Des inscriptions en hébreu sur un astrolabe islamique du Moyen-Âge
L'instrument, découvert en Italie et qui a été fabriqué en Espagne au 11e siècle, semble avoir des addenda juifs, exactement comme le recommandait le sage médiéval Abraham Ibn Ezra
Un astrolabe islamique datant de l’époque médiévale, découvert dans un musée de Vérone, en Italie, comporte de multiples strates d’inscriptions écrites en hébreu, qui auraient été ajoutées par les divers propriétaires juifs de l’objet au fil des siècles.
Un astrolabe est un instrument circulaire, habituellement de la taille d’une petite assiette, qui présente de multiples composantes gravées utilisées pour déterminer le temps, la distance, la hauteur et la latitude, entre autres. Aidant à la navigation, ils intervenaient également dans la lecture des astres et, dans le monde islamique, ils servaient aussi à indiquer le moment des cinq prières de la journée.
L’astrolabe de Vérone, dont la fabrication remonterait au 11e siècle – il aurait été fabriqué dans le sud de l’Espagne – avait d’abord servi d’astrolabe purement islamique mais différents propriétaires ont ensuite ajouté des inscriptions en hébreu sur les parties métalliques. Certaines de ces inscriptions semblent suivre les directives strictes qui avaient été données pour utiliser l’instrument par le chef spirituel juif andalou Ibn Ezra (1089–1167).
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« Coïncidence extraordinaire », le traité écrit sur les astrolabes par Ibn Ezra – le plus ancien connu sur le sujet à avoir été écrit en hébreu – avait été rédigé par son auteur à Vérone, a expliqué par téléphone la docteure Federica Gigante de l’université de Cambridge au Times of Israel.
« C’est tellement excitant… Tout correspond à la perfection. Nous avons un sage Juif d’Andalousie qui va à Vérone et qui écrit un traité sur les astrolabes et nous avons un astrolabe fabriqué en Andalousie, à Vérone, qui porte les inscriptions laissées par ceux qui avaient suivi les instructions du sage », s’exclame-t-elle, faisant remarquer qu’il y avait dans la ville de Vérone, au Moyen-Âge, une communauté juive florissante et diversifiée.
L’astrolabe est décrit dans un article écrit par Gigante, « Un astrolabe islamique médiéval avec des inscriptions en hébreu à Vérone « (en anglais), un article qui a été publié, la semaine dernière, dans le journal à comité de lecture « Nuncius ».
L’un de ces ajouts en hébreu est la correction d’une latitude qui passe ainsi de 45 degrés à 44,5 degrés, conformément à ce qui figure dans les écrits d’Ibn Ezra, indique Gigante.
« Il donne toute une série d’instructions, l’une d’elles étant qu’il faut toujours vérifier l’exactitude des instruments et qu’il faut toujours vérifier les lignes de latitude. Et vous avez ensuite le correctif en hébreu – c’est donc vraiment que quelqu’un a effectué ces vérifications sur l’astrolabe, exactement comme Ibn Ezra l’avait demandé », note-t-elle.
Ibn Ezra partait également du principe que ses lecteurs utilisaient un astrolabe islamique, parce qu’il mentionnait, dans son traité, les paramètres aidant à déterminer les heures de prière ainsi que les fonctions astrologiques arabes de l’instrument.
« Il avait écrit sur la traduction des signes en hébreu et il donnait les instructions pour le faire et ainsi, sur l’astrolabe de Vérone, les signes astrologiques sont traduits en hébreu », continue-t-elle.
« Il semble réellement que quelqu’un ait suivi ses instructions ici », dit Gigante avec enthousiasme. La majorité des Juifs de Vérone, à l’époque, ne connaissaient pas la langue arabe et les gravures écrites en hébreu leur avaient très certainement permis d’utiliser le précieux instrument.
Une inscription antérieure figurant sur l’astrolabe a également un lien avec les Juifs, laissant penser que l’instrument a eu un propriétaire différent qui était, lui aussi, membre de la communauté.
« L’un des propriétaires de cet objet, très tôt, en Andalousie, avait écrit ‘Pour Isaac, l’ouvrage de Jonah’ en arabe : [Pour Isḥāq […]/l’ouvrage de Yūnus]. C’est impossible d’avoir une certitude – cependant, Isaac et Jonah sont des noms Juifs par excellence mais on peut supposer qu’ils ont été écrits en arabe parce que les Juifs d’Espagne utilisaient cette langue. L’idée que ce propriétaire était également Juif est donc parfaitement censée », selon Gigante.
Gigante, qui est experte des astrolabes islamiques du Moyen-Âge, explique qu’il y a environ un an, elle a trouvé une photographie moderne d’une collection de musée où figurait un astrolabe en arrière-plan. A ce moment-là, elle recherchait, sur internet, des informations sur le collectionneur de Vérone Ludovico Moscardo (1611–1681), un aristocrate qui mentionne plusieurs astrolabes dans le catalogue de ses artéfacts, ouvrages et œuvres d’art.
Moscardo avait probablement acquis l’instrument auprès d’un autre passionné de l’époque de la Renaissance, qui en avait peut-être hérité d’un vieux professeur. Ainsi, l’astrolabe n’avait pas été utilisé depuis des générations quand le collectionneur l’avait eu en sa possession, fait remarquer Gigante dans son article. Il est actuellement exposé au musée de la Fondation Miniscalchi-Erizzo de Vérone.
« L’astrolabe était là depuis environ 600 ans quand il a intégré, aux environs de 1672, la collection de Ludovico Moscardo. Il était dans un petit musée privé d’Italie et je l’ai découvert complètement par hasard, grâce à internet », s’émerveille-t-elle.
Elle raconte le moment où elle a tenu dans ses mains l’astrolabe alors qu’elle visitait le musée, plusieurs mois plus tard. Il n’avait jamais été examiné auparavant et elle avait noté toute une série de rayures inhabituelles dans les parties métalliques, des rayures qui apparaissaient en mettant l’instrument à la lumière de la fenêtre. Elle avait ultérieurement déterminé que ces rayures correspondaient à des inscriptions en hébreu qui avaient été ajoutées par plusieurs propriétaires différents et qui étaient sur le point de disparaître.
D’autres astrolabes islamiques de la même époque ont aussi la particularité d’avoir des inscriptions en hébreu – mais « en ce qui concerne le nombre d’ajouts différents qu’il est possible de lire sur celui-là, il est absolument unique », dit-elle.
L’astrolabe présente des additions similaires de chiffres dits « arabes », les mêmes qui sont utilisés par l’Occident aujourd’hui (l’arabe, à l’époque et maintenant, utilise un système distinct pour les nombres).
L’astrolabe de Vérone compte également des addenda ultérieurs, « des gravures légèrement rayées de chiffres arabes occidentaux qui viennent corriger des valeurs de latitude, certaines d’entre elles étant corrigées à de multiples reprises », fait remarquer l’article. Le mot « Cordoue » en hébreu est aussi écrit à proximité d’une marque établissant la latitude de cette célèbre ville du sud de l’Espagne.
L’instrument de Vérone « a connu de nombreuses modifications, des ajouts, des adaptations alors qu’il changeait de main et de propriétaire au fur et à mesure du temps… ce qui témoigne des contacts et des échanges entre les Arabes, les Juifs et les Européens à l’époque médiévale et au début de l’ère moderne », écrit Gigante dans son article.
Les astrolabes, considérés souvent comme les ancêtres de nos horloges modernes, sont un peu comme les smartphones contemporains, explique Gigante. Ils sont portables ; ils ont des usages multiples et variés et ils sont constitués de différentes parties et de différents cadrans qui sont remis à jour ou remplacés pour assumer différentes fonctions – comme c’est le cas également des applications des téléphones cellulaires, déclare-t-elle.
Une faculté d’adaptation dont témoigne l’astrolabe de Vérone. « Il y a une autre plaque, qui a été ajoutée plus tard, qui a deux latitudes, 30 et 35, parce qu’elles sont trop au sud…Je suppose qu’il s’agit du Maroc mais cela pourrait tout autant être en Égypte », déclare Gigante.
« Et cela révèle qu’à un certain point, quelqu’un a modifié cet astrolabe en vue d’un voyage en Afrique du nord », ajoute-elle, évoquant une sorte « d’application de voyage au Maroc ».
Pour Gigante, ces aperçus de la vie de personnes réelles dans l’Histoire, glanés à partir de petits indices, sont l’un des aspects les plus fascinants de son travail.
« Vous pouvez imaginer qu’en Andalousie, un musulman l’a fabriqué, qu’un propriétaire juif qui l’a acheté, qu’il est parti en Afrique du nord et qu’ensuite, l’astrolabe a eu différents propriétaires juifs en Italie avant de tomber entre les mains des collectionneurs quelques centaines d’années plus tard », déclare-t-elle.
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