Israël en guerre - Jour 472

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'Jacob devient Israël parce qu’il maintient la lutte avec Dieu, dans l’épreuve même. Continuer la lutte, telle est la tâche que cette œuvre nous lègue'

Comprendre la pensée juive d’André Neher

Sous la direction de David Lemler, enseignant au Département d’études hébraïques et juives de l’Université de Strasbourg fondé il y a 60 ans par Neher, paraît un ouvrage collégial pour rendre hommage à l’un des penseurs juifs d’expression française le plus important du 20e siècle

André Neher et son épouse René Rina Neher-Bernheim dans leur appartement de Jérusalem ouvert à tous. (Crédit : autorisation
André Neher et son épouse René Rina Neher-Bernheim dans leur appartement de Jérusalem ouvert à tous. (Crédit : autorisation

La redécouverte — et le terme semble déconcertant tant le parcours de cet intellectuel juif est fondamental dans la pensée juive de langue française contemporaine — de l’œuvre d’André Neher est une tâche indispensable pour préserver l’identité culturelle d’un judaïsme français relégué à un passé fécond dont on ferait volontiers référence avec nostalgie.

Alors qu’il y a 60 ans, il créait le premier département Département d’Études hébraïques et juives à l’université de Strasbourg, un grand colloque organisé pour cet anniversaire lui rendait hommage. André Neher : Figure des études juives françaises qui vient de paraître aux éditions Hermann, sous la direction de David Lemler, en constitue les Actes.

Par son œuvre, André Neher s’est attaché à rendre au judaïsme une place majeure dans le grand débat des cultures. Rabbin, philosophe et professeur, il fit le choix de partir d’une approche nouvelle du texte biblique en hébreu, sans pour autant se départir de l’enseignement traditionnel, afin d’aboutir à un langage neuf.

Dans le cadre de l’École de pensée juive de Paris dont il fut l’un des chefs de file avec Emmanuel Levinas, mais aussi à l’université de Strasbourg avec l’Ecole de Strasbourg, André Neher a formé une génération de penseurs juifs dont les recherches ont pérennisé l’inscription des études juives dans une attitude humaniste. L’importance de l’émulation intellectuelle existante avec son épouse, René Rina Neher-Bernheim, a sans aucun doute été décisive dans sa mission.

Ainsi que nous le confie David Lemler, interrogé spécialement par le Times of Israël, l’enseignement de l’hébreu qu’il initia dans une université française — une première ! – fut révolutionnaire :

Selon David Lemler, docteur en philosophie : « A travers les différentes contributions qu’il rassemble, le livre donne un aperçu d’ensemble de la vie et de l’œuvre de Neher ». (Crédit : autorisation)
Selon David Lemler, docteur en philosophie : « A travers les différentes contributions qu’il rassemble, le livre donne un aperçu d’ensemble de la vie et de l’œuvre de Neher ». (Crédit : autorisation)

La création de ce département s’est faite progressivement à partir d’une chaire de littérature hébraïque ancienne et moderne qui fut créée pour André Neher. La création de cette chaire marque une reconnaissance institutionnelle d’une certaine approche de la culture juive, mise en œuvre par Neher dans sa thèse sur le livre d’Amos.

L’approche de Neher de la Bible se veut une approche juive, nourrie de la tradition des commentateurs juifs traditionnels et non pas uniquement de la science historico-critique qui prévalait à l’Université. Il va de soi que cette reconnaissance institutionnelle prend tout son sens au lendemain de la guerre.

Pour Neher, il s’agissait de rien moins que de faire renaître la pensée juive après la Shoah. Pour l’Université, il s’agit de reconnaître une dette et un tort. Avec la chaire puis l’institut d’hébreu, c’est aussi l’hébreu moderne, comme langue vivante et langue de culture, qui fait son entrée à l’Université française. Mais c’est l’hébreu moderne envisagé comme l’héritier d’une longue tradition et d’une longue histoire remontant jusqu’à la Bible, qui le travaille de l’intérieur parfois malgré lui.

Une autre femme a joué un rôle intellectuel important à ses côtés, notamment dans le cadre du Colloque des intellectuels juifs de langue française : Eliane Amado Lévy-Valensi. C’est ensemble qu’ils rejoindront l’État d’Israël quelque temps après la guerre des Six Jours.

À leurs côtés, Benno Gross, Théo Dreyfus, Dov Ercenberg, Raphaël Draï et d’autres participèrent à l’expérience initiée à l’École française de Bar Ilan, où E. Amado Lévy-Valensi réussit à créer une chaire de pensée juive et philosophique, matières étudiées simultanément pour la première fois en Israël.

André Neher : Figure des études juives françaises vient de paraître aux éditions Hermann
André Neher : Figure des études juives françaises vient de paraître aux éditions Hermann

Dans leur appartement de Jérusalem, André Neher et son épouse ne refusaient jamais à des étudiants, des jeunes chercheurs de les recevoir et de les guider avec beaucoup de gentillesse. Il faudrait néanmoins nuancer l’importance de l’élan parti de France avec l’alyah de ces penseurs, qui ne réussit pas à imprégner les milieux intellectuels israéliens : en Israël, André Neher demeura un penseur juif de langue française méconnu de la société israélienne.

Alors qu’André Neher nous a quittés il y a quasiment 30 ans, son œuvre demeure-t-elle toujours d’actualité et mérite-t-elle de s’y intéresser ? C’est la question qui a été posée à David Lemler. Il y répond ainsi :

« La question se pose en effet à propos d’André Neher. Vous ne l’auriez pas posée par exemple à propos d’Emmanuel Levinas.

De fait, si le nom de Neher demeure une référence, l’œuvre demande à être réappropriée par une jeune génération de lecture. Les écrits de Neher ont peut-être souffert du fait qu’ils collent assez directement aux événements contemporains : la Shoah, puis la création de l’État d’Israël et le tournant de la guerre de Six Jours, qui l’a conduit à rejoindre Jérusalem dès 1967. De ce point de vue, l’œuvre de Neher est déjà intéressante en tant que témoignage d’un certain moment de la pensée juive. »

« Mais il me semble que l’approche neherienne de la Bible demeure pertinente aujourd’hui. Il y a vu une ressource pour une pensée juive actuelle. Son grand livre l’Exil de la parole est à cet égard exemplaire. C’est une réflexion partant du scandale théologique que constitue la Shoah. Neher s’efforce de montrer que le scandale du silence de Dieu est déjà un thème biblique, central dans la relation que la Bible s’efforce de construire difficilement entre les hommes et Dieu. La notion centrale de l’alliance repose sur une économie de la parole et du silence divin. »

« La création du monde est l’avènement de la parole qui n’est possible que sur le fond d’un silence primordial. Toute l’histoire biblique est ensuite celle de la difficulté de construire un dialogue entre les hommes et Dieu. La lutte de Jacob et de l’ange est un épisode central pour Neher : Jacob devient Israël parce qu’il maintient la lutte avec Dieu, dans l’épreuve même. Continuer la lutte, telle est la tâche que cette œuvre nous lègue. »

André Neher n’a eu de cesse d’inspirer les études hébraïques et juives, tendant à conforter l’impérieuse actualité de ce penseur juif contemporain. Aujourd’hui, en France notamment et dans les milieux francophones israéliens, la pertinence et l’actualité de la pensée d’André Neher sont au cœur de nombreuses études et cercles de réflexion.

En conséquence, le public de cet ouvrage s’annonce le plus large possible. Toujours selon cet enseignant du Département d’Études hébraïques et juives de l’université de Strasbourg qui nous confie :

« À travers les différentes contributions qu’il rassemble, le livre donne un aperçu d’ensemble de la vie et de l’œuvre de Neher. Il est question de certains aspects méconnus de sa vie : son rôle central dans la vie intellectuelle juive d’après-guerre et dans la communauté juive française, à travers son engagement pour l’accueil des juifs d’Afrique du Nord notamment. »

« Le livre revient également sur la spécificité de ce qu’il appelait ‘pensée biblique’ et qu’il voyait comme un type de pensée spécifique, distinct de la philosophie occidentale. On y trouvera également des extraits de sa correspondance inédite qui illustrent son activité d’intellectuel militant, ainsi que des réflexions sur son rapport à d’autres grands penseurs juifs du 20e siècle (Abraham Heschel, Franz Rosenzweig, Hermann Cohen, Max Weber). Le livre s’adresse donc aux lecteurs qui connaissent déjà l’œuvre, comme aux curieux qui souhaitent la découvrir. »

Dans ce volume qui retrace le parcours intellectuel de ce chef de file de l’École de pensée juive de Paris, deux générations — des disciples et des jeunes chercheurs — se côtoient pour témoigner de la vitalité de ses questionnements. À découvrir.

André Neher : Figure des études juives françaises, aux éditions Hermann, sous la direction de David Lemler, 274 pages, 35 euros

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