Dans un Israël déchiré, la mémoire de Rabin est écrasée par la méfiance mutuelle
Vingt-cinq ans après l'assassinat du Premier ministre travailliste, chaque camp pense être la nouvelle cible de l'appel à la haine - et accuse l'autre d'en être l'auteur
Yitzhak Rabin a été assassiné il y a 25 ans, le 4 novembre 1995. C’est mercredi prochain sur le calendrier grégorien et vendredi dernier sur le calendrier hébraïque.
Sa mort causée par un meurtrier juif de droite a provoqué une onde de choc et de chagrin au sein de la nation meurtrie, puis, après que le traumatisme initial s’est dissipé, deux décennies et demie de querelles amères sur la signification du premier assassinat juif d’un dirigeant national en 2 600 ans.
En ce mois de novembre si lointain, des adolescents s’étaient rendus sur la place des Rois d’Israël à Tel Aviv – aujourd’hui place Rabin – pour s’asseoir en signe de deuil, allumer des bougies et se rappeler l’héritage de l’homme qui a tenté de faire la paix.
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C’est peut-être une chance pour ces adolescents, maintenant âgé de la quarantaine, que Facebook ou Twitter n’existait pas à l’époque pour donner à voir ce que pensaient de nombreux autres Israéliens, lesquels étaient moins enchantés par l’effort d’Oslo et doublement perturbés à la fois par l’assassinat et par son auteur.
Les nombreuses incitations viscérales et violentes à la haine contre Rabin de la part d’extrémistes religieux de droite étaient tolérées et parfois encouragées par ses principaux opposants de droite. Les rabbins prononçaient des malédictions appelant à la colère divine mortelle contre le Premier ministre. Lors d’un rassemblement de droite, un cercueil avait défilé, portant le slogan « Rabin enterre le sionisme ». La nation était divisée sur la question de savoir si Benjamin Netanyahu, alors leader de l’opposition de droite à la tête de la résistance aux accords d’Oslo (et après l’assassinat de Rabin, un exécutant réticent de certaines parties de ces accords), avait joué un rôle dans cette incitation mortelle.
La question de l’appel au meurtre ne s’est jamais effacée et est devenue, au fil des ans, la principale leçon que la gauche a tirée de cette époque – une leçon, ont dit ouvertement les dirigeants et les militants de gauche, que seul un camp devait tirer. Pour la droite, le sens étroit et partisan que la gauche a donné à ce meurtre l’a empêché de devenir l’objet d’une religion civique partagée ou d’une mémoire nationale.
Lors de la commémoration de Rabin samedi – qui, conformément au message, était aussi une manifestation anti-Netanyahu – l’artiste et militante de gauche Orna Banai est montée sur scène pour rallier les troupes.
L’héritage de Rabin, a-t-elle dit à la foule, devrait consister en quelque chose d’immédiat, de politique et de totalement partisan : la chute du « tyran » Netanyahu.
« Il ne gagnera pas », a-t-elle ajouté sous les acclamations retentissantes de la foule, faisant référence à Netanyahu.
« Les jours du tyran sont comptés. Et c’est tout à votre honneur, à notre honneur, à ce peuple merveilleux qui veut un Israël différent, un Israël de paix, d’égalité, de respect mutuel, de vérité, d’intégrité », a-t-elle harangué.
« C’était le chemin de Rabin, et nous le pavons aujourd’hui avec nos pieds, en votre mémoire, Yitzhak Rabin », se tourna-t-elle vers une image projetée de l’ancien chef, « notre bien-aimé et précieux ». Il ne se passe pas un jour sans que nous ne pleurions. Quelle occasion manquée ! Quel meurtre méprisable ! Comment ils ont assassiné et aussi hérité ! ».
Nous y voilà. Les « eux » qui – comme le roi biblique Achab, qui a pris pour lui le vignoble du vigneron jezrélien Navot – « ont assassiné et ont aussi hérité ».
Au cas où quelqu’un n’aurait pas compris, à côté du visage projeté de Rabin se trouvaient les mots – l’accusation – « Vous n’avez pas assassiné l’espoir. »
La commémoration du Premier ministre n’est pas non plus passée inaperçue au sein de la droite religieuse – le cœur du « ils » et du « vous » amorphe qui est la cible de l’accusation de culpabilité collective de la gauche depuis 25 ans. Là aussi, c’est un traumatisme, mais un traumatisme plus large et moins gratifiant, en ce sens qu’il n’y a pas d’histoire ou de message simple qui puisse y être attaché. L’assassinat a été une crise déterminante pour la droite. Tout comme les accords d’Oslo conclus avec le chef palestinien Yasser Arafat, qui se sont soldés par une vague d’attentats suicides à l’automne 2000 qui a brisé les illusions des Israéliens sur la politique palestinienne, et qui a également fait voler en éclats la gauche politique que Rabin avait conduite dans le processus de paix.
Comme l’a dit Yotam Zimri, personnalité radiophonique de droite, après le discours de Banai : « Je veux juste rappeler à tout le monde qu’à l’époque de Rabin, quand j’étais enfant à Afula, ‘l’espoir’ signifiait se rendre à la fin d’un trajet en bus en toute sécurité, et ne pas voir notre fête de Pourim annulée à cause d’une nouvelle attaque terroriste. Vous parlez à la génération qui se souvient encore, mes chéris ».
Ofra Lax, journaliste de l’hebdomadaire sioniste religieux Besheva, a décrit ainsi l’expérience de 25 ans de reproches : « Les enfants du sionisme religieux qui ont plus de 35 ans et qui ont subi le plus gros des malédictions et des humiliations, l’accusation collective selon laquelle ils ont tous assassiné Rabin, l’exclusion du deuil, ont maintenant appris à accepter tout cela. Chacun a trouvé sa propre façon de gérer l’anniversaire de ce terrible meurtre. Certains suppriment, d’autres prennent de la distance, d’autres encore essaient de communiquer ».
Tout le monde pense être la cible
Une enquête menée à la fin du mois dernier par l’Institut israélien de la démocratie a révélé combien peu d’Israéliens croient que l’assassinat de Rabin est une expérience traumatisante, unificatrice et partagée, ou qu’il offre des leçons interpartisanes aux Israéliens en général.
Selon l’étude, presque tout le monde pense que le discours public israélien est truffé d’incitations – et presque tout le monde pense que c’est l’autre partie qui incite.
À la question de savoir s’ils se sentaient personnellement visés par les appels à la haine, une majorité, toutes tendances confondues, a répondu par l’affirmative. Parmi les personnes s’étant identifiées comme étant de gauche, 86 % se sentent ciblées, suivies par 81 % des Haredim, 70 % des Arabes et 67 % des personnes de droite.
« Qui est responsable ? », demandait le sondage.
Chez les Juifs, les réponses ont été claires et très largement partisanes. À gauche, 74 % ont désigné « la classe politique de droite ». À droite, 46 % ont pointé « les médias » et 21 % « la classe politique de gauche ».
Seulement 1 % de la gauche et 10 % de la droite ont blâmé leur propre camp.
L’anniversaire de l’assassinat de Rabin a été établi par la Knesset en 1997 comme un jour de deuil national officiel. Mais le sondage de l’Institut israélien de la démocratie a révélé que 43 % des Israéliens ne voient plus cela comme un jour de deuil ou d’introspection. Ce n’est pas un hasard si 70 % de la gauche et 66 % du centre disent qu’ils pensent toujours à l’anniversaire comme une période de deuil, alors qu’à droite, le chiffre est de 38 % et chez les Haredim, de seulement 20 %.
Cette journée, tout comme l’héritage de Rabin, a été balayée dans la polarisation politique générale. Des commentateurs et divers héritiers du nom et du patrimoine de Rabin ont passé la semaine dernière à réfléchir aux dangers de la polarisation et de l’incitation politiques, à la perte du sentiment d’un destin partagé, à la fin de l’optimisme qu’ils ressentaient comme le résultat de son assassinat.
Mais beaucoup d’Israéliens ordinaires sont moins sentimentaux quant à son héritage et moins sûrs de la signification de sa mort. Le plus souvent, il sert de carcan dans la guerre culturelle sans fin, le chagrin déployé pour exclure l’autre camp – une ligne de faille à travers laquelle les fractures qui divisent la société israélienne deviennent visibles et inéluctables, et se renforcent ainsi.
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