COVID-19 : Six réflexions pour éviter un nouveau chaos, par Eli Waxman
Pour l'ex-conseiller à la Santé, conseiller le gouvernement est revenu à "me taper la tête contre un mur" ; il détaille ce qu'il faut faire - et vite - pour éviter un désastre
Les dirigeants israéliens doivent absolument cesser de se focaliser sur des solutions « issues du Moyen-Age » dans la lutte contre la pandémie de coronavirus et ils doivent aussi prendre des mesures judicieuses – qui auraient dû être prises depuis longtemps – pour éviter une débâcle des services de santé, avertit un ancien haut-conseiller du gouvernement.
Pour le professeur Eli Waxman, la crise du virus actuelle en Israël n’est pas une surprise mais elle résulte d’un manque de planification et de la désinvolture de l’attitude des politiciens à l’égard de la confiance publique.
Waxman était à la tête de la Commission chargée de la lutte contre la pandémie des conseillers experts, au sein du Conseil national de sécurité. Il avait utilisé ce poste pour recommander vivement la mise en place d’une stratégie claire de gestion du coronavirus et pour prôner la nécessité de veiller à minimiser l’impact d’une seconde vague, raconte-t-il au Times of Israel, ce qui est revenu à « me taper la tête contre un mur de briques ».
Il estime dorénavant que l’Etat juif est sur la voie d’un « scénario dangereux ».
« Quand le nombre de patients, dans les unités de soins intensifs, dépasseront le millier, alors la qualité des soins sera fortement affectée, le taux de mortalité augmentera de manière significative et la mortalité issue d’autres maladies augmentera également », explique-t-il.
Mardi matin, Israël comptait 664 malades du coronavirus dans les hôpitaux dont 264 dans un état grave. Il y a actuellement 29 434 personnes infectées, selon les chiffres officiels.
Waxman, professeur de physiques à l’Institut Weizmann, a quitté son poste au Conseil national de sécurité nationale au mois de mai après avoir remis un rapport qui a été largement ignoré. Il y suggérait des mesures à prendre – notamment l’établissement d’un centre de contrôle d’urgence réunissant divers acteurs de l’Etat, sous la direction d’anciens hauts-responsables militaires, et la dilution du rôle du ministère de la Santé.
Il dit ressentir aujourd’hui « beaucoup de frustration au vu de l’échec du gouvernement à mettre de telles recommandations en oeuvre, ce qui nous entraîne vers une autre crise ».
Il a néanmoins la certitude qu’il est encore temps pour Israël de changer les choses.
« Il y a de l’espoir », affirme-t-il. « On peut vivre avec cette pandémie, c’est possible mais il faut entreprendre, dès aujourd’hui, les bonnes actions ».
S’exprimant auprès du Times of Israel, il souligne six mesures qui, selon lui, sont vitales.
1. Reconnaître que le confinement est un outil « du Moyen-Age »
Waxman pense que le confinement a été surexploité et qu’il ne devrait même pas figurer aujourd’hui à l’ordre du jour. Il estime que le confinement initial a été trop strict en empêchant les citoyens de s’aventurer au-delà de cent mètres autour des habitations – une décision qui, selon lui, était dénuée de toute base épidémiologique.
Waxman ajoute qu’au lendemain du confinement, quand Israël aurait dû mettre en place des mesures pour s’assurer que la situation ne se détériorerait pas une fois encore, les leaders s’étaient assis sur les lauriers du succès remporté face à la maladie par cette mise à l’isolement nationale. Il déclare : « Un autre confinement serait maintenant un signal de notre échec à construire des outils alternatifs permettant de gérer une pandémie sans avoir recours à une fermeture totale ».
« Nous avons eu des mois pour mettre en place des moyens pour éviter cette situation et nous ne l’avons pas fait et, pour cette raison, il semble qu’il ne reste que cet outil unique du confinement, issu du Moyen-Age. Ce n’est pas ainsi que les choses auraient dû se passer ».
Il veut que les dirigeants cessent dorénavant de prôner la mise en place d’un nouveau confinement et qu’ils investissent lourdement à la place dans le développement d’autres capacités qui, à son avis, offrent un potentiel de gestion de la pandémie bien meilleur.
2. Des mesures trop tardives et qui manquent d’ambition
Israël est actuellement en train de réimposer de nouvelles restrictions, qui sont applicables en particulier le week-end. Dernier développement en date, mardi matin, les restaurants ont eu l’interdiction d’accueillir des clients dans leurs salles par décision du cabinet – une décision qui a été toutefois renversée dans la foulée par la Knesset.
Waxman dit que le gouvernement a procrastiné avant de prendre les mesures les plus récentes, qu’il n’y en a pas suffisamment et que l’idée d’imposer certaines règles exclusivement pendant le week-end est une erreur – car c’est en les mettant en oeuvre toute la semaine qu’elles seront susceptibles d’avoir un impact.
Pour lui, Israël doit cesser toutes ses activités, à l’exception du travail et des interactions essentielles.
Waxman déclare : « Je pense que nous devons mettre un terme à toutes les activités relevant du loisir et du divertissement – et cela comprend la fermeture des plages. La densité de population, sur les plages, est très élevée et c’est une circonstance à haut risque ».
La commission Corona à la Knesset a voté, lundi, le maintien de l’ouverture des piscines et de l’accessibilité aux plages pendant le week-end, contredisant une décision du cabinet qui avait été prise la semaine dernière.
Le conseiller recommande également l’arrêt immédiat des classes d’été proposés aux élèves de CE1 et plus, ainsi que le report de la rentrée scolaire en l’absence d’une réduction significative du nombre de cas de coronavirus.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affirmé, lundi, qu’il n’avait pas l’intention d’interrompre les cours en cette saison estivale. Et le ministre de l’Education, Yoav Gallant, a indiqué lundi que « les établissements scolaires ouvriront leurs portes le 1er septembre. Point final ».
Waxman commente les dernières mesures mises en place en regrettant qu’elles aient été décidées « trop tardivement. Elles auraient dû être mises en place bien plus tôt. Elles sont partielles et elles présentent des failles. Il n’y a aucun bénéfice à tirer de l’attente ».
Il ajoute que « plus nous allons attendre, moins les actions que nous entreprendrons seront décisives, plus il y aura de dégâts. Nous risquons de mettre en péril le système hospitalier en Israël et nous en paierons un prix élevé. Nous devons mettre en place des actions décisives ».
3. Nouveau diagnostic : La pandémie n’a jamais été « une crise médicale »
Waxman est convaincu qu’il faut appréhender la pandémie comme une crise générale, regrettant que le gouvernement israélien l’ait cataloguée comme étant une simple crise médicale.
« La crise que nous affrontons aujourd’hui n’a jamais été une crise médicale », explique-t-il. « Elle a des aspects médicaux, mais les défis qu’elle pose sont d’ordre professionnel et managérial, et ils ont également à voir avec la collecte et l’analyse de données, le suivi des contacts et la construction d’infrastructures permettant de gérer les mises à l’isolement. Ces défis n’ont souvent rien à voir avec les capacités sanitaires, et il est malheureux que seul le ministère de la Santé ait hérité de la prise en charge de la crise ».
Waxman avait affirmé dans son rapport du Conseil de sécurité national – et il continue aujourd’hui de l’affirmer – que l’ampleur du défi signifiait qu’une alliance nationale était nécessaire pour le relever, et que l’unique prise en charge de la pandémie par le ministère de la Santé devait nécessairement être défectueuse car ce dernier, il en est convaincu, manque des capacités appropriées.
La mise en place d’une telle alliance – qui s’appuierait lourdement sur l’expertise militaire – en plus de relever du bon sens, mettrait Israël dans des conditions optimales pour conserver le contrôle de la pandémie. Il ajoute qu’il ne comprend pas pourquoi le gouvernement n’a pas approuvé l’idée.
4. Cesser les attitudes désinvoltes face à la confiance publique
Waxman estime que l’attitude du gouvernement à l’égard du public a été plutôt désinvolte, tandis que les dirigeants auraient dû faire preuve d’attention à l’égard des citoyens. Il ajoute que le gouvernement aurait dû imposer les restrictions en justifiant leur nécessité, avec des objectifs clairement communiqués, des calendriers et des finalités. Au lieu de cela, le gouvernement nourrit un sentiment permanent d’incertitude. De son point de vue, cette incertitude résulte, de manière évitable, de décisions prises à la dernière minute et à la va-vite, qui viennent modifier les règles déjà établies et entraînent la confusion chez les Israéliens.
Waxman dit qu’en ne communiquant pas de manière claire et transparente, le gouvernement a épuisé la bonne volonté des citoyens trop rapidement et que ces derniers manquent dorénavant de la confiance nécessaire pour se conformer à de nouvelles instructions. Selon son analyse, une communication nette, qui gagnerait la confiance et l’adhésion du public, doit être l’une des principales priorités du gouvernement.
Il indique qu’il « est crucial de présenter un plan d’ensemble avec des phases clairement établies dans les mesures de restriction associées à différents aspects de la pandémie, et il faut une explication claire de la manière dont la pandémie sera prise en charge à long-terme et de la manière dont nous saurons l’appréhender sans mettre en place un nouveau confinement ».
5. « Il n’y avait pas de plan, tout simplement ». Faites-en un aujourd’hui
Le gouvernement a été dans l’incapacité de gérer correctement les attentes du public parce qu’il manque d’un plan clair, note Waxman.
« Ce n’est pas comme s’il y avait eu un plan au niveau gouvernemental qui n’a pas été ensuite communiqué », précise-t-il. « Il n’y avait pas de plan, tout simplement ».
Le gouvernement doit rapidement se préparer à différents scénarios, en envisageant quelles actions seront entreprises dans des circonstances variées et il doit présenter ses plans en toute transparence au public israélien.
« Nous devons définir plusieurs états d’urgence qui soient clairs pour le public comme pour les décisionnaires, et permettre aux gens de savoir, lorsqu’ils regardent les chiffres, si nous sommes en train d’atteindre un niveau d’urgence plus élevé », dit-il.
6. Cesser de ne pas exploiter l’immense pouvoir du dépistage
Waxman remarque qu’Israël effectue un grand nombre de tests de dépistage, mais qu’il n’y a pas de suivi des contacts chez de nombreux malades, cette capacité n’ayant pas été correctement développée.
Dans des pays comme le Royaume-Uni et l’Allemagne – et dans un grand nombre d’étais américains – le nombre d’épidémiologistes assurant le suivi des contacts des porteurs du coronavirus par tête est cent fois plus élevé qu’au sein de l’Etat juif, selon des chiffres qui ont été rendus publics jeudi par l’administration des renseignements militaires.
Israël s’appuie, pour sa part, sur le programme de surveillance controversé du Shin Bet pour suivre les personnes ayant été exposées au virus, même si le suivi a prouvé qu’il était défaillant.
Pour Waxman, ce suivi limité des contacts est une opportunité manquée dont le pays paie le prix.
« Afin de faire disparaître l’épidémie, il faut suivre un cycle : Celui du dépistage, du suivi des contacts et de la mise à l’isolement des contacts dans les quarante-huit heures qui suivent le test. De cette façon, il sera possible de diminuer de manière spectaculaire le nombre d’infections causées par les contacts et donc, de ‘tuer’ la pandémie », déclare-t-il.
« Si on se contente de se faire dépister, ou si le processus prend trop longtemps, alors les contacts vont infecter d’autres personnes et il sera impossible d’avoir un impact sur la propagation de la maladie. L’attitude du ministère de la Santé, c’est de dire que les tests servent à identifier les malades pour qu’ils soient pris en charge au niveau médical, pas pour briser la chaîne des infections. Et il échoue par conséquent à faire appliquer le processus test-de-dépistage-suivi- mise en quatorzaine dans un délai approprié ».
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article