Des années de ruse, une barrière neutralisée : comment le Hamas a percé les défenses d’Israël
Tsahal s'est laissé abuser par le groupe terroriste et a exagérément compté sur des systèmes de surveillance à distance et des armes facilement désactivés par des drones et des tireurs d'élite
Israël a longtemps pensé que la barrière de sécurité high-tech qui le séparait de la bande de Gaza – hérissée de barbelés, caméras et capteurs et fortifiée par une base en béton, à l’épreuve des tunnels et mitrailleuses télécommandées – était imprenable.
Mais suite à l’attaque surprise sanglante du Hamas, qui a tué plus de 1 200 personnes – en majorité des civils –, des militaires israéliens de haut rang ont tenu à s’exprimer sous couvert d’anonymat pour témoigner de l’existence de graves lacunes, sur le plan opérationnel et du renseignement, qui ont permis aux terroristes de se frayer facilement un chemin à travers cette barrière.
Par ailleurs, des soldats israéliens de garde ce jour-là ont donné des détails édifiants sur la manière dont les terroristes ont mené cette opération complexe pour percer le « mur de fer » d’Israël autour de l’enclave, et ce en plusieurs points.
Alors qu’Israël se relève du pire massacre de Juifs perpétré en l’espace d’une seule journée depuis la Shoah, des questions demeurent quant à la façon dont les terroristes ont pu franchir une barrière pourtant très équipée et semer la désolation dans les environs pendant des heures, jusqu’à ce que les forces de sécurité interviennent en force pour mettre un terme à l’assaut. Les militaires témoignant sous couvert d’anonymat ont assuré que ces questions seraient posées et examinées, mais que Tsahal se consacrait pour l’heure à la guerre.
L’attaque massive, à l’aube samedi dernier, a commencé par des tirs de missiles vers des zones civiles israéliennes, suivis de l’action de tireurs d’élite et d’explosifs largués par des drones sur les tours de guet et de communication, et enfin de bulldozers qui ont mis en pièces la double barrière de six mètres de haut en une trentaine d’endroits.
Plus de 1 500 terroristes se sont alors engouffrés dans les brèches, à bord de camionnettes ou de motos, rejoints par des hommes en planeurs et, côté mer, par des vedettes rapides, pour lancer des attaques à l’arme à feu contre les communautés voisines. Des familles entières ont été massacrées, retranchées chez elles. Des corps atrocement mutilés ont été découverts par endroits. Lors d’un festival de musique en plein air, 260 personnes ont été tuées à l’arme à feu ou avec des grenades.
Les terroristes ont par ailleurs enlevé quelque 150 hommes, femmes et enfants, qu’ils retiennent en otage à Gaza.
Selon des informations données mardi par le New York Times, citant les premières conclusions de quatre hauts responsables de la sécurité israélienne, l’échec opérationnel était déjà consommé lorsque l’alerte, donnée tôt samedi matin par les services du renseignement, et faisant état d’une augmentation soudaine des communications du Hamas, n’a pas été suivie d’effet par les gardes-frontières, qui ne l’ont probablement pas comprise ou ne l’ont tout simplement pas lue.
Mais le principal échec serait imputable à une dépendance excessive à des équipements de protection et défense télécommandés inadaptés, qui a permis aux drones du Hamas de bombarder et désactiver les tours de communication, centres de surveillance et mitrailleuses télécommandées situés près de la barrière, tout comme les caméras de sécurité, désactivées par des tirs de snipers. Le tout a instantanément privé la barrière de toute protection.
Il y avait très peu de soldats à proximité de la barrière, d’une part parce que les forces se trouvaient en Cisjordanie et d’autre part du fait de la confiance placée dans des systèmes de défense automatisés qui a conduit les autorités à croire qu’il n’était plus nécessaire de garder physiquement ladite barrière.
Selon la même source d’informations, de nombreux commandants se trouvaient regroupés dans une base militaire unique près de la barrière. Lorsque cette base a été prise d’assaut par les terroristes, et que ses commandants ont été tués, blessés ou enlevés avec de nombreux soldats, certains fauchés pendant leur sommeil, l’information n’a pas pu immédiatement être transmise au reste de l’armée.
De nombreuses heures se sont écoulées avant que l’armée ne prenne conscience de ce qui s’était passé dans les villes frontalières et n’envoie des forces en nombre suffisant pour lutter contre les terroristes.
Les défaillances opérationnelles ont été aggravées par l’échec encore plus grand du renseignement, à commencer par le subterfuge tendu durant plusieurs années par le Hamas qui a convaincu Israël qu’il ne cherchait pas le conflit et qu’il était tout au contraire disposé à faire régner le calme tout en gardant discrètement le contact avec Israël.
Selon les informations du NYT, cela a conduit à un défaut de surveillance de certains canaux de communication clés du Hamas, fondé sur la confiance accordée de prime abord aux chefs du Hamas qui répétaient à l’envi – sur des canaux qu’ils savaient écoutés par les Israéliens- qu’ils ne voulaient pas de conflit ouvert. Jusqu’au jour de l’attaque, l’establishment sécuritaire israélien était ainsi persuadé de ne rien risquer de la part du Hamas, de sorte que l’invasion a été une surprise totale pour les gardes-frontières.
« A 06H30 (0330 GMT), les roquettes ont commencé à pleuvoir », explique dans une interview télévisée depuis son lit d’hôpital une soldate chargée de faire le guet à Nahal Oz, en face de la ville de Gaza.
« Une trentaine » de Palestiniens armés ont rapidement pris la base militaire, qu’ils ont tenue pendant sept heures, analyse pour la Douzième chaine la soldate, identifiée par l’initiale hébraïque de son nom « Yud ».
Les roquettes ont ainsi plu pendant une heure et les soldats ont tenté de se cacher tandis que les terroristes envahissaient la base.
« J’ai couru pieds nus jusqu’à l’abri anti-aérien. Au bout d’une heure, nous avons entendu des voix qui parlaient en arabe. C’est là qu’ils se sont mis à tirer depuis l’entrée ».
Les terroristes ont lancé des grenades sur les soldats rassemblés, dit Yud, qui a réussi se cacher dans une petite pièce avec d’autres camarades.
Jusqu’à ce qu’une unité d’élite de l’armée israélienne reprenne la base, « pendant des heures, la base était devenue un camp du Hamas ».
Yud affirme que l’armée s’était préparée à divers scénarios, comme par exemple l’infiltration d’une poignée d’hommes armés, une vingtaine tout au plus, mais « je n’aurais jamais imaginé qu’ils puissent un jour prendre d’assaut une base militaire».
Des attaques de tireurs d’élite
Au tout début de l’attaque, des tireurs d’élite « ont tiré sur les postes d’observation » disséminés le long de la barrière, longue de 65 kilomètres, a déclaré à l’AFP un porte-parole de l’armée israélienne.
Une autre soldate, stationnée à un poste d’observation de la base de Kissufim, a également raconté que des Palestiniens armés « ont tiré sur … des caméras d’observation, ce qui nous a privés d’images ».
La soldate, identifiée par son initiale, « Lamed », a déclaré à la Douzième chaine que c’est alors que des informations ont commencé à arriver faisant état d’un raid mené par des hordes de terroristes, « quelque chose de fou ».
Alors que sa base militaire était attaquée, « on nous a dit que notre seule chance de survie était de… courir nous réfugier dans la salle de cellule de crise. »
Le détachement de soldats d’infanterie de la base a été rapidement débordé, dit-elle.
Les forces de sécurité « ne savaient pas par où commencer », dit Lamed. « Il y avait tellement de terroristes et tant de choses se passaient en même temps. »
D’autres soldats ont évoqué des histoires semblables sur les réseaux sociaux ou dans des interviews avec les médias, rappelant tous que la première attaque a paralysé les systèmes d’observation et de communication de la barrière.
Le porte-parole de l’armée a démenti auprès de l’AFP les rumeurs de cyberattaque contre les systèmes militaires.
Des séquences vidéo publiées par le Hamas donnent à voir des attaquants en train de tirer sur les postes d’observation et les systèmes télécommandés dotés de capacités de tir.
D’autres images publiées sur Internet permettent de voir des drones survoler les tours de guet avant de larguer des explosifs, ou encore des terroristes en train de déchiqueter la barrière de sécurité à l’aide de bulldozers, ouvrant la voie à leurs complices.
A compilation of Hamas clips shows how the terror group invaded southern Israel yesterday. First they bombed Israeli observation towers and weapons systems on the border, then fired hundreds of rockets as terrorists on paragliders flew over the border. Moments later, Hamas… pic.twitter.com/D4iIoCV51q
— Emanuel (Mannie) Fabian (@manniefabian) October 8, 2023
« Un échec retentissant »
L’attaque qui a suivi a été la pire des 75 années de l’Histoire d’Israël et elle a donné lieu à des représailles sur Gaza et à une guerre qui pourrait durer longtemps.
Le Hamas a continué de faire pleuvoir ses roquettes sur les zones sud et centre d’Israël, faisant toujours plus de morts et de blessés.
Le ministère de la Santé de Gaza, sous contrôle du Hamas, a déclaré que plus de 950 personnes ont été tuées dans l’enclave palestinienne au cours des représailles israéliennes.
Israël assure s’en prendre aux infrastructures terroristes et, plus généralement, à toutes les zones où opère ou se cache le Hamas.
L’armée israélienne a par ailleurs déclaré avoir tué quelque 1 500 terroristes sur son territoire depuis le début de l’infiltration.
A l’instar d’autres responsables israéliens, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a promis que le Hamas ne pourrait plus jamais s’en prendre à Israël, ajoutant que l’anéantissement du groupe terroriste était essentielle pour l’avenir du pays. Comme le président américain Joe Biden, Netanyahu a comparé les atrocités commises samedi contre les civils israéliens aux actions de l’État islamique.
« C’est un énorme échec du système de renseignement et de l’appareil militaire dans le sud », a déclaré le général à la retraite Yaakov Amidror, ancien conseiller à la sécurité nationale.
Les survivants des attaques contre les communautés proches de la barrière de sécurité avec Gaza sont très choqués par l’échec des dispositifs de sécurité.
Inbal Reich Alon, 58 ans, habitante du kibboutz Beeri, dit qu’il y a des années, « après l’installation de la barrière, nous nous sommes sentis en sécurité ».
Mais, dit-elle, « c’était une illusion ».