauce, a critiqué les manifestants dans un communiqué, en déclarant : « La liberté d’expression de ses opinions, sachant que certains ne seront pas d’accord, n’est pas un permis d’intimider ou de menacer les autres. » Les présidents sortant et entrant du conseil ont également condamné les manifestants.
« Les intervenants abordant les questions de travail et ceux appelant au désinvestissement d’Israël ont parlé sans être interrompus mais lorsque les intervenants juifs opposés au désinvestissement et préoccupés par l’antisémitisme sur le campus ont commencé à parler, ils ont été interrompus à plusieurs reprises par les manifestants », ont-ils déclaré par voie de communiqué.
Conséquence de toute cette agitation : incapable de rétablir l’ordre, le Conseil a pris la décision sans précédent de mettre fin à sa réunion.
Cet incident est le signe d’une nouvelle dynamique de l’activisme anti-Israël sur les campus aux États-Unis, près d’un an après l’attaque dévastatrice du Hamas du 7 octobre en Israël et le début de la guerre à Gaza.
Cela fait des années que les militants anti-israéliens et pro-palestiniens, qui comparent leur action aux campagnes contre l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, tentent de persuader les universités de se dégager de leurs investissements israéliens, mais sans grand succès.
Leurs manifestations de ce printemps ont poussé plusieurs établissements, à l’instar de l’UW, à conclure des accords pour étudier le désinvestissement, souvent sous les objections de nombreuses organisations juives. De leur côté, les Conseils d’administration des universités ont tenu leur promesse d’examiner la question, mais les manifestants redoublent d’activisme et certains d’entre eux sont même invités à faire des présentations aux autorités universitaires.
Mais contrairement à la situation en Europe, aucune université des États-Unis n’a encore décidé de se désinvestir d’Israël.
Dimanche, les autorités de l’Université Wesleyan ont refusé un projet de désinvestissement proposé par les étudiants. Avant le vote, dont le principe avait été accepté par le président juif de l’établissement, des militants pro-désinvestissement ont occupé un bâtiment de l’université et utilisé sans autorisation le système de messagerie électronique de l’université pour demander aux anciens élèves d’ « inonder les boîtes de réception » des 36 administrateurs de l’établissement.
Après avoir permis aux militants de plaider en faveur du désinvestissement auprès de ses administrateurs au printemps dernier, l’Université du Minnesota a annoncé le mois dernier l’adoption d’une approche « neutre » en matière de financement, tout en rejetant explicitement les appels à renoncer aux engagements financiers avec Israël.
L’Université du Michigan et ses administrateurs ont catégoriquement refusé toute perspective de désinvestissement, et ce, alors même que les manifestations contre les membres de son conseil d’administration se poursuivent. En mai, le président de l’université d’État de Sonoma, en Californie, a été mis en congé pour « insubordination » après avoir accepté d’envisager le désinvestissement. Son accord avec les étudiants a été annulé peu de temps après.
Et la semaine dernière, l’Université de Virginie a annoncé sa décision de ne pas se désolidariser des entreprises qui font des affaires avec Israël. Cette annonce surprise a fait suite à un vote non contraignant du corps étudiant, en février dernier, au cours duquel une majorité de votants – sur les 8 000 étudiants que compte le campus – s’est déclarée favorable à ce que leur établissement se défasse de ses liens financiers avec Israël.
Mais les pressions autour du désinvestissement ne se limitent pas aux universités : le conseil municipal de Portland, dans le Maine, a récemment voté en faveur du désinvestissement des entreprises faisant des affaires avec Israël, rejoignant ainsi trois autres municipalités américaines, alors que nombre d’autres ont rejeté, déposé ou repoussé des appels au désinvestissement.
Mais les dotations universitaires – qui figurent parfois parmi les sommes les plus importantes aux mains du secteur privé et peuvent être sensibles aux pressions extérieures – ont fait l’objet d’un activisme intense, de part et d’autre. La semaine dernière, l’Anti-Defamation League (ADL) a publié un rapport, co-écrit par le groupe d’activistes pro-israéliens JLens, invitant les universités à ne pas désinvestir au motif que les 100 premières dotations subiraient des pertes de plus de 33 milliards de dollars.
« Les appels lancés aux universités pour qu’elles se désinvestissent des entreprises qui font des affaires avec Israël sont non seulement moralement dangereux, mais ils peuvent également l’être sur le plan financier », a déclaré Jonathan Greenblatt, PDG de l’ADL, par voie de communiqué. « Les comités d’investissement des universités ont la responsabilité fiduciaire de gérer avec prudence les deniers des établissements. »
Ari Hoffnung, directeur général de JLens, a expliqué à la JTA que le rapport ne disait rien des probabilités de réussite des campagnes de désinvestissement, se bornant à expliquer ce que les universités auraient à y perdre.
« Nous pensons qu’il est crucial que les dirigeants et parties prenantes des universités comprennent bien les implications financières, sans oublier les considérations morales et éthiques », a-t-il déclaré.
L’Université d’État de San Francisco a récemment annoncé sa décision de réallouer les fonds des entreprises qui tirent au moins 5 % de leurs revenus de la fabrication d’armes.
L’établissement, désireux de faire des investissements plus respectueux du climat, n’a pas mentionné Israël dans sa décision, et le directeur de SF Hillel, Roger Feigelson, a déclaré à la JTA que sa présidente « avait été très claire sur le fait qu’elle n’envisageait pas d’examiner le BDS ou Israël en particulier ». (Le Conseil des relations de la communauté juive de la région de la baie a adopté un point de vue plus prudent, exprimant sa préoccupation que l’activisme pro-palestinien ait influencé le processus de prise de décision.)
D’autres tests de la tendance plus ou moins grande au désinvestissement sont attendus cet automne. L’Université d’État Evergreen de Washington, longtemps un bastion de l’activisme pro-palestinien, a convenu avec les manifestants en mai de créer un comité chargé d’examiner le désinvestissement d’entreprises qui « profitent des violations flagrantes des droits de l’homme et/ou de l’occupation des territoires palestiniens ». Ses recommandations sont attendues d’ici la fin de l’année.
Le test le plus attendu devrait bientôt avoir lieu à l’Université Brown. Cet établissement de l’Ivy League a été l’un des premiers à conclure un accord avec les responsables de son campement ce printemps, pour la tenue d’un vote sur le désinvestissement lors de la prochaine réunion du conseil d’administration de l’école en octobre.
Au moment de la conclusion de l’accord, les dirigeants juifs de l’université étaient persuadés que cela n’aboutirait à rien.
« Brown ne va pas se dégager de ses liens avec Israël. Il n’a jamais été question que Brown fasse une chose pareille », déclarait le rabbin Josh Bolton, directeur de Brown/RISD Hillel, à la JTA en mai dernier.
Mais à mesure que le vote se rapproche et que les représentants étudiants du Brown Divest Committee demandent désormais officiellement que l’université se défasse de ses relations avec 10 entreprises ayant des liens avec Israël, la colère et l’anxiété sont montées d’un cran.
« On ne sait pas vraiment ce que va donner ce vote », dit maintenant Bolton.
Une vingtaine de procureurs généraux d’État républicains ont récemment envoyé un avertissement à l’université pour lui dire que tout désinvestissement d’Israël serait de nature à enfreindre les lois de l’État punissant le boycott d’Israël. Les choses se sont encore envenimées lorsqu’un membre juif de la Brown Corporation, le Conseil d’administration de l’université, a démissionné en signe de protestation contre la tenue de ce vote.
« La direction de l’université a, pour une raison qui lui est propre, choisi de récompenser, plutôt que de punir, les militants qui perturbent la vie sur le campus, enfreignent les règlements de l’université et promeuvent la violence et l’antisémitisme à Brown », a écrit le gestionnaire de fonds spéculatifs Joseph Edelman dans sa lettre de démission.
La présidente de Brown, Christina Paxson, qui est juive, y a réagi en expliquant dans une lettre publiée dans le Wall Street Journal qu’Edelman « ne comprenait manifestement pas et déformait malheureusement » la décision prise par l’établissement en vue de ce vote.
Paxson, dont le comité consultatif financier publiera sa recommandation sur la question la semaine prochaine, a déclaré que ce vote était conforme aux procédures traditionnelles de Brown permettant aux « membres de sa communauté de faire des propositions de désinvestissement ». Une centaine de membres du corps professoral de l’université ont signé une lettre favorable au désinvestissement.
L’université n’a pas donné plus de précisions sur ce vote, à commencer par la date à laquelle il aura lieu, mais des membres de l’établissement estiment qu’il aura lieu à la mi-octobre. « Nous estimons que certains aspects de l’ordre du jour des réunions de Brown Corporation ne sont pas des informations publiques », a indiqué à la JTA le porte-parole Brian Clark.
Pour Bolton, le simple fait que ce vote ait lieu est la preuve que « nous payons déjà le prix du désinvestissement », puisque les manifestants en font déjà une victoire symbolique. Pour autant, il dit rester confiant quant au fait que le conseil rejettera la proposition de désinvestissement.
« Le désinvestissement est demandé par des gens déraisonnables », commente-t-il. « Mais au final, cette institution est dirigée par des gens très raisonnables, avec le sens des nuances et des complexités et de la délicatesse ; ils ne vont pas trahir cet établissement pour des questions politiques. »
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