De Ryad à Singapour, l’architecte israélien Moshe Safdie est une référence
Parmi ses projets figurent le réaménagement de Yad Vashem et un complexe hôtelier appartenant à Sheldon Adelson ; il raconte tout cela dans ses mémoires, "If Walls Could Speak"
Lors d’une interview réalisée fin avril, le célèbre architecte israélien Moshe Safdie a déclaré au Times of Israel qu’il venait de rentrer d’Arabie saoudite, où il travaille actuellement sur l’un de ses projets.
« J’ai l’impression que l’endroit est en train de changer radicalement », a-t-il déclaré. « Ces dernières années, j’ai travaillé sur un autre projet, à Jeddah. L’endroit est en train d’évoluer. Cela montre à quel point l’état d’esprit d’un pays peut se transformer rapidement. »
Ce n’est pas tous les jours qu’un sabra (terme d’argot utilisé pour désigner un Juif né en Israël) peut rendre visite aux Saoudiens. Pourtant, c’est un énième jour dans la vie de Safdie, dont les œuvres emblématiques ont orné des lieux dans le monde entier au fil des décennies.
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L’année dernière, il a publié des mémoires intitulées If Walls Could Speak : My Life in Architecture (« Si les murs pouvaient parler : Ma vie en architecture »), dans lequel il revient sur sa carrière et ses expériences. Il y évoque notamment des souvenirs liés à son lieu de naissance, comme son enfance à Haïfa avant que sa famille ne s’installe au Canada. Il est retourné en Israël à de nombreuses reprises pour travailler sur des projets importants, notamment le réaménagement du Mémorial de Yad Vashem dans les années 1990, mais aussi le Mémorial des enfants, plus tôt dans sa carrière, un projet de terminal international à l’aéroport Ben Gurion et le projet du centre commercial en plein air de Mamilla, qui a mis des dizaines d’années à se concrétiser en raison de différends avec diverses parties prenantes, notamment les orthodoxes.
D’autres souvenirs ont une teinte plus personnelle. En 1973, Safdie avait écourté une visite en Chine avec le Premier ministre canadien de l’époque, Pierre Trudeau, père de l’actuel Premier ministre Justin Trudeau. La guerre de Yom Kippour avait éclaté et Safdie s’était senti obligé d’aider sa patrie en difficulté. Il s’était engagé dans l’armée israélienne à des fins éducatives. Au milieu des troupes dans le désert du Sinaï, il avait montré des diapositives de sa visite abrégée de la Chine.
Safdie a également parlé de la douleur qu’il avait ressentie en apprenant l’assassinat du Premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, en novembre 1995. Le livre comprend une image de l’émouvante pierre tombale en noir et blanc que l’architecte a conçue pour Rabin et sa femme, Leah – tous deux, écrit Safdie, étaient des amis de longue date.
« Je pense que pour de nombreuses personnes qui admiraient, respectaient et aimaient Rabin, ce fut un moment traumatisant », a déclaré Safdie à propos de l’assassinat, qu’il compare à celui de John F. Kennedy. « Dans n’importe quelle culture, dans n’importe quel contexte, ces événements traumatisants, qui changent la vie, restent en quelque sorte gravés dans votre psyché. »
Il a exprimé sa frustration à l’égard de l’actuel gouvernement de Benjamin Netanyahu, déplorant ce qu’il considère comme une occasion manquée dans les Accords d’Abraham.
« Je ne comprends pas pourquoi il s’est laissé aligner sur l’extrême-droite », a déclaré Safdie. « Je ne comprends pas ce qui lui est arrivé en tant qu’homme d’État. »
Il note dans son livre qu’aucun de ses projets architecturaux en Israël ne se trouve dans des implantations de Cisjordanie.
Safdie s’est fait connaître dans les années 1960. Sa famille s’était installée au Canada au cours de la décennie précédente, après que la politique économique d’Israël eut rendu les affaires de son père difficiles. Au Canada, le jeune architecte a fait les gros titres avec « Habitat », décrit dans le livre comme « une zone urbaine dynamique à usage mixte », fruit de ses efforts pour l’Exposition universelle de 1967 à Montréal.
À la fin des années 1970, Safdie déménage à nouveau, cette fois aux États-Unis. Sa société a changé d’adresse et s’est installée à Boston ; elle est aujourd’hui située dans la ville voisine de Somerville. Pendant une dizaine d’années, il a été professeur permanent à la Graduate School of Design de l’université de Harvard et reste présent dans la région de Boston. Le Boston Architectural College (BAC), où il a donné des conférences et reçu un doctorat honorifique, a récemment organisé une exposition de ses projets inachevés, qui s’est terminée au mois de janvier. Le président du BAC, Mahesh Daas, a interviewé Safdie pour la page YouTube de l’établissement, « The BAC Channel ».
« C’est un architecte très international », a déclaré Daas, qui a entendu parler de Safdie pour la première fois alors qu’il fréquentait l’école d’architecture de son pays d’origine, l’Inde. « Son travail s’étend au monde entier. Il offre un moyen de tricoter ensemble le tissu du monde. Je n’ai vu aucun autre architecte le faire aussi bien – ou être capable de le refléter à travers des mots et des histoires. »
Daas s’est souvenu de l’excitation qu’il avait ressentie en voyant « Habitat » lors de ses nombreux voyages à Montréal.
« Il s’agit d’un projet de logement d’un genre très différent », a-t-il déclaré. « Il garantit que même dans un très grand complexe d’habitations, l’identité et la dignité individuelles peuvent être préservées tout en s’intégrant à l’identité collective. »
« Il existe un problème très particulier en matière de logement, notamment de logement de masse. Il est très facile de créer une unité unique, une unité individuelle, qui se fond dans le collectif. Dans un projet de logement conventionnel, il est impossible de distinguer une unité des autres. Ce qui m’a frappé [dans Habitat], c’est la grande variété et l’accès à l’espace, les jardins, les vues, l’interrelation entre les angles inhérents qu’il crée. C’est un projet de logement très particulier. »
Le livre contient certains des principes architecturaux chers à Safdie. L’un d’eux est l’importance de la nature, qui se reflète dans des éléments tels que les terrasses et la végétation. Un autre est le concept d’espace public dans une ville, qu’il compare à un salon, citant des exemples historiques allant des agoras aux souks. Il y a aussi l’idée d’un client silencieux : outre les personnes qui l’engagent pour concevoir un bâtiment, il y a les nombreuses autres personnes qui l’utiliseront, comme le personnel médical d’un hôpital.
Il ne craint pas de rompre avec la tradition, comme lorsqu’il a conçu le Kauffman Center for the Performing Arts à Kansas City. Dans le livre, Safdie raconte une conversation qu’il a eue avec un autre architecte légendaire, Frank Gehry, sur les défis que représente la conception d’une salle de concert. Gehry lui avait recommandé d’engager l’acousticien Yasuhisu Toyota.
« J’ai écouté Frank », a expliqué Safdie. « Je me suis associé à Toyota. Toyota a [depuis lors] conçu un certain nombre de salles de musique en Europe qui étaient beaucoup moins rigides. »
Partout où Safdie a travaillé, l’impact d’Israël l’a souvent influencé. Il a parlé de son intérêt pour la danse avec le passé, une idée qu’il a glanée en Israël et à laquelle il est revenu lorsqu’il a conçu des œuvres au Québec et à Ottawa.
« Tout a commencé à Jérusalem », a expliqué Safdie. « Tout le monde disait qu’il était impossible de construire des bâtiments contemporains en harmonie avec le patrimoine de la Vieille Ville. Certains de mes pairs disaient ‘Ô, vous devriez faire des bâtiments modernes flambant neufs’. J’en suis arrivé à une conclusion diamétralement opposée. Il y a suffisamment de souplesse et de latitude pour qu’un bâtiment par ailleurs contemporain puisse dialoguer avec ce qui l’entoure. »
Bien qu’il ait conçu un large éventail de projets, le travail sur les espaces commémoratifs a présenté des défis uniques.
« Lorsque l’on conçoit des appartements, des espaces de travail ou des écoles, les attentes sont bien définies », a-t-il expliqué. « Lorsqu’il s’agit de lieux de mémoire symboliques qui ont un profond symbolisme culturel, c’est beaucoup plus compliqué. »
« Yad Vashem a été particulièrement compliqué », a-t-il ajouté. « C’est un lieu sacré, c’est un mémorial qui doit aussi être éducatif. »
Il a expliqué son processus de réflexion sur le nouvel espace.
« Rien ne doit faire concurrence à la narration », a-t-il expliqué. « Les objets exposés racontent l’histoire. In fine, la lumière jaillit de manière spectaculaire, avec la silhouette de la forêt de Jérusalem. Aussi horrible que soit l’histoire, nous avons gagné, nous sommes ici, nous sommes vivants. »
« Par ailleurs, cela a été très controversé, lorsque je l’ai proposé… en particulier parmi les survivants du comité de construction. Mais je pense que la plupart des gens qui sont allés à Yad Vashem parlent de ce moment, lorsqu’ils découvrent la vue sur Jérusalem à la fin. C’est en quelque sorte un moment de réflexion, de contemplation, de réorientation. »
Lors de l’inauguration du musée en 2005, il avait rencontré à l’improviste feu le magnat des casinos et philanthrope Sheldon Adelson, qui avait engagé Safdie pour un nouveau projet : le centre de villégiature Marina Bay Sands d’Adelson à Singapour.
« C’est un sujet complexe, car il s’agit de deux personnes dont les convictions politiques ne pourraient être plus différentes », a expliqué Safdie, « opposées à bien des égards ». « Pourtant, il s’est adressé à moi, sur la base du projet de Yad Vashem, et m’a confié une mission d’envergure que je n’avais jamais réalisée auparavant. Malgré toutes les difficultés que nous avons rencontrées, nous avons réussi à réaliser un projet extrêmement important sur le plan architectural et qui a eu un impact profond sur Singapour. »
Après l’achèvement de Marina Bay Sands, Safdie a poursuivi la construction d’un autre projet pour un autre client à Chongqing, en Chine : un projet de 12 millions de mètres carrés. Selon le livre, Adelson avait estimé que le projet de Chongqing était trop similaire à celui de Marina Bay Sands et avait intenté une action en justice contre Safdie en 2012. L’affaire a été résolue par arbitrage, et Safdie et Adelson ont fini par refaire équipe.
Quel que soit l’endroit où il travaille, Safdie considère que ses projets auront un impact durable dans le futur.
« C’est la seule chose à laquelle on pense », a-t-il déclaré. « Vous pensez que les gens vont utiliser vos bâtiments. Vous espérez qu’ils les utiliseront bien, qu’ils apprécieront les travaux que vous leur offrez. L’essentiel est de penser aux personnes pour lesquelles vous concevez. Ce n’est pas un principe universel dans ma profession. Mais c’est une autre histoire. »
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