De nouvelles Haggadot racontent les histoires des communautés juives de diaspora
Qu’elles soient américaines, australiennes ou canadiennes, les Haggadot reflètent leurs communautés, volontairement ou malgré elles
En 2012, la « New American Haggadah » a été publiée en grande pompe. Le jeune écrivain juif américain de renom, Jonathan Safran Foer, l’a éditée, et son ami, Nathan Englander, également l’un des plus importants jeunes auteurs juifs américains, a fourni la traduction du texte hébreu traditionnel.
Les commentaires sont signés par d’autres écrivains Juifs américains réputés, tels que Jeffrey Goldberg et Daniel Handler, également connu sous son nom de plume, Lemony Snicket, avec lequel il a signé une série de livres à succès pour enfants.
Dans l’introduction du livre, ses créateurs ont précisé : « Son titre est New American Haggadah, non pas parce qu’il contient quoi que ce soit de typiquement américain, mais suivant la tradition de nommer une Haggadah d’après le lieu de sa conception. »
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Ses auteurs peuvent toujours prétendre que leur Haggadah n’a rien de typiquement américain, mais il n’échappe pas à la sensibilité américaine, bien palpable, du début du 21e siècle. Toutefois, il est manifeste que le titre de la Haggadah doit refléter l’époque et le lieu où elle a été créée.
Dans la même veine, deux nouvelles Haggadot « nationales » ont été publiées cette année – l’une au Canada, l’autre en Australie. Les créateurs de la « Haggadah canadienne » et de « La nouvelle Haggadah australienne », eux, admettent fièrement avoir délibérément cherché à représenter le caractère unique de leurs communautés juives respectives.
Une tendance moderne
« Ces Haggadot nationales sont de tendance moderne. Dans le passé, les communautés juives ne pensaient pas se représenter à travers leurs Haggadot », affirme Shalom Sabar, professeur d’histoire de l’art et du folklore juif à l’Université hébraïque et expert en Haggadot historiques.
Selon Sabar, ce n’est que rétrospectivement que les Haggadot, qui aspiraient traditionnellement à raconter l’histoire globale du peuple juif avant et pendant l’Exode d’Egypte, en sont venues à représenter les communautés juives au sein desquelles elles ont été rédigées ou avec lesquelles elles sont historiquement associées.
« Les textes et les illustrations ne font que refléter la réalité qui entourait les communautés au moment où elles ont été écrites », explique-t-il.
Par exemple, nous pouvons voir que les images de Jérusalem et du Temple visaient à donner l’image d’une Jérusalem idéale de la Fin des temps.
En Allemagne médiévale, ce concept était illustré par un Tsadik (un juste) au paradis, attirant les gens vers le haut.
Dans les Haggadot italiennes, Jérusalem est dépeinte comme une ville idéale de la Renaissance. Plus tard, les Haggadot sionistes montraient des photos de Halutzim (pionniers juifs) travaillant la Terre d’Israël.
Sabar cite d’autres exemples, comme Abraham qui traverse le Jourdain en gondole dans la Haggadah de Venise, ainsi que de nombreuses Haggadot historiques dépeignant le fils méchant (le racha) sous les traits d’un soldat goy (et plus particulièrement en officier nazi dans le cas de la Haggadah Szyk, réalisée en Pologne dans les années 1930).
Ce qui est différent, c’est que désormais, les communautés juives se représentent volontairement à travers leurs Haggadot. Sabar interprète cette tendance comme une tentative des Juifs contemporains de rechercher leurs racines et de définir leur identité.
« Les gens sont fiers de leur patrimoine aujourd’hui. Les Juifs canadiens aiment la vie au Canada et sont fiers de leur judaïsme. Ils ont choisi de ne pas faire leur alyah, et veulent raconter l’histoire de leur vie et de leur communauté au Canada », explique Sabar.
« Dans le passé, les Juifs n’avaient pas le choix comme aujourd’hui de leur lieu ou de leur mode de vie en tant que Juifs. »
La « Haggadah canadienne »
Les compilateurs et éditeurs de la « Haggadah canadienne», Rav Adam Scheier et Richard Marceau, ont compris, il y a environ cinq ans, qu’une Haggadah trilingue (en hébreu, anglais et français) pourrait éviter à de nombreuses familles juives canadiennes d’avoir à jongler entre plusieurs Haggadot différentes pour répondre aux différents besoins linguistiques des participants au séder.
« Nous avons eu tous deux la même idée et nous voulions travailler ensemble sur une Haggadah trilingue, mais nous ignorions au départ quelle serait la portée du projet », raconte Scheier, rabbin orthodoxe à la Congrégation Shaar Hashomayim de Montréal.
Scheier et Marceau – conseiller supérieur du gouvernement pour le Centre de relations juives et israéliennes à Ottawa – ont produit une Haggadah de 168 pages avec l’aide d’une équipe de conseillers, concepteurs et archivistes. Ils ont utilisé le texte traditionnel hébreu et adapté le texte anglais de la Haggadah, « A Different Night » de Noam Zion ; Marceau a fourni une traduction française originale.
Les premiers 2 000 exemplaires sont épuisés et une nouvelle impression est prévue avant le début de la fête de Pessah, le 3 avril.
« Cela a généré beaucoup d’enthousiasme, se félicite Scheier. Lorsque nous l’avons publiée, les gens s’y sont retrouvés, eux et leurs histoires. »
Pour Marceau, qui est né et a grandi au Québec, la Haggadah a un caractère typiquement canadien de par ses nombreuses photographies historiques, et ses commentaires d’érudits et d’universitaires juifs, non seulement de tout le Canada, mais aussi de tout le spectre confessionnel.
« L’Exode est le même partout dans le monde. Un poulet est un poulet. Tout dépend de la saveur que vous lui donnez. Nous apportons une saveur canadienne à une histoire universelle », image Marceau.
La communauté juive canadienne est la quatrième mondiale, après Israël, les Etats-Unis et la France, et pourtant, son histoire riche et complexe est relativement inconnue.
« L’histoire juive canadienne remonte à plus d’un tiers de millénaire. Le Bas-Canada [aujourd’hui le Québec] a accordé aux Juifs les pleins droits en 1832 – 26 ans avant l’Angleterre », relate Marceau.
Pour Scheier, la Haggadah reflète la diversité des immigrants juifs au Canada, et souligne le fait que la communauté juive comprend des Juifs francophones des pays arabes et des anglophones ashkénazes.
« Notre communauté est également très franche, pas aussi polie que le stéréotype canadien auquel adhèrent les gens. Vous pouvez le voir dans notre protestation en faveur de la communauté juive soviétique et d’autres communautés juives en danger, ainsi que dans notre ardent sionisme », poursuit Scheier.
D’autres Haggadot ont été publiées au Canada au cours des années, mais aucune n’avait, comme celle-là, pour objectif de représenter la communauté juive canadienne.
La « Nouvelle Haggadah australienne »
Le Nouvelle Haggadah australienne a été récemment publiée par Stand Up, une organisation juive australienne basée à Melbourne – autrefois connue comme Jewish Aid Australia, elle existe depuis 20 ans – qui œuvre pour la justice sociale.
Unique organisation juive australienne dotée d’une mission universelle, elle traite de questions relatives aux réfugiés, à la pauvreté, aux sans-abris et aux droits des autochtones via des programmes éducatifs et des activités juridiques. Elle vise à renforcer la justice sociale par le judaïsme, et vice versa.
« A la fin 2012, nous avons réalisé à quel point Pessah [la Pâque] traite de thèmes et de sujets qui concernent Stand Up», explique Joel Lazar, un étudiant en droit, coordinateur pédagogique de l’organisation et éditeur de la Haggadah.
Initialement, Lazar et ceux qui ont travaillé sur le projet projetaient de n’imprimer qu’un encart, mais finalement ils ont décidé que la réalisation de toute une Haggadah était justifiée. Ils voulaient que la conception et les illustrations du livre diffèrent de la célèbre et admirée « The Australian Haggadah » de l’artiste juif australien Victor Majzner.
Cette Haggadah, publiée en 1992, regorge de couleurs vives, à la fois en termes d’illustrations et de texte. En revanche, Lazar a chargé l’artiste Talia Lipshut d’accompagner la sienne d’illustrations minimalistes dans les teintes bleues, brunes et vertes du paysage australien naturel et elle comprend des images de la flore et de la faune de l’Australie.
Tout comme Scheier et Marceau considèrent leur Haggadah comme unique au Canada parce qu’elle comporte des commentaires de personnalités juives de tout le Canada, Lazar affirme que « La Nouvelle Haggadah australienne » est incontestablement australienne, car elle présente des commentaires de Juifs d’un large éventail d’âges et de milieux et issus de diverses communautés juives.
« C’est un instantané d’un temps et d’un lieu », note Lazar, se référant aux commentaires, dont certains traitent de sujets australiens contemporains tels que le féminisme, les demandeurs d’asile, la lutte pour les droits des autochtones, et des survivants juifs – nombreux au Canada – de l’Holocauste
« Il est impossible d’occulter l’Holocauste. Il imprègne le narratif des Juifs australiens, explique Lazar. Il y a aussi un énorme focus sioniste et israélien dans notre communauté. »
La Haggadah contient le texte traditionnel hébreu et la traduction anglaise de Nathan Englander de « The New American Haggadah », que Lazar admire pour sa poésie, sa neutralité de genre, et son équilibre entre le mystique et le moderne.
« Nous n’avons reçu aucune réponse aux demandes d’utiliser les textes d’Englander, mais notre avocat nous a dit que c’était dans les règles, tant que nous les attribuions à Englander et faisions quelques changements », précise Lazar.
Les commentateurs, qu’ils soient des rabbins, des militants, des survivants de l’Holocauste ou des écoliers, ne sont identifiés que par leurs noms. Il faut consulter une section à la fin de la Haggadah qui fournit de courtes biographies pour en savoir plus à leur sujet.
« Nous avons décidé de simplement imprimer les noms – sans mentionner les titres ni les positions sociales – à côté des commentaires, afin que tout le monde soit sur le même pied d’égalité, affirme Lazar. Cela fait partie de notre éthique égalitaire. »
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