Israël en guerre - Jour 349

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AnalyseTrump vit et pense sur l’instant, entre égo politique et rixes médiatiques fugaces. Netanyahu se voit comme la pointe d’une histoire longue et exigeante

Damnation sous l’éloge assourdissant : pourquoi Netanyahu n’est pas impressionné par Trump

Netanyahu et Abbas prodigueront tous deux des accolades au président américain pendant sa visite, mais lui font-ils assez confiance pour prendre les risques politiques qu’il réclamera, simplement pour le voir heureux ?

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à gauche, et le président américain Donald Trump, à la Maison Blanche, le 15 février 2017. (Crédit : Saul Loeb/AFP)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à gauche, et le président américain Donald Trump, à la Maison Blanche, le 15 février 2017. (Crédit : Saul Loeb/AFP)

La comparaison est souvent faite entre l’élection du président américain Donald Trump l’année dernière, le vote du Royaume-Uni pour le Brexit, la montée du soutien aux politiciens européens d’extrême-droite comme Marine Le Pen en France, la montée des politiciens fanfarons comme le président des Philippines Rodrigo Duterte, etc.

Le monde démocratique est en proie à une « montée populiste », dit-on, qui pourrait secouer les fondations de l’ordre du monde libéral.

Les élites libérales se concentrent de plus en plus sur Israël pour mettre dans la même catégorie du narratif de la montée de la droite populiste le Premier ministre Benjamin Netanyahu.

La connexion est faible, les preuves tirées presque uniquement des informations : Netanyahu fait des déclarations « populistes » sur les électeurs arabes le jour des élections ; Netanyahu est soutenu par une grande partie des soutiens de Trump : les Sheldon Adelson et les Congrès juif républicain de la droite juive américaine.

Mais ce narratif pratique correspond-il à une réalité complexe ?

Netanyahu n’est pas vraiment un populiste, et il n’est certainement pas Trump, à la fois parce qu’il n’est pas si populaire même auprès de ses propres électeurs, et parce qu’il ne pense pas que son identité politique soit ancrée dans le renversement d’un ordre ou d’une élite politique établis.

Le président américain Donald Trump et le Premier ministre Benjamin Netanyahu pendant une conférence de presse conjointe à la Maison Blanche, à Washington, le 15 février 2017. (Crédit : Saul Loeb/AFP)
Le président américain Donald Trump et le Premier ministre Benjamin Netanyahu pendant une conférence de presse conjointe à la Maison Blanche, à Washington, le 15 février 2017. (Crédit : Saul Loeb/AFP)

Mais il existe une division plus profonde entre les deux dirigeants, qui deviendra de plus en plus visible quand Trump fera pression pour son initiative de paix dans les prochains mois, et se rendra compte que son envie de léguer un héritage entre en collision avec la crainte de Netanyahu devant ce que le Premier ministre perçoit comme des concessions irresponsables : Trump vit et pense sur l’instant, entre égo politique et rixes médiatiques fugaces. Netanyahu se voit comme la pointe d’une histoire longue et exigeante.

En 2013, pendant un évènement au Congrès américain marquant la fin du mandat d’ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis de Michael Oren, Netanyahu avait décrit cette sensibilité avec des termes frappants (la citation est extraite des mémoires d’Oren, Ally.)

« L’Histoire n’est pas simplement la plate chronique des évènements, avait dit Netanyahu. L’Histoire est une compréhension des forces qui travaillent, des valeurs qui façonnent l’action présente et dirigent le futur. Si vous avez acquis cette connaissance, vous gagnez de la puissance d’une manière que vous ne pouvez pas obtenir en regardant les informations du soir ou en lisant les éditoriaux du matin. Nous vivons dans un âge a-historique, où la mémoire de la plupart des gens remonte au petit-déjeuner, mais si vous êtes armés de cette connaissance, vous avez un pouvoir immense pour le bien. »

Ce n’était pas simplement du sarcasme. C’est la vision de lui-même qui définit Netanyahu.

Dans son livre Les pères fondateurs du sionisme, le célèbre historien Benzion Netanyahu, le père décédé du Premier ministre, avait identifié une « ligne de division visible dans notre histoire, une sorte de coupe transversale entre deux grandes époques : notre peuple, qui dans le passé lointain a produit de nombreux individus qui ont excellé dans la perception du futur, s’est transformé dans sa période d’exil en nation qui semble être coincée dans l’aveuglement à ce sujet. Il est stupéfiant qu’à aucune période, dans les annales de notre exil, jusqu’au début de notre lutte pour l’émancipation [au 18e siècle], nous ne puissions discerner une attention à ce qui semble se produire, ou un pronostic de ce que le futur proche pourrait apporter. Nous n’avons pas vu venir les grandes catastrophes (comme l’expulsion de l’Espagne), aussi proche leur arrivée soit-elle, et par conséquent, nous les avons toujours reçues comme des ‘coups de tonnerre dans un ciel bleu’. »

Benjamin Netanyahu with his father, Professor Benzion Netanyahu, in his Jerusalem home (Photo credit: Nati Shohat/ Flash 90)
Benjamin Netanyahu avec son père, le professeur Benzion Netanyahu, dans sa maison de Jérusalem, en 2013. (Crédit : Nati Shohat/Flash90)

Avec l’avènement du sionisme politique, expliquait Netanyahu père, les dirigeants juifs ont revendiqué pour eux-mêmes le pouvoir de clairvoyance, un processus de « préhension de la signification des tendances actuelles, de compréhension de leurs directions, de leur importance et de leur influence, et d’évaluation des conséquences de leurs collisions les unes avec les autres. Comprenez ces processus correctement, et vous voyez déjà les grands traits du futur. »

Benzion Netanyahu a écrit ces mots pour rendre hommage à son mentor, l’intellectuel et militant sioniste Zeev Jabotinsky. Jabotinsky a vu dans cette sorte de vision « toute l’essence du sens politique », a-t-il écrit.

Il est difficile d’imaginer une antithèse plus parfaite à la vision de lui-même de Netanyahu que l’actuel président américain

Les critiques de Netanyahu raillent fréquemment les références historiques fleuries et souvent tendancieuses dont il parsème ses discours, avec ses renvois à l’exil, à la Shoah et à d’autres catastrophes. Mais le Premier ministre est un étudiant de son père, apprenant de lui un sens certain des responsabilités envers un passé lointain, et une croyance que les tendances et les faits les plus importants de la vie politique d’une nation ne sont pas ceux qui s’expriment dans les informations.

Il est difficile d’imaginer une antithèse plus parfaite à la vision de lui-même de Netanyahu que l’actuel président américain.

Trump ne présente aucun sens de l’histoire. Il pense et agit comme un animateur, qui a faim de l’attention du public comme le public a faim de ses singeries. Même quand la Maison Blanche parle d’ « héritage », elle fait référence à la réputation future de Trump, pas à un quelconque sens des responsabilités envers une histoire plus ancienne et plus large que l’actuelle administration.

Beaucoup a été dit de la joie supposée de Netanyahu au moment de l’élection de Trump. Netanyahu est proche, par ses opinions et son tempérament, des républicains. Ses propres opinions politiques sont largement éclairées par les idées américaines.

Lecteur vorace, il est plus probable de le surprendre dans les couloirs de la Knesset avec un livre en anglais plutôt qu’un en hébreu, et presque toujours d’un auteur américain. Et pourtant, par pure malchance (de son point de vue), le mandat de trois ans de Netanyahu dans les années 1990 a coïncidé avec la présidence de Bill Clinton, et ses trois mandats depuis 2009 avec celle de Barack Obama.

Le président américain Barack Obama, au centre, avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à droite, et le président Reuven Rivlin, à gauche, lors des funérailles de l'ancien président israélien Shimon Peres au cimetière du mont Herzl à Jérusalem, le 30 septembre 2016. (Crédit : Ronen Zvulun/AFP)
Le président américain Barack Obama, au centre, avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à droite, et le président Reuven Rivlin, à gauche, lors des funérailles de l’ancien président israélien Shimon Peres au cimetière du mont Herzl à Jérusalem, le 30 septembre 2016. (Crédit : Ronen Zvulun/AFP)

Et voici, enfin, sa chance de finalement diriger Israël avec un républicain pro-Israël à la Maison Blanche.

Du moins, c’est ce qu’ont pensé de nombreux observateurs.

Mais pour Netanyahu, Trump n’est pas le républicain impassible poussé par les principes que le dirigeant israélien a le sentiment de partager avec le parti républicain américain. Il est un acteur sauvage. Personne n’a encore réussi à trier le bruit des mises en scène sans fin de Trump du fondement idéologique qui pourrait diriger le président américain. Peut-être n’y a-t-il pas de tel fondement, ou peut-être y en a-t-il un mais Trump n’est pas le genre d’hommes qui peut l’exprimer. Dans tous les cas, il n’y a pas ici de bases sur lesquelles fonder une théorie correcte de son monde intellectuel.

De l’avis de Netanyahu, la petite communauté de personnes qui est à la tête des affaires humaines n’est pas tant divisée entre la gauche et la droite qu’entre l’ignare impatient et le planificateur considéré.

Quand il s’agit du processus de paix israélo-palestinien, la critique d’Obama, le prédécesseur de Trump, par Netanyahu n’était pas, en son cœur, que l’ancien président était « anti-Israël », mais qu’il était ignorant et égoïste. Obama était plus intelligent que l’actuel président, mais finalement pas plus sage, demandant un gel douloureux de la construction dans les implantations en 2010 sans obtenir un retour des Palestiniens à la table des négociations, jouant le timide avec les alliés régionaux comme l’Arabie saoudite tout en menant de grandes négociations avec les ennemis jurés comme l’Iran.

Conduit par la préoccupation de son héritage plutôt que pas une vision politique nuancée – encore une fois, selon l’estimation de Netanyahu – Obama a agi avec outrecuidance et a éloigné la paix et la stabilité régionale. Une politique plus sage, qui prend en compte la culture politique palestinienne et ses dysfonctionnements pourrait avoir rapproché les deux parties de la paix, mais le sentiment d’Obama sur son propre rôle historique de rédemption l’a conduit à gaffer bêtement et à gaspiller la bonne volonté et le capital politique qu’il avait initialement dans la région.

Le président américain Donald Trump et le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche, le 3 mai 2017. (Crédit : Olivier Douliery-Pool/Getty Images via JTA)
Le président américain Donald Trump et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, le 3 mai 2017. (Crédit : Olivier Douliery-Pool/Getty Images via JTA)

Avant d’être républicain, Trump est simplement Trump. Ses opinions sont impossibles à définir, son tempérament impossible à réellement prédire. De l’avis de Netanyahu, il arrive dans cette région avec un égo de la taille de celui d’Obama, et une ignorance qui surpasse même la maladresse risible – là encore, selon Netanyahu – du précédent président.

Les dirigeants israéliens comme palestiniens prévoient d’accueillir Trump en grande pompe, de faire l’éloge du dirigeant américain, et d’exprimer un soutien absolu à son initiative de paix, pour l’instant toujours amorphe. Ce n’est pas un signe de confiance envers Trump, mais un signe de calculs, dans lesquels la forme est plus importante que le fond pour la nouvelle administration, que ce président est mieux géré comme une star de téléréalité que comme un défi politique impitoyable.

Il y a donc une relation inverse entre l’intensité des accolades que Trump recevra, et la probabilité que chaque dirigeant soit sur le point de faire un pari politique désespéré, risquant son poste et son héritage, que pourrait impliquer un accord de paix.

Ni Netanyahu ni Abbas ne risqueront tout pour un président dont l’engagement essentiel, selon eux, est envers son propre égo et son propre héritage, et pas envers leur réussite à long terme.

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